dimanche 30 juin 2013

(info) Le Petit Traité du Plaisir qui met Oubli à la Mort, Nicolas Raccah

Nicolas Raccah était venu présenter son spectacle Le Petit Traité du Plaisir qui met Oubli à la Mort  dans mon appartement ( je l'avais moi-même vu à Miramas dans la maison d'une amie).  Le bouche à oreille  fonctionnant bien, il est revenu à Aix et dans les environs, assez régulièrement. Je reçois de sa part une information que je suis contente de relayer. 

 Ce soir, dimanche 30 juin, l'émission ça rime à quoi ?  sur France Culture, à 20 h, est toute entière consacrée à sa pièce théâtrale.
Elle sera ensuite à l'écoute sur le lien suivant:  http://www.franceculture.fr/emission-ca-rime-a-quoi-nicolas-raccah-2013-06-30-0


Il fait connaître aussi un article que le magazine Télérama lui a consacré cette semaine  (bonne semaine pour lui ! ) 

Et le spectacle continue.... si vous souhaitez connaître cette pièce, l'inviter chez vous, il vous suffit de joindre Nicolas Raccah

06 13 09 31 91

samedi 29 juin 2013

(extrait) A travers un verger, Philippe Jaccottet


II

     Méfie-toi des images. Méfie-toi des fleurs. Légères comme les paroles. Peut-on jamais savoir si elle mentent, égarent, ou si elles guident?  Moi qui suis de loin en loin ramené à elles, moi qui n'ai qu'elle ou à peu près, je me mets en garde contre elles.  Quand on vieillit, le regard intérieur se fait myope. On rêve moins. On devient plus avide et plus avare.  On vieillit quand on commence à se retourner.

     C'est un fait que j'ai été émerveillé par ce verger - et c'est un fait aussi que je ne suis parvenu ni à le comprendre, ni à en communiquer une juste image. D'autre part, j'hésite à m'y ressayer, comme si c'était une perte de temps, comme si j'y croyais moins, aussi.  Ou bien, tout en y croyant encore un peu, je devine qu'il faudrait s'y prendre autrement, plus obliquement. Sans être assuré quand même d'aboutir où que ce soit.

     Je crois deviner pourquoi m'est venue l'image du voyageur qui franchit un col sous la neige. Ce doit être une vieille rêverie, où entrent des souvenirs de marches en montagne réelles, d'autres de lectures parmi lesquelles je distingue l'Etude à propos des chansons de Narayama, un passage qui m'a toujours ému de la Mnémosyne de Höderlin ( "Et la neige comme des muguets de mai qui signifient / Noblesse d'âme..."), certains Haï-ku décrivant des passages de frontières.  Mais ces souvenirs ne me sont pas restés, ces images ne m'ont pas atteint sans raison.  Une fois de plus, il doit s'agir du désir profond, craintif, de passer sans peine un seuil, d'être emporté dans la mort comme par une magicienne.  Un tourbillon de neige, qui aveugle, mais qui serait aussi une multiplicité de caresses, un étoilement de bouches fraîches, tout autour de vous - et dans cette enveloppe, grâce à ce sortilège, on est ravi dans l'inconnu, on aborde à une Terre promise.  Une rêverie très intérieure, émergeant à propos d'une chose qui vous a frappé aussi profondément, quoique rapidement, mais sans que le rapport soit nécessairement fondé.  J'hésite plus qu'autrefois à m'y laisser aller, il m'arrive même de souhaiter la briser comme on déchire une page, rageusement. 

(...)
A travers un verger, Philippe Jaccottet, édition Fata Morgana, illustrations de Pierre Tal Coat, 1975.



    

Calexico, Feast of wire, full album



Calexico est un groupe généreux... on trouve facilement leurs albums ( dans leur version intégrale) sur Youtube...

Calexico, El gatillo, Ancienne Belgique, live in brussels 2008

Calexico est un groupe originaire d'Arizona et de la ville de Tucson, mais le nom du groupe est inspiré par la ville de Calexico à la frontière entre la Californie et le Mexique. Leur musique est également une musique "à la frontière" de plusieurs influences: mariachis,  pop rock,  country... Joey Bruns (chant et guitare) et John Convertino ( batterie et percussions) sont les leaders du groupe...
Here, their official website: http://www.casadecalexico.com/

dédicace musicale  pour  S.  !

mardi 25 juin 2013

Nuits Orphelines, paroles et chansons nomades, vendredi 28 juin

ELL'B Chant(s)
      Aix-en-Provence

Chants du monde, chanson(s) française(s)
improvisations...
mots dits...

Florence Boué-Croisy et Dominique Larrieu 
nous emmènent dans un univers intime, âpre et doux à la fois. 
Si l'humeur est vagabonde, la mélancolie est dominante.
Telle une empreinte digitale, une source profonde et inépuisable.

En écho, la légèreté, le rire et le chant.

Deux voix lumineuses au service de l'émotion.
Une création " à voix nue(s)"

Florence et Dominique vous proposent un dernier rendez-vous avant les vacances d'été, vendredi 28 juin, à partir de 19h30, 9 rue Mignet à Aix.  
Il faut réserver au 04 42 23 56 83.   
(PAF artistes: 10€)

vendredi 21 juin 2013

Transits, artistes en exil à Marseille par Alain Paire, émission sur Radio Grenouille

vendredi 14 juin 2013, Alain Paire conduisait une causerie en marche autour de quelques lieux où vécurent des figures d'artistes  en transit à Marseille pendant les années 40.  Cela se passait dans le cadre du Mucem avec le soutien de Thierry Fabre.


La visite de Marseille commence sur cours Jean Ballard où Jean Ballard  avait établi et créé les Cahiers du sud en 1923. Il se poursuit  Rue Beauvau, où Walter Benjamin résida en août 1940 dans l'hôtel Continental.  Il se termine sous l'ombrière du quai des Belges.   Alain Paire évoque Walter Benjamin et les autres acteurs de cette période difficile où de très nombreux artistes fuyant les dictatures et les fascismes s'étaient exilés à Marseille pensant y être en sécurité:  Stéphane Hessel, Paul Eluard, Max Ernst,  Hanna Harendt et bien d'autres sont longuement racontés....  Si j'ai choisi cette aquarelle de Paul Klee réalisée en 1920, c'est qu'elle a été acquise à l'époque par Walter Benjamin qui l'appréciait énormément .  Pour écouter Alain Paire enregistré par Radio Grenouille, il suffit de cliquer sur ce lien: http://www.radiogrenouille.com/actualites-2/sujets/marseille-transit-traces-dexils-sur-le-vieux-port/


jeudi 20 juin 2013

Home movies, Man Ray

"Home Movies", un petit film dans lequel on voit Ady Fidelin danser, mais aussi Man Ray  dans des scènes qui semblent saisies sur le vif . Ce court métrage fait partie d'un ensemble de plusieurs films dont:
 Rue Campagne première (c. 1923-29, 1 min). Les Chutes des Mystères du Château du Dé (1929, 15 mins). Essai cinématographique: Corrida (1929, 5 mins). Essai cinématographique: Autoportrait ou ce qui nous manque à tous (c. 1930, 11 mins, avec Lee Miller, Man Ray). Essai cinématographique: Poison (c. 1933-35, 3 mins, avec Meret Oppenheim, Man Ray). Essai cinématographique: L'Atelier du Val-de-Grâce (c. 1935, 2 mins). Essai cinématographique: Courses landaises (c. 1937, 10 mins). Essai cinématographique: La Garoupe (c. 1937, 9 mins, avec Pablo Picasso, Paul Éluard, Nusch Éluard, Cécile Éluard, Emily Davies, Valentine Penrose, Roland Penrose). Essai cinématographique: Ady (1938, c. 1 min, avec Ady Fidelin, Man Ray). Essai cinématographique: Dance (1938, 7.5 mins). Essai cinématographique: Juliet (c. 1940, 4 mins, avec  Juliet Browner, Man Ray in Hollywood). Essai cinématographique: Two Women (date inconnue, 4 mins).

• Temps total de projection: 73 mins, Silent, B&W, 16/35mm,  Centre Georges Pompidou

 Qui était Ady Fidelin :
Man Ray rencontre Adrienne Fidelin en 1936, jeune danseuse venue de Guadeloupe, qui devient sa compagne. Elle est rapidement adoptée par le cercle de ses amis surréalistes  Il réalise de nombreuses photos d'elle, seule ou avec Nusch Éluard.
C'est grâce à une de ces photos qu'en 1937 elle devient la première modèle noire à parraître dans un grand magazine de mode : Harper’s Bazaar. Jusque là, William Randolph Hearst (l'home qui inspira Welles pour son Citizen Kane) interdisait les photographies des noirs dans son magazine. Il est vrai qu'elle est plutôt café-au-lait...
En 1940, Man Ray se réfugie en amérique, mais Ady préfère rester à Paris pour prendre soin de sa famille.
Plus tard, il semble qu'elle se soit mariée et ait été danseuse  dans un club des Champs-Élysées.

L'étoile de mer, Man Ray, 1928


 Robert Desnos est l'auteur de ce scénario dans lequel il apparaît à la fin auprès de Kiki de Montparnasse.  J'ai trouvé dans l'encyclopédie Wikipédia cette explication de l'inspiratrice de ce film court tourné par Man Ray en 1928.

Desnos voue alors une passion à l'émouvante chanteuse de music-hall Yvonne George.
Elle est la mystérieuse qui hante ses rêveries et ses rêves et règne sur ses poèmes des Ténèbres. Il l'a probablement rencontrée en 1924. Cet amour ne fut jamais partagé. Il le rêvera plus qu'il ne le vivra, source d'inspiration pour de nombreux poèmes, dont ceux de 1926, dédiés à la mystérieuse. Une occasion pour Desnos de renouer avec le lyrisme. Dès que lui parviennent ces poèmes, Antonin Artaud écrit à  Jean Paulhan : « Je sors bouleversé d'une lecture des derniers poèmes de Desnos. Les poèmes d'amour sont ce que j'ai entendu de plus entièrement émouvant, de plus décisif en ce genre depuis des années et des années. Pas une âme qui ne se sente touchée jusque dans ses cordes les plus profondes, pas un esprit qui ne se sente ému et exalté et ne se sente confronté avec lui-même. Ce sentiment d'un amour impossible creuse le monde dans ses fondements et le force à sortir de lui-même, et on dirait qu'il lui donne la vie. Cette douleur d'un désir insatisfait ramasse toute l'idée de l'amour avec ses limites et ses fibres, et la confronte avec l'absolu de l'Espace et du Temps, et de telle manière que l'être entier s'y sente défini et intéressé. C'est aussi beau que ce que vous pouvez connaître de plus beau dans le genre, Baudelaire  ou Ronsard. Et il n'est pas jusqu'à un besoin d'abstraction qui ne se sente satisfait par ces poèmes où la vie de tous les jours, où n'importe quel détail de la vie journalière prend de l'espace, et une solennité inconnue. Et il lui a fallu deux ans de piétinements et de silence pour en arriver tout de même à cela. » (Antonin Artaud, Oeuvres complètes, Gallimard, 1979)
Cette mystérieuse, Desnos lui a donné un visage et une voix. Elle est cette Étoile de Mer offerte en 1928 à Man Ray. Elle est celle pour qui la plume du poète laisse couler :

J'ai tant rêvé de toi
Que tu perds ta réalité..


Un lien pour prolonger l'information à propos de Man Ray et de ce film (en particulier le texte d'un discours prononcé par Robert Desnos à l'issue du film):

Le mystère du château de dé, Man Ray, 1929





Cliquez sur le lien ci dessous pour accéder au film.


 Le mystère du château de dé est un film écrit et réalisé par Man Ray en 1929 (assisté de Jacques-André Boiffard). Il met en scène un couple de voyageurs quittant Paris pour se rendre à Hyères à la Villa Noailles, traversant les paysages variés de France.  Il arrivent enfin dans la Villa de Noailles, vide... où apparaissent tout à coup quatre individus qui jouent leur destin aux dés.  S'ensuivent des scènes de jeux acrobatiques et de jonglerie dans la piscine  et à ses abords.  Les personnages explorent ensuite les pièces de la villa jusqu'à leur disparition progressive ...Ce film de 27 minutes dans sa version intégrale est le plus long que Man Ray ait réalisé à cette époque.  Film qui illustre bien les thèmes et l'esthétique surréalistes de cette époque.  Il présente aussi des oeuvres cubistes, en particuliers des sculptures de Picasso et de Joan Miro.

Les acteurs: Man Ray, Georges Auric, Le Comte de Beaumont, Marie-Laure de Noailles, Le Vicomte de Noailles et Jacques-André Boiffard.

Il faut dire que ce film est actuellement présenté au musée Granet à Aix-en-Provence, dans le cadre du Grand Atelier du Midi (GAM), de Cézanne à Matisse, dans sa version intégrale (27 min), du 13 juin au 13 octobre 2013.

dimanche 16 juin 2013

Bill Braxton, légende - Jean-Marc Pontier - Objectif Mars éditions




Bill Braxton est le dernier ouvrage  de Jean-Marc Pontier, publié tout récemment aux éditions Objectif Mars dirigées par Etienne Martin. Un lecteur averti (ou assidu) de l’œuvre de Jean-Marc Pontier  reconnaîtra dans ce récit illustré d’une quarantaine de pages,  imprimé dans un  format à l’italienne,  le saxophoniste virtuose  qui avait le privilège d’ouvrir le recueil de nouvelles graphiques Pièces Obliques ( Les Enfants Rouges, éditeur, 2009). Quelques autres figures traversent  le récit, d’une manière fantômatique… Ces touches d’autoréférentialité  sont  assumées par l’auteur qui s’en amuse d’ailleurs à  la page 4, quand il présente son personnage Bill Braxton :

 « Rappelons les faits. Deux ouvrages en ont parlé. Dans Thirteen days in New-York, travel included, Dom Oliver (1) consacre tout un chapitre  à Bill Braxton, louant son jeu de scène  discret autant que le son exceptionnel qui émanait de son sax. Mais c’est surtout Bill Braxton de Jim Bridger(2) qui retrace avec le plus de précision la légende de Bill. Qu’on me pardonne d’en rappeler ici les grandes lignes.   Bill venait de Brooklyn. Il avait hérité de son arrière grand-père un saxophone qu’il disait magique. Car jamais Bill n’avait appris à jouer.  D’ailleurs personne d’autre que lui n’était capable d’en tirer le moindre son … »





Cette fois le titre précise : Bill Braxton, Légende … La multiplication  des voix  narratives est annoncée.  Comme la rumeur,  la légende  est forcément une histoire reprise par plusieurs voix que  l’on pourrait  comparer à  une sorte de chant polyphonique.  Dans la nouvelle graphique du recueil Pièces Obliques, le narrateur était un « je »  aux contours flous, correspondant plutôt  à une posture narrative qu'à un personnage à part entière,  ayant pour fonction de renforcer l’illusion réaliste  d’une histoire qui n’en était pas moins fantastique à de nombreuses occasions.   

Cette fois, le narrateur   n’est autre que le petit-fils  de Bill Braxton qui reçoit d’un certain William Bones domicilié à New-york,  une lettre dont l’argument se résume à peu près à lui  signifier : « il est temps pour toi de récupérer ce qui te revient », à savoir le saxophone magique du grand-père.     Et voilà le petit-fils, forcément charmé par le chant du sax, fraîchement débarqué à New-York, à l’aube du récit.  




Pour que le petit-fils comprenne un peu pourquoi et comment ce sax et ce grand-père tout aussi inconnus de lui que légendaires outre Atlantique déboulent dans sa vie, il lui faudra faire parler qui de droit, à commencer  sa mère, puis William Bones  le contrebassiste qui l’adressera au  vieux  Phil Washington, peintre de la marine et portraitiste à la retraite qui le conduira jusqu’à  Martha Yaël, psychanalyste à la retraite et de fil en aiguille, au sax de Bill Braxton …  Ainsi sont  posées  les tessitures des voix qui contribuent à  prolonger la légende de Bill.  

Il faut parler de ces personnages.  Il est vrai que dans la quête de l’objet  (le sax), le narrateur doit passer par  ces trois  sujets.   A écouter leurs récits, on comprend que ces quatre là formaient  en leur temps (était-ce dans les années cinquante ou soixante - Le récit ne tient pas à le préciser -  une sorte de quartet : deux musiciens , un peintre  et une muse  psychanalyste,  mélomane et  nymphomane,  qui  pouvait  bien tenir le rôle du  chef d’orchestre  et  tirer quelques ficelles  du trio d’artistes, en catimini… Arrive sur le tard du récit, un certain Stan Halliway ex-taulard, compagnon de Bill à la prison de Dempsey. 

Et le narrateur ?  Acteur du récit, petit-fils de Bill Braxton, il  attache  le lecteur à ses pas, le promène dans les rues de New-York au rythme de ses propres déambulations dans les quartiers,  des bords de l’Hudson à Manhattan, de Greenwich à Wall Street, du Guggenheim au JFK airport, faisant escale dans les clubs de jazz, le fameux Saint Nic’s ou le Blue Note, le soir.  Mais voilà, il  est bien le seul personnage du récit à n’avoir pas de nom !  Serait-il alors, comme Ulysse dans sa quête, celui qui se nomme   personne ?   Je reviendrai sur cet aspect du personnage, mais il m’apparaît  nécessaire d’envisager d’abord la manière dont se pose la question de l’héritage dans ce récit. 

La lettre envoyée par William Bones  pour annoncer l’héritage, ne peut qu’éveiller une interrogation : accepter ou ne pas accepter l’héritage du grand-père ?  Un héritage est d’abord un choix, il peut aussi bien constituer une dette dont il faudra s’acquitter, qu’un profit.  Accepter un héritage, c’est faire le pari  de gagner … ou de perdre.   A ce titre, la visite  à sa mère, avant le départ est  intéressante.  Elle confirme la filiation et encourage l’acceptation de l’héritage. L’héritage est au centre du récit, non seulement parce que  la découverte de l’objet  supposé fantastique  permettrait de lever l’énigme (ou la légende) selon laquelle ce n’était pas Bill Braxton qui était un extraordinaire   saxophoniste, mais son « sax qui était un peu « djoudjou », c’est-à-dire doué d’un pouvoir assez troublant qui consistait à ne jouer qu’avec les descendants du grand-père de Seattle ». L’héritage est aussi   le moteur de la narration, en ce qu’il est une quête, un voyage à l’étranger et dans l’inconnu.  « Je ne comprends pas bien l’anglais et le je parle encore plus mal », annonce le narrateur en préliminaire, comme pour  prévenir que tout ce qui peut arriver ne sera pas totalement maîtrisé, que ce voyage à l’étranger comprendra bien une part d’étrange et d’indéchiffrable. Le lecteur est bien entendu une sorte de double du "je" que l'on promène aussi. 



Qu’en est-il de l’héritage ? Si le narrateur, petit-fils de Bill Braxton  arrive à ses fins et met la main sur le sax, celui-ci n’en continue pas moins de se dérober … et le sort semble s’acharner relayant la question de l’héritage par celle de la quête identitaire  pour ce que  la poursuite de l’objet semble, sans la résoudre non plus, interroger la construction du sujet.   Est-ce d’un bien que l’on hérite ou d’un don? Car  une fois l’instrument récupéré, il se pose  le problème d’en jouer et d’en jouer aussi bien que  n’en jouait son ancêtre … Dans cette nouvelle question de filiation ce n’est plus la mère qui peut donner la réponse, c’est au « je » d’abattre son « jeu » et de faire ses preuves tout seul, dépouillé de tout!
  
  Pour se trouver, il faut se perdre  et rien de tel qu’une grande ville étrangère pour cela, rien de tel que l’errance, la solitude  et le silence.  Comment évaluer ce qui se gagne et ce qui se perd, si ce n’est d’avoir « la certitude d’être vivant, plus que jamais vivant » ?  ( Très camusien ? ) Un héritage qui semble lui glisser entre les doigts, se dérober matériellement mais qui aura changé durablement, le cours de sa vie. Qui était le « je » du début du récit ? Qui est-il à la fin ? Il n’a pas livré son nom, il demeure  le « petit-fils de Bill Braxton » ( les héros des légendes aiment que leur nom soit prononcé.  Est-ce donc pour cette raison que Bill Braxton n'admet pas de concurrence, même familiale ? Pour parler du "je" narrateur-personnage il est faut toujours nommer le grand-père: "je"  reste le petit-fils de Bill Braxton, belle astuce !). A la fin du récit, non seulement le petit-fils n'a pas acquis un nom, ni même un prénom, ni un surnom, mais il perd jusqu’à ses papiers d’identité !   Ces dimensions de l’histoire, je les trouve personnellement riches, vraies et intéressantes.   

« Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident : j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène.»(3)




Dans la première version de Bill Braxton(4), Jean-marc Pontier avait  choisi le format de la nouvelle graphique s’appuyant sur la structure régulière du gaufrier de neuf cases. Ici, il opte pour un texte illustré réservant une belle  part au texte, magnifiant les dessins ou les quelques planches qu’il insère.  Le texte et le dessin dialoguent.  

 Washington : « Tiens, garçon, je te laisse ce carton.  Tu y trouveras tout ce que j’ai dit là dedans. Je te donne ces dessins, parce qu’ils racontent mieux les choses que les mots, du moins les miens » .

Au bout du compte, on ne sait pas si notre personnage, petit-fils de Bill Braxton aura hérité du don artistique de son grand-père. Parviendra-t- un jour à tirer un son de ce sax ? On ne sait pas si on peut compter le dessin au nombre de ses talents, mais il est bien certain que personne ne revendique la part de l’écriture et qu’elle lui revient … fluide et travaillée comme une partition de jazz ! C'est un bonheur d'entendre le texte lu àLes dessins sont silencieux, mais on voit apparaître par intermittence des mots écrits,  enseignes ou lettrages superposés aux dessins des paysages urbains ils font parler New-York  à la manière bruyante et tapageuse  des américains à travers les  injonctions des slogans publicitaires : « rent », « turn here », « step »… Les dessins des paysages accompagnent les déambulations du personnage.  Jean-Marc Pontier affectionne les façades agglomérées, aux fenêtres alignées,  formant des blocs compacts, les perspectives  qui poussent jusqu’au ciel des verticales ambitieuses. New-York est une ville glorieuse qui se redresse des attentats de 2001.   Les autres dessins,  des portraits,  silhouettes  saisies dans la rue, dans les boîtes de jazz, mais aussi les musiciens, Bill Braxton, William Bones, le peintre Phil Washington et la psychanalyste Martha Yaël.  Beaucoup de noirs, de blancs et de gris ponctués de notes de couleur. La qualité du dessin, expressionniste et suggestif  mais plus délicat que celui de la première nouvelle graphique convient parfaitement à saisir la ville et  les portraits pris sur le vif.   Là encore, le personnage - narrateur semble absent ou imprécis. A plusieurs reprises  apparaît la silhouette d’un homme  en complet veston noir, portant cravate, attifé d’un chapeau, sorte de Borsalino à l’italienne, est-ce lui ? Est-ce Beppe Albamonte le principal mécène du peintre ?   La confusion est entretenue, on devine que la plupart des  dessins doivent être attribués à Phil haute voix.

Je dis bravo !

Au moment de mettre le point final à cette chronique, parce qu’il faut bien conclure et « envoyer », je sais que j'aurai des repentirs. Lorsque je me relirai et que je parcourrai  à nouveau le récit Bill Braxton, il y a fort à parier que d’autres  idées me viendront, je me dirai que j’aurais pu formuler cela différemment, ajouter ceci, faire plus attention à cela.  Ma façon de lire, ma façon d’écrire  semblent n’être pas chose constante.  Si j’avais écrit hier plutôt qu’aujourd’hui, c’est d’autres mots que j’aurais employés et à quoi cela tient-il ?  D’ailleurs, la relecture, à coup sûr veut des corrections, comme pour  chercher la note plus juste, mais je doute sur l’on puisse jamais en trouver une de certaine....


(1) Thirteen days in New-York, travel included,  de Dom Oliver est la traduction en américain du livre d’Olivier Domerg, Treize jours à New-York, voyage compris, publié en juin 2003 aux éditions Le Bleu du Ciel,  augmenté de treize photographies de Brigitte Palaggi.
(2) Bill Braxton, de Jim Bridger est également la traduction américaine du titre de la première nouvelle du recueil de nouvelles graphiques Pièces Obliques, de Jean-Marc Pontier  (alias Jim Bridger), publié aux Enfants Rouges en 2009.
 (3) Arthur Rimbaud, Lettre du Voyant, à Paul Demeny, 15 mai 1871 (extrait)
(4) Bill Braxton, Pièces Obliques, Les Enfants Rouges, 2009. 

 Pour découvrir l'auteur Jean-Marc Pontier, on peut se rendre sur son blog et sur son site:

 
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