mercredi 28 septembre 2011

pierre bergounioux

"Montaigne, qui était un seigneur disert de la riche Aquitaine, dit que philosopher, c'est apprendre à mourir. C'est donc que mourir s'apprend, que nous ne savons pas. Nous devons accéder, pour partir, pour accepter, à une vérité qui nous est d'abord dérobée. Ce long chemin a nom philosophie. J'en connais un autre. Il n'est que de s'engager sur la route tortueuse qui s'élève entre les sapinières. Quand elle débouche sur le plateau, que les arbres, pris de crainte, s'arrêtent, et qu'on voit la bruyère et l'ajonc, le roc, le dôme vertigineux de la nue, qu'on entre dans le silence, on sait. Le sensible est intelligible, l'essence et le phénomène se confondent. On est dispensé des incertitudes et des longueurs de l'étude, des abstractions et du raisonnement, des doutes qui assaillent le penseur méditant, à l'étroit, dans une chambre.
Le granit qu'on peut toucher du doigt, a mille millions d'années. Le ciel est le même, d'un bleu trop pur, vide et glacé, le silence éternel. Nous ne sommes jamais sur cette scène immuable, intemporelle, qu'un accident passager, un émoi négligeable. Cela force l'évidence. Il n'y a pas lieu d'argumenter. "

je voudrais ajouter quelques mots à cet extrait d'un ouvrage de Pierre Bergouniou lu dans Poezibao, ce matin. Certes, comme l'écrit Bergouniou, il n'y aurait pas lieu d'argumenter après la leçon donnée par le paysage et pourtant nous ne pouvons nous empêcher de le faire ... il est donc également dans notre nature de nous interroger et de philosopher parce que l'éphémère de nos vie, bien que recevant la leçon de la Nature, ne peut échapper à sa propre interrogation. On ne peut pas réduire, on ne peut pas simplifier... apaiser, parfois. Si philosopher c'est apprendre à mourir, c'est aussi une manière de vivre, et l'on doit bien vivre aussi avant que d'être mort... je ne suis pas certaine qu'il serait tout à fait souhaitable d'abandonner cette part d'humanité... ?

Poézibao est un journal permanent de la poésie, conçu et réalisé par Florence Trocmé, en lire davantage à ce propos en cliquant ici


Pierre Bergounioux, Un peu de bleu dans le paysage, Verdier 2001, p. 78.

Pierre Bergounioux dans Poezibao :
Bio-bibliographie, extrait 1, recension de École, mission accomplie (par T. Hordé), recension de La Fin du monde en avançant et L’Invention du présent (par T. Hordé), Sidérothérapie, compte rendu par T.Hordé, entretien avec Tristan Hordé : 1ère partie, 2ème partie, 3ème partie avec pdf de l’intégralité de l’entretien, Couleurs (T. Hordé), in notes sur la poésie, Une Chambre en Hollande (par T. Hordé), Pierre Bergounioux, l’héritage (par T. Hordé)

dimanche 25 septembre 2011

anna calvi

Anna Calvi first we kiss , cliquez sur la photo pour accéder à la vidéo...



Anna Calvi, Surrender (Elvis Presley) - cliquez sur la photo pour accéder à la vidéo....


Anna Calvi, Joan of Arc (Leonard Cohen) - cliquez sur la photo...


Anna Calvi Desire , cliquez sur la photo ...


Anna Calvi Blackout , cliquez sur la photo...






Anna Calvi
en concert à l'espace Julien, hier. Beautiful!


Anna Calvi, musicienne anglaise de 28 ans. Auteur, compositeur, guitariste, elle reconnaît les influences de Jimmy Hendrix, Nina Simone, Patti Smith et, en ce qui concerne la musique classique, Ravel et Debussy.
Elle est apparue en noir et rouge, très élégante, les cheveux tirés en chignon, des talons hauts, hauts, hauts....
L'énergie phénoménale déployée dans le chant contraste avec la voix fluette de petite fille quand elle nous parle. Elle écrit donc elle même ses chansons centrées sur la vie amoureuse. Des mélodies et des arrangements musicaux complexes, qui vont nous toucher dans toute une gamme d'émotions. Quand l'énergie explose, c'est à couper le souffle et à donner des frissons....
A retrouver sur son site

Petit souci pour importer les vidéos depuis Youtube, aujourd'hui, il faut donc cliquer sur les liens ou sur les photos prises pendant le concert pour accéder aux vidéos....

mardi 20 septembre 2011

montagne, chemin - raymond galle

J'ai plaisir à annoncer l'exposition montagne, chemin,
présentant les oeuvres de Raymond Galle,
au 200 rd 10 ,
Les Lamberts
route de Vauvenargues

le vernissage se fera le samedi 1er octobre
à partir de 18h30

Plus de renseignements à glaner dans le document ci-dessous...
Montagne, chemin, s'inspire de la langue chinoise dans laquelle paysage se dit montagne, rivière. Nous retrouvons là des thématiques chères à Raymond Galle dont les oeuvres s'inspirent de son environnement proche, la montagne Sainte Victoire.

De grands formats réalisés sur du papier d'affiches récupéré et à l'acrylique. Il faut se rendre sur le site de l'artiste pour avoir un aperçu des travaux récents et antérieurs.

Des dessins des enfants de l'école communale de Vauvenargues seront également exposés.

Pour se rendre sur le site de Raymond Galle (cliquez ici)
Un lien direct vers le travail montagne 2011 (cliquez ici)





vendredi 16 septembre 2011

suite arlésienne


Bientôt, du 12 au 26 octobre prochain, l'exposition Suite Arlésienne, imaginée par le président d'ARTEUM, Pierre Vallauri, suivi dans son projet par les galeristes Alain Paire et Corinne Théret, présentera quatre artistes ayant choisi de vivre et d'installer leur atelier dans le territoire arlésien :
Gabriel Delprat,
Gérard Eppelé,
Michel Houssin,
Heribert Maria Staub


Pierre Vallauri m'a, à cette occasion, proposé d'écrire les articles du catalogue de l'exposition pour les artistes Gabriel Delprat, Gérard Eppelé et Héribert Maria Staub. Alain Paire a rédigé celui de Michel Houssin que l'on peut lire sur le site de sa galerie foules en fugues, visages et paysages (cliquez ici pour accéder à l'article)
En avant première, je publie ici la suite des trois articles, illustrés de photos que j'ai prises lors des visites des ateliers au mois de juillet 2011. A ce titre on excusera leur piètre qualité technique, mais on pourra apprécier l'ambiance des ateliers qu'elles font deviner.
Dès à présent, je tiens à remercier Pierre Vallauri de m'avoir donné cette belle occasion de rencontrer ces artistes de grand talent. Chacun a dans sa singularité, construit une oeuvre qui est le travail d'une vie, rendant compte de la façon dont la vie travaille un être et leur ressemble au plus près. Cette expérience m'a beaucoup apporté et j'espère que la lecture de ces textes vous intéressera.

jeudi 15 septembre 2011

Gabriel Delprat


Aiguadier sur son vélo, sculpture de Gabriel Delprat

Gabriel Delprat est devenu arlésien dans les années 1968, s’installant avec sa femme dans une vieille maison familiale. Un immeuble situé dans le périmètre des arènes d’Arles. On devine que pour l’artiste, la vie et l’art ne sont jamais distingués, mais entrelacés comme deux fils de chaîne et de trame dans un tissu. L’atelier est indistinct de l’appartement de Gabriel Delprat, il en est comme une ramification, si ce n’est la veine principale. Une vaste pièce blanche sous les toits dont les fenêtres donnent sur la rue. Un poêle pour chauffer en hiver. De grandes tables, une pour entreposer des travaux, préparer des encadrements, une autre pour les travaux en cours, une table ronde autour de laquelle nous prendrons un verre. Une table d’architecte aussi. Partout des travaux visibles, en cours de réalisation, des papiers blancs, des cadres, des outils utiles à l’artiste et quelques objets sculptés. Contre le mur, au sol, empilements de tableaux de divers formats adossés, ils sont classés par thèmes. De grandes toiles d’arbres, des platanes, ceux qui figuraient dans l’exposition Le Jardin déplié en 2007 à l’Espace Van Gogh et à la chapelle Saint-Martin du Méjan. Les œuvres montrées abordent plusieurs thèmes poursuivis depuis les années 80 jusqu’à aujourd’hui. Gabriel Delprat y travaille en même temps, prolongeant pour chacun ce qu’il appelle un cheminement, soulignant que dans tout ce qu’il fait il y a toujours un lien.

L’œil qui peut d’une portée, saisir l’ensemble des travaux de Gabriel Delprat depuis une trentaine d’années, ne s’arrêtera pas à l’apparente diversité des formats et des techniques - ces cheminements divers, se rejoignent. Ils témoignent de l’attachement du peintre au travail du paysage. Exploration du terroir, des herbages de la Crau, des marais salants de Camargue, des platanes de la ville d’Arles. Il parcourt les espaces, en posant ses pieds sur le sol, au même rythme que les hommes qui travaillent dans les prés de la Crau, les faucheurs d’herbe, les aiguadiers qui , à vélo, vont d’une martelière à l’autre pour gérer le flux des eaux selon le sens du vent – quand le vent vient de la mer, on les ouvre pour laisser l’eau entrer. Puis on les ferme et on laisse évaporer. Gabriel Delprat prend son identité dans le terroir où il puise. Il regarde, interroge la terre qu'il parcourt au même rythme que ces hommes dont le métier est de la soigner de veiller sur elle, d’en vivre. Lui aussi est un veilleur, un contemplatif, un marcheur, un glaneur.... ainsi ses oeuvres sont-elles sinon sa récolte, du moins sa production. Pour autant, la peinture de Gabriel Delprat n’est pas une imitation de la nature, s’il s’en nourrit, elle devient ferment de son imagination d’artiste, de son travail de peintre dans l’atelier.
Plis et Replis
Processus complexe de la maturation de l’œuvre, depuis le paysage parcouru à l’œuvre peinte. Gabriel Delprat, issu du mouvement d’avant-garde des années 1969 Support-Surface accorde un intérêt constant aux matériaux servant à la réalisation de l’œuvre, au geste créatif et à l’œuvre réalisée. Il intervient d’un bout à l’autre, créant ses matériaux comme ses papiers de la série Plis-Replis , fabriquant les pinceaux en fonction de l’effet voulu, inventant des procédés de découpage par brûlage pour obtenir des images identiques en vue de la réalisation d’un livre. On pourrait qualifier son travail d’œuvre totale, ayant souvent été attiré par le désir d’une vie – vie créative- en autarcie . Maîtrisant sa création d’un bout à l’autre, il crée et se suffit à lui-même.


Martelière
Dans la série des peintures sur papier, Plis- Replis , commencée dans les années quatre-vingts, ces formats de belle taille (55 x 75 cm) présentent un papier plissé et teinté dans le cœur même de la matière. Pour travailler sur le pli, de la manière qu’il le souhaitait, c'est-à-dire réaliser un pli plein qui ne soit pas obtenu par froissement mais par plissement, au sens géologique, Gabriel Delprat a été conduit à fabriquer lui-même son papier. Ainsi, il apparaît que le pli n’est pas un état secondaire ou une altération de la surface, mais une émergence résultant de poussées internes. Le papier est ainsi perçu comme matière vive laissant imaginer dans les circonvolutions mousseuses aux reliefs sensuels, des trognes grimaçantes ou des masques grotesques. Toutefois, elles s’inspirent d’abord de l’observation du paysage, plus particulièrement de l’action du vent qui, effleurant la surface les marais salants, fait mousser l’écume à sa surface, l’agrégeant au rivage en formes délicates et nuageuses. Une autre série, Martelière, propose une variante aux premiers reliefs Plis-Replis. Le papier, toujours travaillé en plis dans la masse semble alors contenu par des dessins - peinture acrylique noire appliquée au pinceau fin - de formes géométriques, rectangulaires et verticales, figurant les martelières, ces plaques de métal qui, comme des couperets de guillotine, sont levées ou abaissées dans les canaux pour gérer le flux de l’eau entrant dans les bassins. Dans la série Martelière, les contrastes sont multiples. Contraste coloré du noir sur blanc, du relief blanc paraissant tranchés ou absorbés par les rectangles sombres. Les plis ici semblent organisés de façon plus symétrique, tels des voiles affalées, bouillonnant de trop de matière, butant sur quelque obstacle. Certains tableaux, jouant sur les effets de dédoublement ou de miroir semblent désorienter l’espace sitôt construit. Deux éléments statiques sont représentés, l’écume et la martelière, mais c’est le vent, immatériel et impalpable qui crée le dessin et le volume. Ainsi le pli et repli sont-ils la manifestation d’une cause invisible, mais tangible, le vent qui lèche les marais.

Saules calcinés

L’artiste est un inlassable arpenteur, observateur de la nature et du travail de l’homme qui façonne le paysage arlésien et plus particulièrement, les prairies de la Crau. Longtemps, souvent, il a voulu accompagner tous ces gens qui font des métiers particuliers, ces hommes qui, à pied ou a vélo, chaussés de grandes bottes, vêtus de coupe-vent, parcourent les prés, font pousser l’herbe, la coupent, entretiennent les faussés et, en hiver, mettent le feu aux troncs des saules laissant de grandes béances noires, comme des ventres fendus, éviscérés que Gabriel Delprat a figuré dans quelques dessins titrés Saules Calcinés. De cette moisson d’impressions est issue la série des peintures à l’acrylique sur papier l’enjambée , dans les années 2001. Il a puisé à la source, livré ses impressions colorées, formelles, poussé vers l’abstraction, gardé la sensation épurée d’une vibration de l’herbe dans le vent, un sillon, un bouquet de fleur, le bleu d’un ciel, la botte d’un homme, le cadre ou la roue d’un vélo, une pelle, le reflet d’une image dans l’eau. Tout cela retravaillé dans l’atelier, découpé, recomposé par delà le réel, sur la base de quatre carrés juxtaposés pour former des rectangles de 40 x 50 cm.

Les pins

Il est des gestes, presque symboliques, que l’on perçoit de façon récurrente dans l’élaboration du travail de l’artiste, celui de faire l’image, de dégager, d’extraire l’icône à partir de l’observation, puis, par découpages et assemblages successifs, de recomposer un dessin, un paysage intérieur visible. De même qu’il fait figurer la martelière, sorte de couperet, Gabriel Delprat coupe lui aussi dans le flux des matériaux vivants auxquels il puise. De même le paysan fabrique-t-il le paysage et qu’une vue surplombante fait apparaître la juxtaposition des parcelles, avec papiers, peintures et ciseaux, l’artiste compose un paysage imaginaire ancré dans le réel d’un territoire, mais juxtaposant des impressions plus personnelles, plus abstraites, sans masquer les lignes de rupture, de suture. Deux gestes qui semblent s’opposer : séparer - assembler, mais essentiels pour laisser place dans l’ouverture du geste suspendu, à l’inattendu de la rencontre. Il est toujours possible de renouveler , de donner naissance. Comme le saule qui repousse après le feu qui l’a rongé de l’intérieur, l’oeuvre est un phénix qui ne cesse d’être à nouveau, un renouveau. Tout ce qui est créé est à la fois la fin d’un parcours, autant dire quelque chose d’achevé, mais aussi ce que l’on dépose ou que l’on écume pour aller au-delà.


Van Gogh

Longtemps Gabriel Delprat s’est interdit, bien que fasciné par la figure tutélaire, de travailler autour du peintre autant que du personnage Van Gogh. Il a enfin réalisé une série de portraits - acrylique sur papier - de l’artiste Hollandais tenant le couteau à raser (encore ici l’image du couperet) avec lequel il s’entailla l’oreille. Silhouette de visage avec une main qui monte vers l’oreille, le couteau déployé. Instant saisi avant le geste fatal. La réalisation est sobre, va à l’essentiel, épure la lutte héroïque, mais vouée à la défaite, de l'homme contre la fatalité. Ce geste que Van Gogh n’a pu retenir. Par des lignes qui ne dessinent que l’essentiel, la qualité des noirs denses, ultimes, la force du trait qui ne pouvant plus se contenir vacille à en éclabousser la surface, Gabriel Delprat peint la tragédie d’un individu, mais aussi la tragique condition de l’homme. En contrepoint du geste fatal, Gabriel Delprat opère un retrait, il choisit l’instant qui précède, ce fil du côté de la vie qui résiste. Celui qui peint, au moment où il crée reste du côté de la vie, vainqueur encore des forces qui l’assaillent, angoissant mélange de grandeur et de faiblesse. Quelque part, il est celui qui luttant encore, affirme qu’il est vivant avec une opiniâtre adversité.

Texte de Florence Laude, août 2011.

Gérard Eppelé

"Petit personnage au journal"

Lorsque Gérard Eppelé choisit de poser son atelier à Arles en 1998, il quitte Tourettes-sur-Loup, où il vivait depuis l’année 1973, enseignant à la Villa Arson, école nationale supérieure d’art située au nord de Nice, pendant plus de vingt ans, jusqu’en 1992. Né à Cherbourg en 1929, il a grandi au Maroc, est rentré en France en 1942. D’abord formé au métier d’ajusteur, il fréquente ensuite l’école des Beaux-Arts de Toulouse, puis, pendant deux ans encore, l’école nationale de tapisserie d’Aubusson pour laquelle il obtient une bourse. Il travaille quelques années comme peintre décorateur dans le cinéma avec Max Douy et Claude Autant-Lara. En 1959, des problèmes de santé lui imposent de s’installer dans le sud-est. Etabli à Vence, il rencontre Jean Dubuffet et devient son assistant. Ce dernier le recommande à Alphonse Chave qui lui permet de faire sa première exposition, Les dormeurs, en 1960 à Vence.

Pendant l’entretien dans son atelier, Gérard Eppelé a souhaité me présenter son travail dans un ordre chronologique, évoquant à propos de ses premiers travaux, une petite mémoire qui se déroule pour redonner une idée du départ des choses. Je me suis laissée conduire par cette proposition, songeant que les dessins et les peintures que j’avais vus lors de précédentes expositions qui plaçaient l’humain au centre de ses préoccupations - il dit volontiers que c’est la nature de l’homme et son existence qui le préoccupent, taraudé par les questions: D’où venons-nous ? Qui sommes-nous? Où allons-nous? - devaient pouvoir s’éclairer d’un retour aux sources. Il a ouvert une pochette en papier kraft étiquetée gouaches 59, 60, 61. Elles montraient plusieurs versions d’un petit personnage qui commençait à poindre dans l’immensité de paysages indéfinissables de montagnes et de ciels et une matière picturale très noyée d’eau. Ce petit bonhomme récurrent tenait toujours un journal dans la main, représentation du lien social, de la volonté de communiquer avec l’autre et avec le monde, à la fois autoportrait et figuration de l’autre. Ce personnage à veste bleue, évoquant le bleu de l’ouvrier, du travailleur manuel parfois coiffé d’un béret, fut bientôt suivi d’un homme au pull noir et au visage lunaire si caractéristique du dessin de Gérard Eppelé, sorte de portrait archétypal figurant par sa vêture banale, presque misérable, cachant un corps tout aussi misérable, l’absurdité de la condition humaine telle que Beckett pouvait la donner à voir. Dès cette époque, Gérard Eppelé entreprit de classifier son travail avec méthode notant sur chaque œuvre, un titre, une signature, une date et un numéro d’ordre.

L’homme est initialement peint dans sa solitude, perdu dans un vaste monde aux contours flous dans lequel il semble se noyer ou se diluer, se raccrochant à la vie, par la présence du journal, représentation de l’activité intellectuelle et de l’ancrage dans un monde au contraire intelligible, dont on peut en tout cas écrire l’histoire. La main, repliée sur le journal, rappelle le geste du coureur de relais qui passe le témoin symbole de l’enchaînement d’une génération à l’autre où le sens ne se perd pas mais, au contraire, prend du relief, dans la perspective que ce recul historique favorise. A cette première figure vient s’ajouter celle de l’homme au pull noir, archétype de l’homme absurde, celui qui a renoncé à croire à toute transcendance, qui célèbre la vie en songeant toujours à la mort (nous y reviendrons) , annonçant un parcours d’une cinquantaine d’années où l’œuvre peinte et dessinée ne cesse d’observer l’humain dans son rapport à lui-même, à l’histoire, à la société, à la culture, travaux rassemblés en 2006 à la Villa Tamaris, à La Seyne-sur-Mer, sous le titre La pratique de la mélancolie. Un triptyque récent qui n’est pas présenté ici, Rien, l’être, fruit d’une résidence à Gap en 2010, s’inspire du retable d’Issenheim de Grünewald mais rompt avec l’histoire du panneau central où l’on voit le Christ crucifié, plaçant dans des panneaux opposés, d’une part une image d’homme contemporain et dans l’autre, l’homme et l’oiseau fétiche de la grotte de Lascaux, plaçant en vis-à-vis les deux extrêmes de la lignée humaine.


Les Reliquaires


Une tuberculose contractée vers l’âge de dix huit ans contraignit Gérard Eppelé à passer cinq ans dans le sanatorium de Villiers-sur-Marne, cela constitua une expérience fondatrice. Cette rupture de vie, totale, subie en pleine adolescence, le confronta à la solitude et, brutalement, à la réalité dure et implacable d’une maladie qui, faute de soins antibiotiques, emportait chaque semaine, un compagnon d’infortune. Comme cela arrive parfois, ces conditions terribles ont par ailleurs été l’occasion de rencontres formidables, de prises de conscience fulgurantes. C’est à ce moment-là, dans ce contexte-là qu’il s’est mis à dessiner et à peindre des séries de portraits. Une manière de briser la solitude en regardant vers l’autre, mais aussi d’ancrer la vie, incertaine, dans le concret, de laisser une trace qui survivrait à la disparition de l’être. On perçoit ainsi pourquoi l’importance de peindre l’humain, de s’attacher au portrait avec une grande fidélité depuis les débuts jusqu’à présent, constituant une œuvre d’une grande cohérence, dont chaque élément semble un maillon de l’histoire individuelle qui rejoint l’Histoire de l’humanité.

Nombreux titres œuvres témoignent d’une volonté de garder la mémoire du vivant et de conserver l’image, l’apparence de celui qui a vécu. Il en est ainsi des nombreux Portraits présentés entre deux feuilles de verre (1987), Les Reliquaires (1982), Les imaginés du Fayoum (années 2000) et plus explicitement encore les Ne m’oubliez pas ou Ne pas être oublié (1997) et en 2010 Ne pas oublier.

Les Reliquaires, grand dessin sur papier marouflé sur toile daté de 1982, comporte en motif principal un reliquaire figuré par un grand buste sculptural coiffé d’un couvre chef pareil à un casque. Le visage est grave, les yeux, d’immenses trous noirs ou au contraire des protubérances cerclées comme des verres de loupes. Le buste posé sur un brancard est porté sur l’épaule par deux hommes vus en pied. Ce motif est répété dans le quart en haut à droite du dessin et ce sont en tout cinq reliquaires et six hommes qui sont dessinés, leur disposition laissant croire, dans la partie gauche, que ce sont deux reliquaires qui en porteraient un troisième, enrichissant la notion de répétition du motif par celle de la mise en abîme du symbole. Il est dit que par l’intermédiaire des reliques le compagnon invisible qu’est le saint marquerait sa présence et sa puissance et qu’il était d’usage vers les XIe et XIIe siècles de se placer sous les reliques afin de bénéficier de leur flux miraculeux - ce que représente aussi le dessin de Gérard Eppelé - et

d’implorer une guérison. A remarquer que la sainte figure prend chez Gérard Eppelé les traits d’un soldat casqué, réminiscence peut-être des années de guerre quand, de 1942 à 45, vivant à Toulouse et souffrant de la faim, la maladie l’avait attrapé. Il vivait dans un foyer de manufacture et officiait comme brancardier et fossoyeur et avait été témoin, alors, des premiers trains de déportés. En 1979, puis en 1983, une série Le poids des autres reprend l’image d’un homme pesant sur les épaules d’un autre, sans que la dimension religieuse affleure, encore qu’elle soit masquée ou plus précisément casquée dans Les Reliquaires, donnant certainement une tonalité ironique à la mise en scène de la procession. L’image d’une humanité se vouant aux saints est quelque peu équivoque quand le saint prend l’apparence d’un soldat, encore que. Quelle polémique naît de la confusion de l’image du saint avec celle du soldat? Une humanité vouée à quoi, portant ses pas vers quel avenir? Est-ce la dérision qui l’emporte ou l’espérance, la foi en humanité? Dessin polysémique par excellence dans lequel la multiplication du motif participe à donner du mouvement à des images séquentielles et à redonner vie à une procession en même temps que la perspective historique participe à en questionner le sens.


Portrait de jeune homme

Les grands dessins de la série Les Locataires (1983) et La Dérive (de 1983 à 1985) ont été faits à une époque où Gérard Eppelé, Michel Houssin et Yvon Vey avaient l’habitude d’exposer ensemble des dessins de grands formats. Les trois artistes se défiaient amicalement à qui réaliserait le dessin le plus grand. Gérard Eppelé en a pour sa part réalisé un de 5 mètres de long sur 70 cm de large qui fut exposé en Allemagne. Dans les deux séries nommées plus haut, les personnages, hommes, femmes enfants, représentés en pied, assis de face ou de dos, ou encore debout, marchant à grandes enjambées si bien que certains vont même jusqu’à sortir du cadre, se meuvent dans des paysages imaginaires où figurent pourtant immeubles, végétation, ciels chargés de nuages. Le trait des arrières plans, vigoureux, ample dans un mouvement balayé apporte une dynamique soutenue par la disposition des masses sombres et claires des paysages. Les personnages semblent soucieux, habités d’interrogations anxieuses, pris d’une agitation inquiète ou, au contraire dans une posture statique. Qui sont-ils? Que leur arrive-t-il? Où vont-ils? Qui ne s’est pas posé cette question en croisant des visages inconnus, affairés à leur propre existence qui nous échappe? Dans le ciel d’un des dessins de La Dérive apparaît, une face lunaire à visage humain qui ressemble à certains grands portraits comme Tête blanche (1970), Les Yeux noirs (1971), La grande face (1984).

la dérive

Ces trois têtes sont cadrées au plus près, elles occupent tout l’espace pour Tête Blanche et Les Yeux noirs, Dans La grande face le visage semble un astre posé dans un vaste ciel. Un large bandeau horizontal est réservé au bas du dessin, créant une marge gigantesque comme une prédelle occupe l’espace sous un retable. Deux personnages de plus petite taille dont on ne voit que la tête semblent se tourner le dos, sur le point de s’éloigner dans des directions opposées. La grande face, aussi ronde ou lunaire que les deux autres dessins de visages, montre un redoublement des organes yeux-nez-bouche produisant une figure monstrueuse et fantastique exprimant la même dualité que les deux visages dans le bandeau inférieur. Cette face grotesque nous scrute de ses quatre yeux, nous renifle de ses deux nez et nous parle par ses deux bouches ouvertes de façon impressionnante. Elle semble dessinée à l’image des gargouilles monstrueuses que l’on plaçait à l’extérieur des bâtiments pour éloigner l’esprit maléfique, encore que gardant une apparence bien humaine et qu’elle nous ressemble comme un frère! Tête blanche semble se diluer dans les circonvolutions d’une matière filandreuse dont les organes peinent à émerger, sorte de momie dont les bandelettes seraient en train de se dissoudre. Les Yeux noirs, de véritables puits sombres au centre de cratères profonds, évoquent ces trous noirs qui, dit-on, absorbent la matière. La bouche est bien close, le nez pincé comme pour retenir un souffle. Le visage qui n’entre pas tout entier dans le cadre semble exagérément gonflé et embarrassé. Comme la grenouille de la fable, il paraît s’enfler si bien qu’à la fin il va crever, ce que confirment les yeux déjà creux. Ces trois grands dessins où les visages semblent des masques plus que des figures vivantes, questionnant la mort.
Tête blanche



Les Yeux noirs


Grande face

En contrepoint, une série de dessins où des personnages tiennent des photos à la main, Lui et les autres (1974), L’image du semblable (1971) et puis encore, deux dessins intitulés Portraits (1987) présentés encadrés entre deux feuilles de verre, sont une galerie de portraits dans une mise en page qui s’inspire de celle d’une planche de bande dessinée. Chaque case est occupée par un visage. Il faut rapprocher tous ces dessins de la pratique de la photographie et de la fonction qui l’a popularisée au XIX me, celle du portrait photographique qui permettait de fixer à l’identique avec la réalité le visage d’une personne. D’autres dessins, encore, Les imaginés du Fayoum (année 2000) évoquent les portraits du Fayoum (fin du Ier siècle avant J.C.,fin du IVème siècle après. J.C.) trouvés à partir de 1888 par Flinders Petrie en Egypte, lesquels peints du vivant des personnes, étaient placés après leur mort sur les corps momifiés pour ne pas oublier le visage des gens qui avaient vécu. Ne pas être oublié est dessiné en 1997. Trois autres dessins, de la série Ne pas oublier et L’abandon sont datés 2010.

"portraits"

Je conclurai sur une série de dessins plein d’humour, de grâce et de malice, intitulée L’homme en équilibre sur un pied (1987), où l’on voit un homme sur le point de chuter. Ces dessins trouvent leur source dans une mésaventure personnelle, le jour où Gérard Eppelé qui élaguait un chêne est tombé. La série qui présente l’homme dans l’action, un pied en l’air, l’autre semblant chercher l’appui d’un fil ou d’une surface sûre où se poser, présente la même action sous différents angles, comme si l’artiste tournait autour de son sujet. Ainsi, la chute est-elle transformée positivement en recherche d’équilibre. Ce choix lexical est beaucoup plus significatif que la simple coquetterie personnelle de vouloir qualifier positivement une mésaventure. C’est la préservation de la vie qui est en question quand cet homme semblable à un funambule, bras largement écartés du torse, une jambe levée haut, comme un danseur, joue avec les équilibres. Le trait du dessin frise en abondance de pleins et de déliés, il est vivant sans être tendu outre mesure. Maintenir l’équilibre d’une vie, voilà une leçon pleine de sagesse et plutôt convaincante qui ponctue une œuvre en constante interrogation sur la vie et la mort.


l'homme en équilibre sur un pied

texte de Florence Laude, septembre 2011.