samedi 26 février 2011

Lectures de David B.

Première de couverture Lectures de David B., Jean-Marc Pontier, 2011, PLG - avec un dessin original de David B. en couverture .

Qui vient de paraître aux éditions PLG (cliquez) est une monographie écrite par Jean-Marc Pontier à propos de l’auteur-dessinateur et scénariste David B. dont l’œuvre compte actuellement une cinquantaine d’ouvrages. Le plus connu est certainement l’Ascension du Haut Mal, récit autobiographique en 6 volumes, « émouvant témoignage sur l’histoire de son frère épileptique » (1996-2003).

Lectures de David B. est un incontournable ! D’abord parce qu’il n’existait pas d’ouvrage de référence sur le travail de cet auteur prolifique mais discret , ensuite parce que l’œuvre de David B. mérite qu’on lui consacre une étude capable de conduire le lecteur à travers son foisonnement et sa complexité, enfin, parce qu’un regard critique provoque immanquablement chez le lecteur un regain d’intérêt et l’envie de lire et de relire les albums !

Figure majeure de ce que l’on appelle la Nouvelle Bande dessinée éditée sous le label l’Association à partir des années 1990 (maison d’édition associative co-fondée par Jean-Claude Menu, Lewis Trondheim, Mattt Konture et d’autres…), Pierre-François, David Beauchard - David B - est né à Nîmes en 1959 . Formé à l'école des Arts appliqués Duperré à Paris, sa technique du noir et blanc est influencée par celle de son maître, Georges Pichard, ainsi que par ses auteurs favoris (Tardi, Pratt, Munoz). Il fait ses débuts dans l’illustration jeunesse et des journaux comme Okapi et rejoint l’Association en 1990 (il la quittera au printemps 2005)

une planche de L'Ascension du Haut Mal, saga familiale construite autour de la maladie du frère aîné, Jean-Christophe.

Le titre de l’ouvrage de Jean-Marc Pontier, Lectures de David B., dont il faut remarquer le pluriel, trouve son explication au fil des pages. Lectures au pluriel, pour dire l’impossibilité d’épuiser les lectures de l’œuvre tant les entrées dans son travail sont riches et diverses, et puis pour mettre ses pas dans ceux de l’artiste, grand lecteur lui-même, homme érudit, donc, qui dessine beaucoup de livres et de lecteurs dans ses albums et même des tours de Babel avec des amoncellements de livres et fait dire à son propre double dessiné dans Le Journal d’Italie v.1 : « Voilà un livre qui pense. C’est beau un livre pensé ».


Une planche de l'Ascension du haut Mal, la vocation de dessinateur

Jean-Marc Pontier présente les œuvres de David B. dans une perspective à la fois thématique et chronologique. Ainsi, il aborde « l’autobiographie » par la série des six tomes de l’Ascension du Haut Mal, montrant que cette aventure graphique peut se lire comme « un double combat : graphique et thérapeutique » (p. 23). « Ce récit rétrospectif porte sur la personne du frère, Jean-Christophe, et sur l’histoire de ses crises d’épilepsie. L’auteur est donc davantage témoin impuissant qu’acteur, mais la relation graphique reste un moyen détourné de parler de soi. Mieux : d’une vocation » (celle d’auteur-dessinateur).

Babel (2004-2006) et Journal d’Italie (v .1 Trieste, Bologne, 2010) sont également des récits autobiographiques, l’un mêlant les thématiques des rêves, de la mythologie, des souvenirs et des histoires, l’autre, doublant le journal intime du plaisir de conter, se rapprochant de ce que l’on appelle « la chronique, dans le sens où David B. s’appuie sur le réel pour laisser libre cours à son imagination ».

Le second thème « l’empire des rêves », rend compte de l’importance et de la variété de l’utilisation du (des) rêve(s) dans l’œuvre de David B.. Les Albums Le Cheval blême, 1992 et Les complots nocturnes, 2010 en sont les albums phares, sans que l’on puisse dire que cette thématique leur est réservée.

Viennent ensuite les thèmes de « La quête », de « La mort » et de « l’aventure »... et quelles aventures ! Jean-Marc Pontier fait très justement remarquer qu'"à la distanciation fictionnelle, David B. ajoute souvent celle de l'exécution graphique puisque la plupart de ses récits d'aventure sont illustrés par autrui." Il ajoute : "il est donc intéressant de voir ces obsessions, très cohérentes dans leur onirisme, créant pour ainsi dire un système esthétique, prendre des tours graphiques aussi différents que ceux de ses partenaires: le dynamisme coloré de Christophe Blain (La Révolte d'Hop-Frog, 1997, Dargaud - Les Ogres , 2000, Poisson Pilote) , la poésie mutine d'Emmanuel Guibert ( Le Capitaine écarlate, 2000, Aire Libre), la sobriété mystique de Pauline Martin (Léonora, 2004, Denoël) , l'expressionnisme contenu d'Hugues Micol (Terre de Feu, 2009, Futuropolis)."
couverture du Capitaine écarlate d'après une nouvelle de Marcel Schwob Le Roi au masque d'or.
J'affectionne particulièrement les albums Le Capitaine écarlate, La Révolte d'Hop-Frog, Gus et Les Ogres. Pour être honnête, je dois dire que je n'ai pas une connaissance exhaustive de l'oeuvre de David B. et que mes préférences sont subjectives et les indications toutes personnelles. Le livre de Jean-Marc Pontier est, quant à lui, complet et ses analyses tout à fait éclairantes .

A propos de la Révolte d’Hop-Frog, Jean-Marc Pontier écrit : « Dès l’entame, David B. ne laisse aucune chance au réalisme : dans la nuit bleutée, les rails et traverses d’une voie ferrée se soulèvent, arrachent leur pesant corps des lois d’une tyrannique pesanteur. Une voix - que l’on peut assimiler à celle d’Hop-Frog – incite tous les objets à faire de même : « C’est l’heure, frères / Soulevez-vous » Ainsi le ton est donné. Le thème du « soulèvement », le dédouanement des notions réalistes, nous voilà plongés dans l’étrange nuit de David B., pleine de mystère et qui, on le sait, n’a pas de limites. Le travail de Blain magnifie cette impression première : un premier plan hachuré, des ciels travaillés au pinceau, à la Turner, apposés sur un fond ocre. La profondeur ne se limite pas à l’étrangeté des textes : ici, les travées qui parlent, le ciel outremer mêlé de blanc, participent pleinement de cette esthétique de la révolte ». Voilà qui est dit, on est à la croisée des genres, du western, du fantastique, de la parodie avec l’histoire de ces objets qui parlent et se révoltent… contre « cette notion qui nous rend esclaves : l’utilité ». J'ai beaucoup aimé cet album - apologue qui n'est pas sans rappeler non plus la révolte des animaux dans La Ferme des animaux de George Orwell .

Le Capitaine écarlate , inspiré d’une nouvelle de Marcel Schowb Le Roi au masque d’or , tout en étant « une création à part entière ». fait se rencontrer un auteur , Marcel, piqué de curiosité devant l’étrange mort d’un quincaillier et un capitaine pirate au visage recouvert d’un masque d’or. Jean-Marc Pontier écrit : «Cette « mort d’aventurier » fait rêver Marcel , rat de bibliothèque, érudit, partageant la vie diurne de Monelle. Ces exactions sont l’œuvre d’hommes du Capitaine écarlate, en vérité, un ancien bibliothécaire qui offre une vie aventureuse à ses clients, las de leur vie monotone parisienne, dont on a troqué les têtes contre celles d’authentiques « méchants » : des anciens condamnés à mort décapités. Le capitaine écarlate a le pouvoir de littéralement provoquer des tempêtes. C’est ainsi qu’il échappe à la police sur son vaisseau aérien. Marcel et Monelle sont enlevés à bord du vaisseau. Marcel ne doit sa vie, à l’instar de Shéhérazade, qu’à son art de conter les histoires. Isaac de l’oralité, « bouche d’or » réussit à captiver les marins par ses contes et sauve ainsi sa vie et celle de Monelle. La fin du capitaine est à la fois troublante et prévisible. Après un bref duel, Marcel réussit à retirer son masque : un crâne et la mort en personnifiée apparaissent alors…. ». Le Capitaine écarlate, est un album d’une grande beauté esthétique grâce au dessin et à la mise en couleur d’Emmanuel Guibert , passionnant et subtil dans la progression de la narration qui ne manque pas d’évoquer ( ou de faire référence à ) de nombreux autres récits; somptueux dans la langue ( le parler du peuple de parisien et celui très imagé des pirates ) et la multitude des registres qui s’y côtoient… réalisme, roman noir, fantastique … si bien que Jean-Marc Pontier conclut avec beaucoup de pertinence : « Ainsi est encensé le pouvoir salvateur des mots et de l’amour. David B. opère alors un glissement conceptuel de l’éros/thanatos vers l’éros/logos. Et ce n’est pas le moindre des mérites d’une bande dessinée que de donner la toute puissance du verbe comme primauté narrative ». Le plaisir du texte est bien réel!

La bande dessinée de David B. est, on s’en rend compte à travers les quelques exemples choisis, une œuvre d’une richesse qui ne s’épuise pas à la première lecture et qui contribue à me faire penser que les auteurs de bandes dessinées de cette sorte sont des artistes conjuguant deux qualités artistiques que l’on observe chez les plus grands, celle de l’écriture et du dessin. J'aime ces oeuvres avec lesquelles il faut passer du temps, qui, par leurs multiples références, leurs thématiques qui ont à voir avec les questions essentielles des interrogations de l'homme, dilatent le sens de la lecture en ouvrant sur des horizons ou des rapprochements originaux. Une oeuvre immensément dense et complexe, protéiforme dans laquelle on rencontre un auteur dans toute sa singularité et la condition humaine toute entière. Guy de Maupassant disait à propos des grands artistes: ils "sont ceux qui imposent à l'humanité leur illusion particulière", et je suis convaincue à ce titre que David B. en fait partie. J’en donne pour exemple la couverture et une planche de l’album Roi Rose , d’après Pierre Mac Orlan, paru en 2009 aux éditions Gallimard. On y retrouve le thème des pirates et du Hollandais volant et celui de l’enfant roi.

La planche est dessinée par David B. On remarque dans cette page 11, un découpage original avec le grand format allongé à gauche et les trois cases presque carrées à droite, un dessin qui se découpe sur un fond noir en aplat, donnant une grande présence à l'image et aux couleurs. L'usage du noir est une caractéristique de l'esthétique de David B. Ces images saturées, qui semblent fuir le vide que le blanc, pourrait suggérer sont analysées par Jean-Marc Pontier en ces mots: "cette nouvelle forme de ligne claire. David B. donne à voir des images parfaitement identifiables, quand bien même elles représentent des êtres monstrueux ou légendaires. Jusqu'aux ombres qui semblent solides ou consistantes. Aucune volonté d'ambiguïté dans ces dessins contrastés où les larges aplats de noir nourrissent le mystère sans le noyer dans des traits impulsifs. Tout est maîtrisé dans cette arche graphique, il n'est pas de ligne qui ne soit pensée".

Lectures de David B. de Jean-Marc Pontier est à lire dans son intégralité, mais on peut y entrer par n'importe quelle porte, pour nourrir la lecture que l'on a pu faire d'un album, ou, découvrir à partir des thèmes comment, dans cette oeuvre, il suffit de "tirer le fil, tout finit par venir à vous" ... J'ai beaucoup appris à la lecture de cet ouvrage qui n'a pas manqué de me replonger dans l'oeuvre de David B. pour mon plus grand plaisir!

J'avais consacré une chronique à Jean-Marc Pontier pour la sortie de son album Nouvelles Penchées , en juin 2010, chez l'éditeur Les Enfants Rouges, à retrouver en cliquant ici, et un autre article sous forme d'entretien, publié sur le site de la Galerie d'Alain Paire, lors d'une exposition de dessins originaux accompagnant le publication de l'album de nouvelles graphiques Pièces Obliques, aux éditions Les Enfants Rouges, en 2009, à lire là ...

A vous souhaiter à tous de BONNES LECTURES !