le blog de florence laude "L'artiste nous prête ses yeux pour contempler le monde" Arthur Schopenhauer
mardi 2 novembre 2010
la carte et le territoire
Pour M. intrigué par les photos de La nuit je mens , la vérité dans cette chronique ...
Non, ces photos ne sont pas les photos d'un livre sculpté , même si certains livres peuvent sembler être des monuments ! Je terminais le roman de Michel Houellebecq, La carte et le territoire aux éditions Flammarion.
Le grain du papier prenait bien la lumière de ce milieu de journée et je l'ai photographié avec l'intention, peut-être plus tard, d'écrire quelque chose sur cette lecture. [ Ceux qui ont lu le livre noteront un angle de prise de vue qui ne doit rien au hasard.]
Ici on trouvera donc quelques réflexions sur la lecture de ce roman, infléchies par la lecture d'une critique de Pierre Assouline dans La République des Livres.
Tant pis si les photos semblent un peu doubler celles de la nuit je mens en hommage à Bashung... les choses parfois font des détours et admettent plusieurs lectures .
La carte et le territoire, le titre correspondait à mes préoccupations du moment, le paysage (encore) et proposait une alternative nouvelle et stimulante - tiens, oui, pourquoi pas aussi le voir sous ces angles là ? Qu'est ce que ce romancier pouvait en dire ?
La quatrième de couverture me renseignait sur la nature du personnage principal (héros ne convient pas bien aux personnages du XXIème siècle, encore moins à un genre d'écriture réaliste et encore, encore moins aux personnages désabusés et quelque peu out of the world du romancier Houellebecq) un artiste. Et voilà de quoi finir de me décider à passer outre le prix et à prendre le risque de cette lecture.
Le personnage principal, Jed Martin commence sa carrière d'artiste en photographiant des cartes routières Michelin, sa première exposition "La carte est plus intéressante que le territoire" est la clé du titre.
Les trois périodes remarquables de sa vie donnent sa structure au roman, trois périodes pour trois thèmes et médiums artistiques séparées par de longues périodes d'incubation, de retrait (de dépression) et de solitude volontaire. La photographie pour les cartes Michelin, la peinture pour la série des "métiers", portraits de personnalités représentatives de leur époque et de la société, le montage vidéo à l'aide de logiciel informatique pour la troisième partie que je lis comme une apocalypse.
J'ai vraiment adhéré à cette capacité de fabriquer cet artiste, trouvant son parcours artistique fondé, plastiquement original et justifié. J'ai pensé à un petit roman de William Boyd , Nat Tate, lu il y a longtemps dans lequel W. Boyd prétendait écrire la biographie d'un peintre américain appartenant à l'Ecole de New-York, dans les années 50 ... une biographie plus vraie que nature qui fit penser que cet artiste avait réellement existé ... et si la mèche n'avait pas été vendue par un journaliste indiscret, on continuerait de rechercher avec avidité les oeuvres rares de ce peintre que d'aucuns prétendaient avoir connu. J'ai pensé encore au roman Les Onze, de Pierre Michon, dans lequel il retrace l'histoire d'un tableau représentant le Comité de Salut Public qui, en 1794, instaura le gouvernement révolutionnaire de l'an II et la république dite de la Terreur. On a vu dans les jours et les mois qui suivirent la sortie du livre, des dizaines et des centaines de lecteurs se précipiter au Louvre pour voir un tableau qui n'avait jamais existé que dans l'imagination de son auteur!
Bref, je me suis laissée prendre au jeu de Houellebecq et de l'illusion romanesque, appréciant son personnage Jed Martin comme s'il s'agissait d'un artiste réel. Pour tout dire, il me reste une part de travail à faire, chercher quels sont les artistes qui par leurs travaux ont pu inspirer le personnage. Dans la troisième partie du livre, celle où il filme la nature pendant des heures en plan fixe (avant de les retravailler avec un logiciel), j'ai pensé aux travaux de Rose Lowder dont j'avais vu une projection de films à la galerie du 200rd10, à Vauvenargues en janvier 2010 (on peut en retrouver la chronique dans ce blog, ici ). [Si vous avez des pistes ou des idées à me proposer, n'hésitez pas !]
Alors que j'ai aimé ce roman, bien construit, dense en réflexions et analyses sur la société contemporaine (se permettant même une anticipation d'une trentaine d'années dans la troisième partie du roman) dans la lignée des grands romanciers du XIXe qui avec Stendhal voient le roman comme "miroir que l'on promène sur la grande route ", Pierre Assouline démonte le roman et le romancier au point que même les concessions qu'il admet semblent renforcer sa critique... D'abord impressionnée par son analyse et prête à douter de mon point de vue , je suis revenue à mon plaisir premier, considérant qu'il y a certainement chez le critique une virulence imméritée dont l'origine m'échappe .
Il critique vertement le roman qu'il rebaptise "la France du télé-achat", pour ce qu'il cite des marques, des personnalités du petit écran, des romanciers à succès etc... Selon lui, les grands romans (ceux qui passent les siècles) sont atemporels... ici, les éléments cités qui forment l'ancrage réaliste du roman dans la première moitié du XXIème siècle est l'anti-condition pour que ce roman devienne "un grand roman". J'en doute. On peut apprécier le jeu de l'auteur sur l'illusion romanesque à intégrer un maximum de personnalités réelles dans son roman, à proposer une lecture critique de notre société de consommation de biens et de consommation excessive de "petit écran" qui n'a rien à proposer que des personnalités aussi vides que des personnages secondaires ou de second plan (cette fois c'est moi qui me fais méchante dans la critique de la télé) . Selon moi, la critique à faire est là et Houellebecq la fait... Je pense que l'on pourra relire son roman dans 30 ou 40 ans et même plus et qu'il "fonctionnera", même si les images de ceux cités dans le roman ont été oubliées ou qu'ils ont disparu des écrans ( Enfin, il faut l'espérer ... mais il y a pourtant des animateurs qui s'incrustent depuis presque aussi longtemps ! - Drucker, Sébastien & C°).
Le cas du romancier personnage Houellebecq, jouant de l'auto-dérision était paraît-il attendu et prévisible. Soit . Ce n'est pas le point central du roman, d'autant qu'à la disparition de celui-ci dans le roman, l'auteur nous informe que le personnage, Jed, se met par hasard (mais peut-on croire au hasard) à imiter le romancier, à acheter une maison à la campagne et à s'y enfermer... J'y vois là une indication à comprendre que Jed Martin est Houellebecq, au même titre qu'Emma Bovary était Flaubert... On peut y voir un manque de modestie de la part de l'auteur, ce serait un peu simpliste. On peut aussi y voir une intention, celle d'habiter plusieurs de ses personnages, du moins les principaux et, sous sa propre identité, de "se découvrir jusqu'à l'os" ( merci M. pour cette expression ), c'est le moins que l'on puisse dire ! Houellebecq nous apprend que c'est la culture et la bonne lecture que l'on fait des choses qui permettent de faire du sens et cela porte bien plus loin que l'esprit de dérision ou le cynisme affichés auxquels on aurait tort de trop se laisser prendre.
Pierre Assouline proposait de lire plutôt que Houellebecq, l'auteur américain Don deLillo ... je suis son conseil et lis L'homme qui tombe. Cela fera peut-être l'objet d'une autre note de lecture.
Eh bien oui, j'ai trouvé que ce roman était un bon roman et pas seulement parce qu'il a , comme le note Assouline, un nombre conséquent de page, 428 , "qu'il a de la main" et - cela est de moi - un beau papier qui prend bien la lumière ;)
Je vous ai entraînés un peu loin de ma préoccupation première, à savoir ce que ce livre pouvait proposer comme lecture du "territoire" et pourquoi pas du paysage ? Mais pas tout à fait quand même, ma chronique seule s'en éloigne, le livre me livra quelques réflexions qui valaient elles aussi le voyage.
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2 commentaires:
Flo,
Que je fasse l'objet de l'introduction de ta chronique sur la carte et le territoire me rempli le coeur, j'ai beaucoup de chance.
Comme je ne suis pas tenu d'avoir une grande culture de l'histoire de l'art pour apprécier
une toile de Nicolas de Staël, il y a des ouvrages littéraires pour lesquels je prends tout
simplement plaisir à les découvrir.
Submergé par toutes les publications, je fais mon choix au ''feeling'' (on
utilise si souvent cet anglicisme que je ne sais plus le traduire) après avoir écouté un
entretien avec l'auteur (souvent déterminent), lu une critique (attention!), une postface
ou des affinités connues.
J'ai peu lu dans l'ensemble, mais ce que j'ai toujours recherché dans mes lectures, au cours de ma vie, c'était moi-même au travers de quelqu'un qui savait verbaliser des idées, aujourd'hui par exemple j'ai débuté la lecture du siècle des nuages de Philippe Forest et j'y trouve mes pensées actuelles, JE NE SUIS PAS SEUL.
Nous avons l'age de nos lectures, on ne s'identifie pas toute sa vie à Lorenzaccio !!!
Pour moi, c'était la bibliothèque rouge et or de mon enfance et tous ses romans d'Aventures qui ont inspiré tous mes désirs futurs. Plus tard, les auteurs classiques qu'il fallait avoir lu mais que je trouvais ennuyeux (d'où mes lacunes), heureusement j'avais découvert Joseph Kessel ''Jeff'', qui était encore mon contemporain et pour lequel j'ai gardé beaucoup d'admiration pour son oeuvre mais surtout pour ce qu'il était.
Combien d'écrivains de notre génération ne seront pas oubliés après leur disparition ?
et combien de ceux-là deviendront des ''classiques''?
Aujourd'hui... évidemment ! je vais plutôt vers Philip Roth et Philippe Forest, dommage,
la vie était belle, ma vie a été très belle. Cependant je bouge encore !!!
Il y a quelques temps, j'avais commandé à Cathie le Patrick Lapeyre et le Maylis de Kerangal, deux auteurs que j'aime et Bingo! c'étaient deux futurs prix littéraires !
Pour le Patrick Lapeyre je l'avais finalement acheté vendredi passé à la librairie le bleuet à Banon, après une journée dans les sous-bois des environs à rechercher des champignons.
Cette librairie est tellement agréable que je n'ai pas pu ressortir les mains vides.
Tu as écrit un beau papier qui prend bien la lumière.
merci
je t'embrasse
Maurizzio
Merci Maurizzio pour ton message. Je trouve très précieux que tu exprimes ici la relation que tu as avec les livres et la manière dont se "trace" ton parcours de lecteur. Tu sembles à l'affût et curieux de l'actualité. Je t'envie de t'intéresser aux auteur actuels et de suivre les sorties des publications.... Je regrette si souvent que mon métier qui requiert beaucoup de temps pour lire et étudier ceux que l'on appelle les classiques ou les valeurs sûres de la littérature me laisse en fait si peu de temps pour assouvir ma curiosité de ce qui s'écrit de nos jours. La lecture de Houellebecq était une incursion dans le contemporain... J'avoue ne rien avoir lu de lui (je veux dire une oeuvre complète avant aujourd'hui pour me faire une idée par moi-même). Je ne vais pas trop exagérer car je lis quelques livres dans l'année mais pas autant que mon appétit me le réclame ! Tu cites Kessel, c'est un auteur que j'ai lu à la fin de collège ou au du début lycée. Deux titres: Le lion et La Vallée des Rubis. J'aimais bien le côté aventure et découverte de lieux inconnus. C'est à la même époque que je lisais Saint Exupéry , Pearl Buck, Soldjenistine, Les Naufragés du Kontiky, Haroun Tazieff, Frison Roche et autres ... (bref, l'aventure et les héros ...)
Quand j'aime un auteur, parfois je lis plusieurs livres à la suite... Ainsi cet été je lisais Alessandro Baricco.
Une confidence, j'aime lire Jim Harrison quand je suis dans le Cantal, je parlerais de synchronicité ...
Encore merci pour ton témoignage.
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