mercredi 18 juillet 2018

Pascal VERBENA, visite d'atelier (décembre 2017)



Au mois de décembre 2017, Pascal Verbena  me proposa de visiter son atelier marseillais et d’écrire sur les pièces rassemblées en vue d’une prochaine exposition dans la Galerie Chave à Vence.  Le vernissage est  fixé le dimanche 29 juillet 2018.  
Depuis la rue des Tyrans un couloir serpente et grimpe quelques marches, alors l’atelier ouvre sa porte sur une profusion d’œuvres, de matériaux, d’objets, de machines et d’outils. Il est plein, ordonné, vivant et bien chauffé, un lieu de travail et un lieu de vie, sans distinction. 



Tout de suite je suis saisie par une sorte de mise en abîme. J’ai traversé le quartier, la rue, la maison, l’escalier et dans la pièce l’agencement de toutes ces grandes boîtes en bois composent dans l’espace, elles aussi, des maisons dans un quartier, dans une ville dont l’artiste est l’architecte. Je déambule parmi ces oeuvres que l’on a souvent comparées à des retables de bois et j’écoute Pascal Verbena me raconter ses sculptures. Pour moi il les anime, ouvre les portes, j’entraperçois les figurines à demi révélées ou mystérieusement dissimulées par des moucharabiehs et des ouvrages pleins d’astuces. 



Devant ces meubles à secrets dont il m’ouvre les portes me vient à l’esprit le sonnet de Rimbaud, « Le Buffet », composé en octobre 1870, lors de son séjour à Douai chez les demoiselles Gimbre, tantes de son professeur de lettres Monsieur Izambard :

C’est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,
Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

Tout plein, c’est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d’enfants, de dentelles flétries,
De fichus de grand’mère où sont peints des griffons ;

– C’est là qu’on trouverait les médaillons, les mèches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

– Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires.

Pour le jeune Arthur Rimbaud qui fête ce mois d’octobre 1870 son dix-septième printemps, la mort est certes une ombre inquiétante, mais les reliques de la vie, dans les plis sont un foyer fécond, tendrement féminin et maternel, dont sortent des histoires fantastiques.  Si j’explore le poème de Rimbaud au moment d’entrer dans l’œuvre de Pascal Verbena, c’est que j’ai ressenti ce soir où je suis arrivée dans son atelier, une présence très forte au cœur de ses œuvres, une présence enfantine qui jouait avec les souvenirs, qui oeuvrait à créer des plis et des zones d’ombre où les mettre à l’abri, avec tendresse. Je dis mon sentiment à Pascal Verbena qui m’apprit, c’est une coïncidence, que l’atelier dans lequel nous nous trouvions avait appartenu au peintre Francis Rimbaud (1911- 1972), dont l’ ancêtre était Arthur Rimbaud et, bien que secondaire, cette information frappait l’imagination. 




En présence de ces improbables armoires sculptées qui résistaient à livrer tous leurs secrets, je ne savais plus si le but de l’artiste était d’ouvrager des boîtes et des portes destinées à être ouvertes ou, au contraire, de façonner des reliquaires et des portes à fermer pour confiner des souvenirs, tant il est vrai que je n’ai vu aucune clé, si ce n’est une clé à jamais scellée dans le bois où elle est sculptée, mais beaucoup de serrures.
Dans le moment où Pascal Verbena me racontait l’histoire qui pouvait s’entendre comme le récit fondateur de telle ou telle sculpture, il me semblait que les jeux de fermetures compliquées et uniques qu’il aimait à inventer, à oublier parfois et à redécouvrir destinaient ses œuvres à devenir les écrins de souvenirs et de secrets qu’il ne fallait ni perdre, ni déranger. C’est ainsi que l’œuvre, toute profane qu’elle soit pouvait se concevoir comme un sanctuaire, une oeuvre édifiée autour de l’objet à protéger, comme un tabernacle.



Quel est le sens du chemin qui s’accomplit quand les ciseaux du sculpteur sur bois donnent vie à l’oeuvre, est-ce pratiquer des incisions pour frayer à la lumière un chemin vers les puits d’ombre, au creux des existences, ou  bâtir une œuvre-citadelle autour d’une ombre-socle ?  Droites sur leurs supports, les boîtes semblent ouvrir leurs bouches d’ombre et murmurer : 
[…]
«Crois-tu que la nature énorme balbutie,
Et que Dieu se serait, dans son immensité,
Donné pour tout plaisir, pendant l’éternité,
D’entendre bégayer une sourde-muette ?
Non, l’abîme est un prêtre et l’ombre est un poëte ;
Non, tout est une voix et tout est un parfum ;
Tout dit dans l’infini quelque chose à quelqu’un ;
Une pensée emplit le tumulte superbe.
Dieu n’a pas fait un bruit sans y mêler le Verbe.
Tout, comme toi, gémit ou chante comme moi ;
Tout parle. Et maintenant, homme, sais-tu pourquoi
Tout parle ? Ecoute bien. C’est que vents, ondes, flammes,
Arbres, roseaux, rochers, tout vit !
                                                              Tout est plein d’âmes.»
[…]
Victor Hugo, « Ce que dit la bouche d’ombre », Les Contemplations, livre VI, 1856

Que l’on ait la sensation d’œuvres ayant du cœur et de l’âme en regardant les sculptures de Pascal Verbena est certain, elles semblent construites pour se dévoiler peu à peu, s’ouvrir et se fermer comme une bouche qui parle ou se fait muette. Et, peu importe de détenir la clé de la vérité si le conte est charmant.  Goût du mystère, ingéniosité ludique, humour ou pudeur, le leurre est un élément présent dans ce travail, appâts de pêcheurs, miroirs aux alouettes attrapent le curieux.  Ainsi trouve-t-on de vrais miroirs où l’œil du spectateur est renvoyé à lui-même :  « La vérité attend l’aurore à côté d’une bougie./ Le verre de fenêtre est négligé. /Qu’importe à l’attentif. / Dans mon pays, on ne questionne pas un homme ému ». (René Char, Les Matinaux, 1983). La vérité est dans le visible révélé par la lumière, mais la pudeur est de mise qui n’exige pas d’aveu. Regarder l’arbre et penser la vie, voir l’oiseau dans la cage et songer liberté, voir les plantes et les graines et savoir qu’il faut semer pour récolter, voir le pèlerin et envisager le chemin à parcourir, voir le nid et l’enfant et vouloir être les bras qui le bercent… 








 L’œuvre de Pascal Verbena est une œuvre vivante qui dort et s’éveille, qui se déploie et se referme sur sa nuit. Une porte s’ouvre, une porte se referme et certaines niches sont sans issues. Telle est la volonté de maintenir certaines choses à l’abri des regards.  Ce que l’artiste y a mis de lui-même et que la lecture de sa biographie peut m’enseigner, n’est peut-être pas ce je vois, car mon regard tourné vers le monde extérieur est teinté de ce que je porte à l’intérieur de moi.  Ce que je comprends depuis la rive où je regarde, n’est peut-être pas le sens dans lequel il menait son ouvrage.  Ce que j’entends dans son œuvre, n’est peut-être pas sa voix. Il est des expériences qui ne se livrent pas mot pour mot, toutefois, elles vibrent dans l’écho des voix du monde. Les sculptures qui sont devant moi me touchent sensiblement et, les regardant, je me courbe pour les saluer.



Je regarde et j’écoute Pascal Verbena me raconter « Requiem pour un moineau », et je pense à mon grand-père qui était un fabuleux conteur. Il avait construit une maison de poupée en bois d’une grande ingéniosité, avec laquelle je jouais inlassablement et avec fascination, dans mon enfance.   J’écoute Pascal Verbena et j’ai l’impression que ses œuvres deviennent moins solennelles, plus familières. La sacralité originelle de la sculpture, bâtie autour des objets qu’elle conserve et préserve comme un tabernacle, fait peu à peu place à l’image plus douce et plus enveloppante de la maison en tant que matrice. Maintenant, comme des maisons, je vois que ses sculptures peuvent loger un grand nombre de souvenirs, pour que leur mémoire demeure.  Elles sont la cachette où serrer un trésor et puisque elles sont un peu complexes, elles ont des caves, toutes sortes de chambres, des greniers, des couloirs aveugles où se dérober à la vue, des jardins où s’évader et où trouver refuge. Elles sont l’enfance elle-même, à jamais présente dans ces constructions d’images en volume. La création semble ici permettre une renaissance au monde du passé révolu, une enfance ré-enfantée et cette fois protégée, préservée des circonstances malheureuses, une manière de rassembler une famille éclatée, de donner une sépulture à chacun, de prendre enfin soin de ce que la vie ne pouvait pas sauver. Je prends conscience en écrivant, que l’on est proche de l’esprit des « Demeures » du sculpteur Etienne Martin (1913 – 1995), sans que l’on puisse confondre ces deux œuvres, la part dédiée aux souvenirs et à l’enfance me semble être un point de concordance chez les deux artistes.







Les souvenirs de toutes sortes, les silences, les douleurs d’une vie deviennent les obsessions fondamentales qui habitent l’artiste et qu’il travaille toute sa vie à métamorphoser dans ses œuvres sculptées.   Le sculpteur comme l’enfant qui n’a rien à lui, fait avec ce qu’il trouve et qu’il détourne.  L’enfant ne s’invente pas des jouets, il crée le plus sérieusement du monde, ce qui lui est nécessaire pour dialoguer, et pour agir dans un monde qu’il doit adapter à sa mesure. L’œuvre n’est pas une chose extérieure à l’artiste, elle lui est si intime que l’intuition guide l’ensemble des gestes qui la font apparaître.  Pour ainsi dire, Pascal Verbena sculpte des demeures imaginaires et des souvenirs pour qu’ils ne meurent pas, mais aussi pour les explorer. Sculpter est une façon de donner forme pérenne à ses souvenirs, mais aussi de refléter son vécu dans une œuvre très concrète où l’imaginaire n’est pas un vain mot, mais une réalité visible et tangible, le reflet de son âme, pour revenir au mot employé par Victor Hugo.
L’entreprise du sculpteur semble, ici, s’accompagner d’une recherche de la solitude et du soi « sauvage », c’est-à-dire, selon la conception de Montaigne, non « abâtardi » par les normes sociales. Le soi profond et le travail constant, au fil des années, fabriquent une œuvre véritable et singulière.  Les recoins des sculptures laissent voir des figures à forme humaine abritées derrière des moucharabiehs. Depuis leur fidèle solitude elles nous contemplent et nous font signe,  une part de nous s’y reconnaît.





Alors, c’est Robinson Crusoé à l’œuvre qui, dans sa solitude, choisit de recréer, avec les restes du vaisseau, le monde naufragé perdu.  Seul sur son île, il est encore le monde au-delà de portée, le monde disparu et absent. Tel un Robinson moderne, Pascal Verbena récupère tout ce qui fait la matière de ses œuvres, il arpente la Camargue, il récupère les restes des cabanons détruits de Port-Saint-Louis-du-Rhône, les planches des bateaux échoués, le bois de pin Cembro des Alpes dont on faisait des jouets, les ardoises d’une toiture ancienne… Il s’exprime à travers des matériaux qui sont des épaves abandonnées à la périphérie de la société de consommation du siècle dernier et de ce début de vingt-et-unième siècle. Il s’intéresse à polir leur histoire passée, comme les scribes grattaient les palimpsestes pour y écrire de nouveaux récits. Si un bois neuf ne saurait avoir la même épaisseur qu’un bois ancien, c’est qu’une planche ne se mesure pas en centimètres mais dans la profondeur de son histoire. En marchant, le regard saisit l’opportunité, accueille l’intuition et pas à pas la récolte se fait parmi les herbes folles, la boue, les amas de choses dévastées, images du chaos, du désordre, des plaies.  Dans l’atelier, les convulsions du monde muent en œuvres aux formes géométriques régulières et trapues, organisées autour d’un centre-coeur et de fausses symétries latérales apaisantes au regard. Ainsi, les demeures de Pascal Verbena sont des cabanes, elles sont un dedans-dehors pour se lover à l’intérieur, se cacher, s’abriter, trouver refuge, tout en restant au bord du monde, dans un espace surtout imaginaire. Bien sûr la démarche est romantique et s’oppose à la société capitaliste de consommation qui demande du neuf, de l’obsolète, du toc moderne. C’est d’ailleurs ce qui donne une force très contemporaine à ce travail, car la question de la nature est à nouveau urgente et toute une partie de la jeune génération se tourne vers la préservation de la Nature et relit Walden d’Henry David Thoreau.

Aix, le 26 avril 2018
Florence Laude

 L'exposition se visite Galerie CHAVE
Tout l'été 12 et 13 rue Isnard - 06140 VENCE


Vernissage dimanche 29 juillet 2018

Tél: 04 93 58 03 45
galeriechave@orange.fr




On peut lire d'autres articles écrits sur le travail de Pascal VERBENA:




Sur le site d'Alain Paire :  ici  (Pascal Verbena chez Alain Bourbonnais et André Nègre) et là  (l'Ex-voto de Pascal Verbena)


Collection de l'Art Brut  Lausanne:  https://www.artbrut.ch/fr_CH/auteur/verbena-pascal



1 commentaire:

pierre vallauri a dit…

Sublime!
Je regrette déjà, sans connaitre les autres textes critiques qui accompagnent la parition du livre des photos des travaux de Pascal(cet été à la Galerie Chave à Vence), que cet article n'y figure pas. Tout empreint de poésie et de références littéraires, au plus juste de cette oeuvre exceptionnellement atypique et de fait si personnelle, il me semble même qu'il y a eu comme une "fusion complice" entre l'artiste et le regard de Florence. Un regard instrospectif. Une fois de plus!!!