dimanche 16 juin 2013

Bill Braxton, légende - Jean-Marc Pontier - Objectif Mars éditions




Bill Braxton est le dernier ouvrage  de Jean-Marc Pontier, publié tout récemment aux éditions Objectif Mars dirigées par Etienne Martin. Un lecteur averti (ou assidu) de l’œuvre de Jean-Marc Pontier  reconnaîtra dans ce récit illustré d’une quarantaine de pages,  imprimé dans un  format à l’italienne,  le saxophoniste virtuose  qui avait le privilège d’ouvrir le recueil de nouvelles graphiques Pièces Obliques ( Les Enfants Rouges, éditeur, 2009). Quelques autres figures traversent  le récit, d’une manière fantômatique… Ces touches d’autoréférentialité  sont  assumées par l’auteur qui s’en amuse d’ailleurs à  la page 4, quand il présente son personnage Bill Braxton :

 « Rappelons les faits. Deux ouvrages en ont parlé. Dans Thirteen days in New-York, travel included, Dom Oliver (1) consacre tout un chapitre  à Bill Braxton, louant son jeu de scène  discret autant que le son exceptionnel qui émanait de son sax. Mais c’est surtout Bill Braxton de Jim Bridger(2) qui retrace avec le plus de précision la légende de Bill. Qu’on me pardonne d’en rappeler ici les grandes lignes.   Bill venait de Brooklyn. Il avait hérité de son arrière grand-père un saxophone qu’il disait magique. Car jamais Bill n’avait appris à jouer.  D’ailleurs personne d’autre que lui n’était capable d’en tirer le moindre son … »





Cette fois le titre précise : Bill Braxton, Légende … La multiplication  des voix  narratives est annoncée.  Comme la rumeur,  la légende  est forcément une histoire reprise par plusieurs voix que  l’on pourrait  comparer à  une sorte de chant polyphonique.  Dans la nouvelle graphique du recueil Pièces Obliques, le narrateur était un « je »  aux contours flous, correspondant plutôt  à une posture narrative qu'à un personnage à part entière,  ayant pour fonction de renforcer l’illusion réaliste  d’une histoire qui n’en était pas moins fantastique à de nombreuses occasions.   

Cette fois, le narrateur   n’est autre que le petit-fils  de Bill Braxton qui reçoit d’un certain William Bones domicilié à New-york,  une lettre dont l’argument se résume à peu près à lui  signifier : « il est temps pour toi de récupérer ce qui te revient », à savoir le saxophone magique du grand-père.     Et voilà le petit-fils, forcément charmé par le chant du sax, fraîchement débarqué à New-York, à l’aube du récit.  




Pour que le petit-fils comprenne un peu pourquoi et comment ce sax et ce grand-père tout aussi inconnus de lui que légendaires outre Atlantique déboulent dans sa vie, il lui faudra faire parler qui de droit, à commencer  sa mère, puis William Bones  le contrebassiste qui l’adressera au  vieux  Phil Washington, peintre de la marine et portraitiste à la retraite qui le conduira jusqu’à  Martha Yaël, psychanalyste à la retraite et de fil en aiguille, au sax de Bill Braxton …  Ainsi sont  posées  les tessitures des voix qui contribuent à  prolonger la légende de Bill.  

Il faut parler de ces personnages.  Il est vrai que dans la quête de l’objet  (le sax), le narrateur doit passer par  ces trois  sujets.   A écouter leurs récits, on comprend que ces quatre là formaient  en leur temps (était-ce dans les années cinquante ou soixante - Le récit ne tient pas à le préciser -  une sorte de quartet : deux musiciens , un peintre  et une muse  psychanalyste,  mélomane et  nymphomane,  qui  pouvait  bien tenir le rôle du  chef d’orchestre  et  tirer quelques ficelles  du trio d’artistes, en catimini… Arrive sur le tard du récit, un certain Stan Halliway ex-taulard, compagnon de Bill à la prison de Dempsey. 

Et le narrateur ?  Acteur du récit, petit-fils de Bill Braxton, il  attache  le lecteur à ses pas, le promène dans les rues de New-York au rythme de ses propres déambulations dans les quartiers,  des bords de l’Hudson à Manhattan, de Greenwich à Wall Street, du Guggenheim au JFK airport, faisant escale dans les clubs de jazz, le fameux Saint Nic’s ou le Blue Note, le soir.  Mais voilà, il  est bien le seul personnage du récit à n’avoir pas de nom !  Serait-il alors, comme Ulysse dans sa quête, celui qui se nomme   personne ?   Je reviendrai sur cet aspect du personnage, mais il m’apparaît  nécessaire d’envisager d’abord la manière dont se pose la question de l’héritage dans ce récit. 

La lettre envoyée par William Bones  pour annoncer l’héritage, ne peut qu’éveiller une interrogation : accepter ou ne pas accepter l’héritage du grand-père ?  Un héritage est d’abord un choix, il peut aussi bien constituer une dette dont il faudra s’acquitter, qu’un profit.  Accepter un héritage, c’est faire le pari  de gagner … ou de perdre.   A ce titre, la visite  à sa mère, avant le départ est  intéressante.  Elle confirme la filiation et encourage l’acceptation de l’héritage. L’héritage est au centre du récit, non seulement parce que  la découverte de l’objet  supposé fantastique  permettrait de lever l’énigme (ou la légende) selon laquelle ce n’était pas Bill Braxton qui était un extraordinaire   saxophoniste, mais son « sax qui était un peu « djoudjou », c’est-à-dire doué d’un pouvoir assez troublant qui consistait à ne jouer qu’avec les descendants du grand-père de Seattle ». L’héritage est aussi   le moteur de la narration, en ce qu’il est une quête, un voyage à l’étranger et dans l’inconnu.  « Je ne comprends pas bien l’anglais et le je parle encore plus mal », annonce le narrateur en préliminaire, comme pour  prévenir que tout ce qui peut arriver ne sera pas totalement maîtrisé, que ce voyage à l’étranger comprendra bien une part d’étrange et d’indéchiffrable. Le lecteur est bien entendu une sorte de double du "je" que l'on promène aussi. 



Qu’en est-il de l’héritage ? Si le narrateur, petit-fils de Bill Braxton  arrive à ses fins et met la main sur le sax, celui-ci n’en continue pas moins de se dérober … et le sort semble s’acharner relayant la question de l’héritage par celle de la quête identitaire  pour ce que  la poursuite de l’objet semble, sans la résoudre non plus, interroger la construction du sujet.   Est-ce d’un bien que l’on hérite ou d’un don? Car  une fois l’instrument récupéré, il se pose  le problème d’en jouer et d’en jouer aussi bien que  n’en jouait son ancêtre … Dans cette nouvelle question de filiation ce n’est plus la mère qui peut donner la réponse, c’est au « je » d’abattre son « jeu » et de faire ses preuves tout seul, dépouillé de tout!
  
  Pour se trouver, il faut se perdre  et rien de tel qu’une grande ville étrangère pour cela, rien de tel que l’errance, la solitude  et le silence.  Comment évaluer ce qui se gagne et ce qui se perd, si ce n’est d’avoir « la certitude d’être vivant, plus que jamais vivant » ?  ( Très camusien ? ) Un héritage qui semble lui glisser entre les doigts, se dérober matériellement mais qui aura changé durablement, le cours de sa vie. Qui était le « je » du début du récit ? Qui est-il à la fin ? Il n’a pas livré son nom, il demeure  le « petit-fils de Bill Braxton » ( les héros des légendes aiment que leur nom soit prononcé.  Est-ce donc pour cette raison que Bill Braxton n'admet pas de concurrence, même familiale ? Pour parler du "je" narrateur-personnage il est faut toujours nommer le grand-père: "je"  reste le petit-fils de Bill Braxton, belle astuce !). A la fin du récit, non seulement le petit-fils n'a pas acquis un nom, ni même un prénom, ni un surnom, mais il perd jusqu’à ses papiers d’identité !   Ces dimensions de l’histoire, je les trouve personnellement riches, vraies et intéressantes.   

« Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident : j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène.»(3)




Dans la première version de Bill Braxton(4), Jean-marc Pontier avait  choisi le format de la nouvelle graphique s’appuyant sur la structure régulière du gaufrier de neuf cases. Ici, il opte pour un texte illustré réservant une belle  part au texte, magnifiant les dessins ou les quelques planches qu’il insère.  Le texte et le dessin dialoguent.  

 Washington : « Tiens, garçon, je te laisse ce carton.  Tu y trouveras tout ce que j’ai dit là dedans. Je te donne ces dessins, parce qu’ils racontent mieux les choses que les mots, du moins les miens » .

Au bout du compte, on ne sait pas si notre personnage, petit-fils de Bill Braxton aura hérité du don artistique de son grand-père. Parviendra-t- un jour à tirer un son de ce sax ? On ne sait pas si on peut compter le dessin au nombre de ses talents, mais il est bien certain que personne ne revendique la part de l’écriture et qu’elle lui revient … fluide et travaillée comme une partition de jazz ! C'est un bonheur d'entendre le texte lu àLes dessins sont silencieux, mais on voit apparaître par intermittence des mots écrits,  enseignes ou lettrages superposés aux dessins des paysages urbains ils font parler New-York  à la manière bruyante et tapageuse  des américains à travers les  injonctions des slogans publicitaires : « rent », « turn here », « step »… Les dessins des paysages accompagnent les déambulations du personnage.  Jean-Marc Pontier affectionne les façades agglomérées, aux fenêtres alignées,  formant des blocs compacts, les perspectives  qui poussent jusqu’au ciel des verticales ambitieuses. New-York est une ville glorieuse qui se redresse des attentats de 2001.   Les autres dessins,  des portraits,  silhouettes  saisies dans la rue, dans les boîtes de jazz, mais aussi les musiciens, Bill Braxton, William Bones, le peintre Phil Washington et la psychanalyste Martha Yaël.  Beaucoup de noirs, de blancs et de gris ponctués de notes de couleur. La qualité du dessin, expressionniste et suggestif  mais plus délicat que celui de la première nouvelle graphique convient parfaitement à saisir la ville et  les portraits pris sur le vif.   Là encore, le personnage - narrateur semble absent ou imprécis. A plusieurs reprises  apparaît la silhouette d’un homme  en complet veston noir, portant cravate, attifé d’un chapeau, sorte de Borsalino à l’italienne, est-ce lui ? Est-ce Beppe Albamonte le principal mécène du peintre ?   La confusion est entretenue, on devine que la plupart des  dessins doivent être attribués à Phil haute voix.

Je dis bravo !

Au moment de mettre le point final à cette chronique, parce qu’il faut bien conclure et « envoyer », je sais que j'aurai des repentirs. Lorsque je me relirai et que je parcourrai  à nouveau le récit Bill Braxton, il y a fort à parier que d’autres  idées me viendront, je me dirai que j’aurais pu formuler cela différemment, ajouter ceci, faire plus attention à cela.  Ma façon de lire, ma façon d’écrire  semblent n’être pas chose constante.  Si j’avais écrit hier plutôt qu’aujourd’hui, c’est d’autres mots que j’aurais employés et à quoi cela tient-il ?  D’ailleurs, la relecture, à coup sûr veut des corrections, comme pour  chercher la note plus juste, mais je doute sur l’on puisse jamais en trouver une de certaine....


(1) Thirteen days in New-York, travel included,  de Dom Oliver est la traduction en américain du livre d’Olivier Domerg, Treize jours à New-York, voyage compris, publié en juin 2003 aux éditions Le Bleu du Ciel,  augmenté de treize photographies de Brigitte Palaggi.
(2) Bill Braxton, de Jim Bridger est également la traduction américaine du titre de la première nouvelle du recueil de nouvelles graphiques Pièces Obliques, de Jean-Marc Pontier  (alias Jim Bridger), publié aux Enfants Rouges en 2009.
 (3) Arthur Rimbaud, Lettre du Voyant, à Paul Demeny, 15 mai 1871 (extrait)
(4) Bill Braxton, Pièces Obliques, Les Enfants Rouges, 2009. 

 Pour découvrir l'auteur Jean-Marc Pontier, on peut se rendre sur son blog et sur son site:

 
Pour découvrir les autres publications de l'éditeur Objectif Mars 



1 commentaire:

Jmp a dit…

C'est bien plus qu'un simple article!!! On se sent intelligent après ça;-)
Merci.