lundi 28 juillet 2014

Centre d'Art Contemporain de Briançon, R Blanc, Y Daumas, P Verbena



J’ai profité d’un court séjour à Briançon pour visiter l’exposition d’été  inaugurée le 5 juillet, ouverte  jusqu’au 14 septembre, regroupant une belle quantité d’oeuvres de trois artistes Robert Blanc, Yvan Daumas et Pascal Verbena.  Le hasard a fait que j’arrive au centre d’art alors même que Pascal Verbena accompagnait des amis collectionneurs.  J’ai ainsi bénéficié d’une visite guidée en sa présence. 



Pascal Verbena habite une partie  de l’année aux Vigneaux dans la vallée de Vallouise, il connaît bien Julie Arnal, la conservatrice du Centre d’Art Contemporain de Briançon. Il a tenu à partager cette exposition avec deux amis, Yvan Daumas, marseillais comme lui, qu’il connaît de longue date et Robert Blanc qu’il connaît un peu moins, mais dont il se sent artistiquement proche : « Blanc à Aix, Daumas et moi-même à Marseille, créons en silence. Tous trois avons une longue carrière derrière nous. Nous avons connu la bohème et les lendemains incertains, oeuvrant dans des ateliers inconfortables sans jamais perdre le désir de création et la volonté de le partager avec les autres ». 

Le Centre d’Art Contemporain de Briançon se situe en plein cœur de la cité Vauban sur la  Place d’Armes, aux deux tiers de la Gargouille, sur la droite quand on entreprend  la descente de cette rue bien pittoresque.  On entre dans une maison ancienne entièrement rénovée dans un style très moderne, les passerelles et escaliers métalliques allègent l’espace;  des verrières apportent un  éclairage naturel.  L’exposition est visible tous les jours, sauf les lundis, de 15 heures à 19 heures, gratuitement.  Le CAC est dévolu à des expositions d’artistes contemporains.  Le bel espace d’exposition permet aux trois artistes de montrer un bon nombre de pièces, permettant presque une rétrospective de leur œuvre sur plusieurs décennies jusqu’ à l’année 2014.  




Robert Blanc, dessine à l’encre, au pinceau très fin, sur des feuilles de papier où il a tracé puis découpé les figures fluides des Grandes Déesses ou des Anges.  A l’intérieur des formes souples qui figurent parfois de façon plus évidente des corps, il dessine en noir et blanc des mondes peuplés, couples des origines du monde, cheminant en des sortes de processions dans lesquelles on croit reconnaître des danses rituelles. La mise en relief des dessins sur des caissons épousant parfaitement leur forme, est un travail minutieux, réalisé par Robert Blanc lui-même, transformant certains dessins en sculptures murales.  Parmi les œuvres exposées au CAC de Briançon, on trouve aussi Une grande Déesse et des petites figures de Couples de Ciel et de Terre de la grosseur d’une pomme de pin, façonnées et gravées de façon très subtile, dans du bois.  


La fluidité des formes, les passages de zones dessinées d’un noir dense à force de croiser ou de superposer les traits de pinceau, à des espaces plus allégés et aériens, évoquent l’éternel mouvement des choses du monde, la fin (chaos) et son recommencement ( le vide de la page laissée presque blanche), les cycles de la vie…


Les grands dessins sur papier, d’Yvan Daumas, déploient dans l’élan de lignes vivement tracées des enchevêtrements de visages et de corps humains, que côtoient des formes plus animales ou végétales.  Vladimir Biaggi écrit «  Daumas tente, à sa manière, de régler ses comptes avec la mort et la folie, qui n’en font jamais qu’à leur tête ». 



Une suite de dessins de plus petit format (40 x 40 cm), répondant au titre Mangia Caca, montre des corps d’animaux à quatre pattes supportant des têtes  qui ont une apparence plus humaine, au bas des pattes, les sabots attendus sont parfois remplacés par des roues, (comme les  animaux de bois montés sur roulettes que les enfants traînent derrière eux pour jouer). Ces dessins sont souvent accompagnés de crânes qui renvoient à la tradition picturale des vanités : « memento mori » ( Souviens-toi que tu es mortel).  De quelle humanité l’animal peut-il se prévaloir et de quelle bestialité l’homme est-il en souffrance ?  Le grand bestiaire d’Yvan Daumas semble écorcher nos certitudes humaines dans ces grandes fables dessinées.



Pascal Verbena présente un ensemble de boîtes construites par assemblage de morceaux de bois de récupération, bois flottés, bois de caisses sans valeur propre, mais qui ont été choisis, peut-être pour une raison connue de l’artiste. Il expose  aussi des dessins sur panneaux de bois (parfois présentés en triptyques), des ardoises de récupération et des pierres  gravées, enchâssées dans des cadres de bois, ainsi que  des dessins sur papier.  Alors qu’il me présentait l’exposition, il était désireux de souligner la diversité de ses pratiques, diversité qui, on le devine, dépend  directement de l’intention qui préside à l’instant où la création se décide.  
 



Ses boîtes souvent conçues comme de petites armoires ou tabernacles, sont volontairement  complexes. Si je pense à l’armoire, c’est le sonnet de Rimbaud, « Le Buffet » ( Les Cahiers de Douai, 1870) qui fait écho :  « -C’est là qu’on trouverait les médaillons, les mèches / De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches / Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits / -Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoire, / Et tu voudrais conter des contes, et tu bruis / Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires. »  
 L’armoire ou le buffet sont une référence plus féminine de la transmission de la parole (conte) et de l’histoire intime ou familiale, telles que les suggère Rimbaud. 
 Le tabernacle quant à lui,  renvoie à une dimension mystique et sacrée, dépositaire des Tables de la Loi, dans la religion hébraïque ou destiné à conserver l’eucharistie dans le chœur des églises chrétiennes. 
Quoiqu’il en soit, les boîtes de Pascal Verbena donnent  la certitude de contenir un secret ingénieusement dissimulé à la vue.  Elles invitent à ce qu’on les touche, qu’on les palpe, qu’on s’y intéresse de près pour  comprendre  et / ou dé-c-ouvrir un mécanisme intime qui permettra de trouver la clé puis le secret. La dissimulation et l’ouverture qui invitent le regardeur à transgresser la distance (rupture) souvent imposée entre l’œil et l’œuvre (surtout dans l'espace muséal),  participent d’une poésie de la correspondance entre le monde matériel et spirituel. Les titres donnés par l’artiste, « Leurre », « Géminée », « Le yeux de Sainte Lucie », et caetera …   disent les chemins qui accompagnent la création comme ils suggèrent aussi des chemins à explorer.  





Un dessin sur bois formant un triptyque, « La Pachamama » ( déesse terre-mère dans la culture des Indiens d’Amérique du Sud) représente la Déesse cheminant d’un pas ample et décidé, un bras levé retenant au bout d’un fil, une forme qui peut être vue comme un oiseau ou un soleil. La figure de la Déesse est encadrée de  deux panneaux  suggérant des formes imbriquées, plus animales et végétales, évoquant l’apparition de la vie aquatique. 
Il est significatif que Pascal Verbena ait choisi de représenter la Déesse en marche, tellement, cette notion de cheminement, de parcours, de progression linéaire jouant avec le temps, l’espace et le sol sur lequel le pied prend appui me semble recouper certaines dimensions essentielles de ses œuvres.   Oeuvres ancrées dans une réalité concrète, tangible, charnue et sensuelle, qu’il métamorphose par le travail de la main ( manufacture)  et habite de ses souvenirs et de son imaginaire, comme le corps contient l’esprit et comme l’âme donne souffle au corps.




Exposition à visiter jusqu’au 14 septembre au Centre d’Art Contemporain de Briançon, Place d’Armes cité Vauban, du mardi au dimanche, de 15 heures à 19heures, entrée libre.  Téléphone : 02 92 20 33 14.

1 commentaire:

pierre vallauri a dit…

Comme toujours tes reportages/critiques sont d'excellente qualité. Il est bon qu'au grès d'un déplacement tu puisses ainsi honorer l'invitation d'amis artistes qui nous sont chers et dont on aime particulièrement le travail. c'est un "partage" auquel je suis sensible.Le lieu parait très intéressant et je suis heureux que des villes moyennes (ne blessons personne!) comme Briançon s'offrent et gèrent un centre d'art contemporain (voir mon blog à propos de la Ville de Bourbourg dans le Nord Pas de Calais.