lundi 22 juillet 2013

lectures : trois BD .... ***


 Les bandes dessinées que je présente ci-après m'ont été proposées dans une sélection du Prix des lycéens en région Paca, auquel j'ai inscrit une classe du lycée.  La sélection complète des six albums pour l'année 2013-2014 est la suivante : La Ronde, Elisabeth Willenz, Cambourakis - L'Enfance d'Alan, Emmanuel Guibert, l'Association - Le Singe de Hartlepool, Lipano et Jérémie Moreau, Delcourt - Little Saigon, Clément Baloup, La boîte à bulles - N'embrassez pas qui vous voulez, Marzena Sowa et Sandrine Revel, Dupuis - Peste Blanche, Jean-Marc Pontier, Les enfants rouges. 
J'avais déjà chroniqué le roman graphique de Jean-Marc Pontier, Peste Blanche, à sa sortie en mars 2012.  On trouve la critique sur ce lien : http://imagesentete.blogspot.fr/2012/03/peste-blanche-jean-marc-pontier.html
Je prendrai certainement le temps d'ici peu de parler des deux albums La Ronde et N'embrassez pas qui  vous voulez.

L'enfance d'Alan, Emmanuel Guibert



L'Enfance d'Alan est une bande dessinée d'Emmanuel Guibert racontant l'enfance d'Alan Ingram Cope, un  vétéran américain de la seconde Guerre Mondiale.   A la suite d'une longue amitié entre Emmanuel Guibert et le vieil homme, qui débuta un peu par hasard en 1994 à l'occasion de vacances  sur l'Île de Ré et se poursuivit jusqu'à la mort d'Alan Ingram Cope en 1999, Emmanuel Guibert décida de se lancer dans l'écriture et l'illustration des souvenirs qu'il avait entendus de la bouche de son ami.   C'est en 2000 que paraît le premier tome de La Guerre d'Alan.  L'Enfance d'Alan est, de fait, le récit des souvenirs recueillis par Emmanuel Guibert depuis la naissance d'Alan en 1925 en Californie du sud jusqu'à la mort de sa mère vers 1936. L'Enfance d'Alan est publiée en 2012 aux éditions L'Association. Il semblerait qu'un tome consacré à l'adolescence d'Alan est en préparation.

  

L'album s'ouvre sur une sorte de prologue en images, sept doubles pages en couleur, passant progressivement du bleu ciel et beige dominants  au  bleu et jaune, puis jaune et bistre, enfin bistre et gris-violet ...  Cette suite de grands formats contenant peu de texte, suggère par son atmosphère colorée l'écoulement d'une journée qui serait entièrement consacrée à traverser une ville gigantesque ( une suite de villes, de Los Angeles à Santa Barbara). Le point de vue est celui d'un conducteur ou du passager d'une voiture avançant à vive allure sur des highways prodigieusement larges, se compliquant de ponts et d'enjambements, de bretelles et d'échangeurs. C'est l'image contemporaine de la Californie du Sud qui n'a plus rien à voir avec la Californie du Sud de l'enfance d'Alan : "j'ai des souvenirs d'enchantement de mon pays avant la guerre. C'est pendant la guerre que tout a changé."  Absence de nature, bétonnage à outrance, omniprésence de l'automobile, de la vitesse, des couleurs électriques ... à ces images se superpose la voix d'Alan, nostalgique.  La huitième double page est une image en noir et blanc, une image de désert.  Fin du voyage, mais aussi peut-être commentaire implicite d'une conclusion - conséquence de cette course à l'évolution contemporaine.  Un désert ou une impasse?  La Californie du Sud de l'enfance d'Alan est à jamais perdue ...



Un peu plus de cent cinquante pages de souvenirs qui se visitent dans l'ordre que la mémoire impose, plus ou moins chronologique (au fil des anecdotes, on voit tout de même grandir Alan),  pour composer le tableau de l'enfance d'Alan qui rejoint dans un mouvement plus ample, de façon presque "historique",  la fresque de la vie des familles modestes dans la Californie du Sud, entre 1925 et 1936.  

J'étais particulièrement émue à la lecture de cet album par le fait d'avoir l'impression d'entendre la voix d'Alan  raconter son enfance.  Certes, Emmanuel Guibert a opté pour un récit à la première personne, mais encore a-t-il réussi à trouver un ton, une manière de dire qui laisse deviner la personnalité d'Alan Ingram Cope. Sans doute avait-il en mémoire certaines  expressions idiosyncrasiques propres à attester de la véracité des propos et des souvenirs, sous les signes écrits.   

Les souvenirs sont très précis, il s'agit toujours de petites anecdotes assez significatives pour constituer une sorte d'étape dans le développement de l'enfant, parfois  joyeuse, parfois traumatisante ou tragique.  Elles sont toutes racontées avec la même précision qui semblerait être de "l'objectivité", même si c'est impossible ... On semble rester sur le seuil de la subjectivité et de l'analyse psychologique, sans y toucher.... au lecteur de  tirer les conclusions et pourquoi pas de commenter. C'est ainsi que les choses les plus intimes sont dites avec un certain naturel.  Tous les souvenirs, toutes les moments de vie, plus ou moins heureux semblent ainsi avoir leur sens et leur importance.

L'album propose une grande diversité dans les choix graphiques.  Le texte étant assez abondant, le dessin ménage souvent  de grands espaces vides, pour jouer sur l'équilibre et une présentation qui reste très épurée, comme le trait du dessin. Certaines cases n'en sont pour cela que plus émouvantes. 

L'enfance d'Alan, d'après les souvenirs d'Alan Ingram Cope, Emmanuel Guibert, L'association, oct. 2012. 


 
 une petite vidéo pour découvrir la technique de dessin d'Emmanuel Guibert pour les trois albums de  La Guerre d'Alan.  Eau et encre ... prodigieux !


Le singe de Hartlepool, Lupano - Moreau


Le Singe de Hartlpool, scénario de Wilfrid Lupano, dessin et couleur de Jérémie Moreau, aux éditions Delcourt. Sept. 2012

Au début du XIXème siècle les préjugés et la bêtises faisaient encore rage, ce dont nous nous sommes depuis affranchis, bien entendu ! C'est pourquoi nous porterons un regard horrifié sur cette histoire effrayante : "Quoi! ils ont vraiment pu faire cela ....? " 

Un bateau français pris dans une tempête non loin des côtes anglaises et du village d'Hartlepool. Un nauffrage et un survivant français sur lequel la population aura tôt fait de laisser s'exprimer sa haine de l'Empire et du peuple français.  La bêtise est la chose la mieux partagée .... (vous serez attentifs à la tête du maire de Hartlepool). La bestialité des hommes quand ils sont "ameutés" est prodigieuse ....

Une citation extraite de la postface  " La nation est une société unie par des illusions sur ses ancêtres et par la haine commune de ses voisins" .  Dean William R. Inge

Une fable très réussie ! et une chute ....... à ne pas ébruiter !





Little Saigon, mémoires de Viet Kieu, vol 2, Clément Baloup


Little Saigon, mémoires de Viet Kieu  de Clément Baloup  volume 2,  aux éditions La boîte à bulles, mai 2012.
Le premier volume de Little Saigon était consacré aux récits de vies de vietnamiens exilés en France, lauréat du prix Hors les murs en 2009.  
Ce deuxième volume voit le jour à la suite d'un long voyage effectué par l'auteur aux Etats-Unis, de New-York, à San-Francisco en passant par San-José, Los-Angeles, Orange County, Charleston, il laisse s'exprimer les souvenirs de vietnamiens qui, il y a plus de trente ans, se sont installés aux Etats-unis.  



L'album est constitué de séquences en couleur racontant les rencontres de l'auteur Clément Baloup avec des témoins (principalement des femmes) durant son voyage aux Etats-Unis, qui doit se situer après 2009, et de séquences de couleur bleutée qui sont le récit des vietnamiens qui, dans leurs tentatives d'exil aux Etats-Unis, sont parfois passés par des camps de réfugiés.  Ces récits, sous forme d'analepse, disent la dure réalité de la guerre, de l'oppression du régime communiste, de la solitude, du courage, de la trahison, de la perte et parfois aussi, bien heureusement, de la solidarité et de la main tendue sans laquelle certaines histoires ne seraient que pure tragédie. 


 Dans la postface de l'album, Clément Baloup dit avoir reçu le soutien d'Emmanuel Guibert pour aller "voir plus loin"  et je n'étais pas tellement surprise de trouver cette référence, finalement la démarche de Little Saigon rejoint par certains côtés celle de La Guerre d'Alan ou de l'Enfance d'Alan.  Ceci dit, on sait bien que  l'on pourra toujours proposer le même projet à plusieurs individus, chacun se l'appropriera et le réalisera à sa manière ... cela est d'autant plus vrai que le point de départ des deux auteurs n'est pas tout à fait identique !  Mais ces deux lectures rapprochées dans le temps ne pouvaient que rendre leurs similitudes plus remarquables. 
Je ne connaissais pas vraiment l'histoire des exilés vietnamiens, ces quelques portraits sont précieux. Aller chercher la parole à l'autre, la transposer en récit illustré est émouvant en ce que l'on sait que ces témoignages, s'ils n'avaient pas été recueillis se perdraient à coup sûr. Peut-être que mettre au jour ces événements  c'est permettre de quitter la honte et la peur et restaurer un peu plus d'humanité au sein même de  ces situations qui ont été douloureuses et  intolérables.  Faut-il tout à fait oublier,  faut-il laisser exister les souvenirs  pour vivre, dans certaines circonstances ? Certainement des réponses à nuancer selon les situations ... et les protagonistes... Le détour artistique est certainement une aide pour aider à  témoigner sans avoir l'impression de mettre en danger celui qui pourrait se sentir vulnérable.

Une interview de Clément Baloup à écouter  et à voir ici (16 min):

Les Hirondelles, Francis Ponge

LES HIRONDELLES
ou
Dans le style des hirondelles

(RANDONS)




    Chaque hirondelle inlassablement se précipite ― infailliblement elle s'exerce ― à la signature, selon son espèce, des cieux.

    Plume acérée, trempée dans l'encre bleue noire, tu t’écris vite !
    Si trace n'en demeure…
    Sinon, dans la mémoire, le souvenir d'un élan fougueux, d'un poème bizarre,
    Avec retournements en virevoltes aiguës, épingles à cheveux, glissades rapides sur l'aile, accélérations, reprises, nage de requin.
    Ah ! je le sais par cœur ce poème bizarre ! mais ne lui laisserai pas, plus longtemps, le soin de s'exprimer.
    Voici les mots, il faut que je les dise.
    (Vite, avalant ses mots à mesure.)
    L'Hirondelle : mot excellent ; bien mieux qu'aronde, instinctivement répudié.
    L'Hirondelle, l'Horizondelle : l'hirondelle, sur l'horizon, se retourne, en nage-dos libre.
    L'Ahurie-donzelle : poursuivie, ― poursuivante, s'enfuit en chasse avec des cris aigus.

    Flèche timide (flèche sans tige) ― mais d'autant véloce et vorace ― tu vibres en te posant ; tu clignotes de l'aile.
    Maladroite, au bord du toit, du fil, lorsque tu vas tomber tu te renvoles, vite !
    Tu décris un ambage aux lieux que de tomber
    (comme cette phrase).
    Puis, ― sans négliger le nid, sous la poutre du toit, où mes mots piaillent : la famille famélique des petits mots à grosse tête et bec ouvert, doués d'une passion, d'une exigence exorbitantes ―
    Tu t'en reviens au fil, où tu dois faire nombre.
    (Posément, à la ligne.)

[...]


Francis Ponge, « Les hirondelles ou Dans le style des hirondelles » [1951-1956], in Pièces, Œuvres complètes, I, Gallimard nrf, Bibliothèque de la Pléiade, 1999, pp. 795-796.



 P.S.1 : ce poème dédié à Pierre-Jean  Dessertine, en écho au texte inquiet qu'il écrivait au printemps, à lire ici : http://intempestifs-a-s.blogspot.fr/2013/05/crise-ecologique-le-point-de-non-retour.html

P.S.2:  ce poème aussi, en prolongement de la lecture de cet article sur le site de la galerie Alain Paire, à propos d'un autre poème de Ponge, "Le galet",  à lire là  : http://www.galerie-alain-paire.com/index.php?option=com_content&view=article&id=269:qle-galetq-de-francis-ponge-et-ferdinand-springer&catid=1:exposition-actuellement&Itemid=2
 

 

dimanche 14 juillet 2013

John Donne, Aucun homme n'est une île

John Donne ,  Aucun homme n’est une île (No Man is an Island)




Aucun homme n’est une île, un tout, complet en soi ; tout homme est un fragment du continent, une partie de l’ensemble ; si la mer emporte une motte de terre, l’Europe en est amoindrie, comme si les flots avaient emporté un promontoire, le manoir de tes amis ou le tien ; la mort de tout homme me diminue, parce que j’appartiens au genre humain ; aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas : c’est pour toi qu’il sonne.


  Devotions upon Emergent Occasions (1624)

jeudi 11 juillet 2013

inauguration de l'exposition Ferdinand Springer au Camp des Milles

Samedi 13 juillet, à 16h30 sera inaugurée l'exposition  Ferdinand Springer, peintre et dessinateur ayant séjourné au camp des Milles. 

Un article d'Alain Paire ( à qui a été confié le montage de l'exposition),  à paraître dans le courrier d'Aix pour retracer l'itinéraire  de cet artiste. Mathias Springer, le fils de Ferdinand Springer s'entretiendra  avec Alain Paire, à cette occasion.

Quelques liens pour trouver de l'information:
 http://www.campdesmilles.org/programmation-culturelle.html

 http://www.campdesmilles.org/agenda.html

 http://www.galerie-alain-paire.com/index.php?option=com_content&view=article&id=261&Itemid=3

jeudi 4 juillet 2013

Plat de poissons frits, Francis Ponge

PLAT DE POISSONS FRITS

Goût, vue, ouïe, odorat... c'est instantané
Lorsque le poisson de mer cuit à l'huile s'entrouvre, un jour
de soleil sur la nappe, et que les grandes épées qu'il comporte
sont prêtes à joncher le sol, que la peau se détache comme la
pellicule impressionnable parfois de la plaque exagérément
révélée (mais tout ici est beaucoup plus savoureux), ou (com-
ment pourrions-nous dire encore ?)... Non, c'est trop bon ! Ça
fait comme une boulette élastique, un caramel de peau
de poisson bien grillée au fond de la poêle...

Goût, vue, ouïes, odaurades : cet instant safrané...
C'est alors, au moment qu'on s'apprête à déguster les filets
encore vierges, oui ! Sète alors que la haute fenêtre s'ouvre,
que la voilure claque et que le pont du petit navire penche ver-
tigineusement sur les flots,
Tandis qu'un petit phare de vin doré - qui se tient bien
vertical sur la nappe - luit à notre portée

Francis Ponge, Le parti pris des choses, 1942

Tea in the Sahara, Sting and Gil Evans