vendredi 28 septembre 2012

Dans l'atelier de Pierre Salvan



Pierre Salvan, troisième artiste rencontré lors de cette journée avignonnaise de  la fin du mois d’août, nous a reçus, Pierre Vallauri  et moi,  à Pujaut, village situé au nord d’Avignon, où il est installé  à présent. Il participera, avec dix autres artistes, à l’exposition de dessins  Traits… intimes , organisée  au musée Arteum de Châteauneuf-le-Rouge du 21 novembre au 22 décembre 2012.   
Au début de l’entretien,  Pierre Salvan  nous a demandé comment nous envisagions de faire  dialoguer son travail avec celui des autres artistes conviés pour l’exposition.     Se définissant plutôt dans une abstraction lyrique,  les autres artistes invités lui paraissaient plus figuratifs ?   Ces interrogations sont légitimes venant de l’artiste  qui va s’exposer.   La série d’entretiens déjà publiée l’a mis en évidence, une peinture, un dessin, une gravure, toutes les  oeuvres, sont une  expression de  soi, une part intime de soi, révélée, rendue visible.  Comme le pronom soi, indique le rapport du sujet avec lui-même, l’œuvre en témoigne autrement. Organiser une exposition collective c’est comme organiser un repas, pour qu’il  soit réussi,  les invités doivent  s’accorder,  trouver matière à échanger, plaisir et intérêt à dialoguer.  Non seulement le choix des convives importe, mais  le plan de table doit être réfléchi.  Qui pourrait s’entendre avec qui ?
Si je tente, dans cette introduction le parallèle de la table et  de la salle d’exposition, c’est que, particulièrement dans l’échange que nous avons eu avec Pierre Salvan, la question de l’autre ( artiste et  spectateur)  et  du dialogue  de l’œuvre   ont été abordées sous l’aspect de la conversation ( étymologie :fréquentation).  J’y ai été sensible  et c’est autour de  deux  thèmes que je rédigerai cet article, le dessin pour exprimer et transmettre un sentiment, une émotion fugitive et  l’idée exprimée par Paul Klee, cité par Pierre Salvan, qu’ « écrire et dessiner sont identiques en leur fond ».  
Pierre Salvan  nous a dit  que cette exposition l’intéressait dans la mesure où elle était axée sur le trait, ajoutant que nous faisons chacun un trait qui est différent, certains  dans l’abstraction, d’autres dans la figuration, et qu’il n’y avait pas, de son point de vue, d’empêchement à mêler, dans un dialogue, ces travaux là.  Cette conversation ouvrait notre rencontre.  Je n’en percevais pas encore, à ce moment là, toute la pertinence concernant son travail.  Il ne m’est apparu que plus tard, qu’il  avait, en quelques phrases, en quelques mots, mis à jour les fondations de son œuvre, le dessin comme trait, signe et  dialogue.  Le verbe à travers  (au moyen de)  la matière, dans le trait pictural.  Il l’a répété à plusieurs reprises durant l’entretien,  si ses dessins  sont  esthétiquement à placer dans l’abstraction lyrique,  s’il refuse le plus souvent de donner des titres pour ne pas influencer  la perception, l’émotion que le « regardeur » peut ressentir, il nous a parlé des situations vécues, des images réelles  qui ont suscité  chez lui une émotion, une sensation puis  l’envie de l’exprimer  sous la forme d’un dessin.   L’abstraction, c’est ce cheminement intérieur,  la transformation par l’artiste, de ce qu’il perçoit du réel, puis restitue d’une manière qui lui est intime.  Ainsi,  ces premiers dessins réalisés en Tunisie où il a séjournée plusieurs mois en 1998, après une longue période durant laquelle il dit qu’il avait oublié de peindre.  Il était sur une terrasse, voyait quotidiennement le même paysage,  le ciel bleu, deux cyprès, les murs blancs de l’habitation et un petit bout de mer. Tous les jours il les a regardés, tous les jours il a dessiné ce paysage  jusqu’à le dépouiller, jusqu’à atteindre le degré zéro de la représentation dont émerge l’émotion.  C’était une étape décisive dans son parcours personnel, le moment de redevenir peindre et de trouver sa voie (rien ne me retient pour écrire aussi, sa voix) dans l’abstraction. 
Pierre Salvan a commencé l’Ecole des Beaux-Arts d’Avignon en 1971, il poursuit son cursus à Nancy en 1973 et en sort diplômé en 1974. Il est ensuite allé à Nice, où il occupe un poste de graphiste dans une société, avant d’ouvrir son atelier de création publicitaire à Avignon en 1977. Il  a complètement oublié de peindre pendant des années, il s’y est remis il y a dix-sept ans et il a  gardé du métier de graphiste  le trait et le papier  qu’il aime beaucoup comme support. 
Son trait, c’est la trace, l’évocation, le suggéré, mais non l’imposé.  A la question, le dessin seulement ?  Pierre Salvan répond qu’entre trait et touche, il se fraie  un parcours parallèle comme entre l’art graphique et l’art plastique. Il cite Paul Klee «  Ecrire et dessiner sont identiques en leur fond ». Entre dessiner et écrire il établit un dialogue qu’il met en œuvre à chaque  série de dessins qu’il entreprend.  Le dessin est une écriture particulière et l’écriture est un dessin. Chaque artiste se forge ses  signes propres, quand ceux de l’écriture sont codifiés.  Le trait du dessin établit d’autres signes, un dialogue non verbal, sans signe arbitraire dont le sens est fixé, le signe du dessinateur, c’est le signe du dialogue sensible bien plus proche du langage  poétique  délaissant le message pour l’expression. Comme l’abstraction se situe en marge de la figuration, la poésie travaille à déplacer l’ordinaire de la langue.
Pierre Salvan est parti au Vietnam , quinze jours, en 2008, il en est revenu avec l’impression que ce voyage ne lui avait laissé aucune trace.   Aucune image ne s’imposait à lui et puis six mois après, des dessins sont venus, non comme une restitution d’images vues, mais comme émergence de sensations  et d’émotions à traduire visuellement avec les moyens du dessinateurs :  la qualité du  trait, la sensation colorée, la sensualité de la matière.  Le dessinateur ne veut pas de titre, il livre de l’or, que lui importe de dire d’où il le tire, s’il est  orpailleur ou  alchimiste ? Que le mystère demeure dans l’abstraction et dans les transparences, les recouvrements.  Aussi léger et minimaliste que soit le dessin, il est un leurre de simplicité. 

Tout est visible dans le détour, et le jeu du voilé  et du dévoilé  ne nous mènera pas à l’objet. Ce réel qui nous saute aux yeux, ce réel que l’on dit abstrait,  est un sens ouvert  non pour  douter  mais pour laisser libre  l’intimité de chacun de s’y ajuster.  Claude Chameroy écrit en mars 2010, à l’occasion de l’exposition à la chapelle Saint Sauveur, in l’Eté Contemporain dracérois : «  sa peinture est de fait figurative ! Elle met au clair l’imagerie qui habite notre inconscient. Une imagerie présente et permanente mais qui ne surgit qu’à son gré comme tout ce qui touche à l’involontaire ou au spontané. Ni représentative, ni narrative, sa peinture est celle de l’évocation, elle est le langage pictural direct, celui qui est à même de nous dire, comme la musique l’au-delà des mots ».


A la question, quels dessinateurs et artistes vous inspirent ?  Pierre Salvan  répond :  les artistes catalans Ràfols Casamada et Antoni Tapiès, l’artiste lituanien Zilvinas Kempinas et l’américain Cy Tombly.  On pense effectivement à Tapiès, en regardant certaines  œuvres se Pierre Salvan, pour ses  recherches sur les matières , l’apparition des formes graphiques sur les fonds plus empâtés  qu’il peut  griffer ou labourer comme une terre fertile.  De Cy Tombly, on retrouve l’apparence simplicité et le dépouillement  du langage  abstrait qui flirte avec le figuratif et le lien avec l’écriture.  On aime ceux dans lesquels on peut  se (re)trouver, ceux dont la proximité permet de recevoir le souffle à proprement parler, l’inspiration.  Peut-être est-ce la même proximité de souffle qui l’a guidé dans la création d’un livre d’artistes, en 2008, avec le poète Eric Martin.  Trois peintures (dessins ?) originales voisinaient avec les textes d’une douzaine d’exemplaires numérotés et signés : Et souffle le temps, aux édition La Petite Fabrique, collection « deux mondes », à Varces ?  Toujours est-il que l’on retrouve dans ce travail là, le dialogue entre l’écriture et le dessin, peut-être d’une façon plus explicite encore que dans le reste de l’œuvre de Pierre Salvan.  J’aime à dire que dans cette sorte de dialogue, ce ne sont pas deux disciplines convoquées pour  s’illustrer l’une l’autre, s’asservir l’une à l’autre,  mais deux langages, qui cherchent leurs points de rencontre.  Dans l’exposition « Traits…intimes » de Châteauneuf-le-Rouge,  Sophie de Garam et Christine Bonduelle, respectivement  peintre et poète, auront une semblable démarche (dialogue) artistique.


Pierre Salvan nous dit que son dessin ne vient jamais tout de suite,  qu’il travaille sur papier, parfois  très longtemps sans s’interrompre.  Parmi les rares pièces portant un titre, une s’appelle  De l’aube à l’aube car il avait travaillé, textuellement, d’une aube à l’autre.  Dans le volume  de dessins produit, il y a beaucoup de déchets,  de choses qu’il garde pour lui-même, qu’il archive et auxquelles il revient  régulièrement.  N’ayant pas totalement lâché son activité de graphiste, ses périodes de travail artistique sont discontinues, il  passe parfois plusieurs jours, parfois plusieurs mois sans  dessiner.  Alors, il a besoin de ce fil, ses archives, dans lesquelles il s’immerge pendant un temps avant de repartir.
Les nouveaux départs peuvent être l’occasion de variations, de surprises et d’évolutions spectaculaires.  Au mois de juin 2011, il a travaillé dans l’urgence  sur une exposition accrochée à la chapelle Saint-Sauveur  de Draguignan au mois de juillet ; la couleur, le magenta,  s’est imposée.  C’était inattendu, les périodes et les séries précédentes étaient plutôt dans les camaïeux de gris, avec parfois des occurrences colorées.  Le thème de cette série où le rouge et rose vif  dominent  est le désir (thème déjà abordé en 2006),  tous les désirs, précise-t-il, que l’on peut avoir,  mais il a laissé les dessins sans titre, une fois encore. Peut-être pressent-il que « cet indéterminé est le cœur et l’intime du libre, de la liberté »  (Claude Chameroy) et que le désir pour faire son chemin  ne peut être imposé, ne serait-ce par un titre.   A la question, qu’est-ce qu’un dessin réussi, il répond : « lorsque la justesse de son trait génère une émotion à l’artiste lui-même ».



Pour accéder au site de l'artiste et retrouver son parcours, ses expositions et son contact, il faut suivre ce lien:
 http://www.pierre-salvan.odexpo.com/

Pour suivre l'information du musée Arteum de Châteauneuf-le-Rouge:
http://www.mac-arteum.net/