Fin juillet 2018, j’ai rendu
visite à Pierre Vallauri, je souhaitais revoir ses œuvres exposées dans une partie son
atelier qu’il ouvre volontiers aux amateurs curieux, en dehors des journées du
Patrimoine. En 1981, il a acquis avec sa
femme Lucy, une partie d’une magnifique demeure, un ancien moulin situé au bord
du Réal, à Jouques, au nord-est d’Aix-en-Provence. Le lieu est assez vaste pour
y vivre et y avoir un atelier partagé en
un espace de travail et un vaste showroom.
L’ensemble des pièces montrées révèle
une œuvre foisonnante, abondante et variée dans les modes d’expression, travail
de la laine, de la terre, de plusieurs types de papiers, confection de boîtes, pour ne citer qu’un
petit échantillon des thèmes qui ont intéressé Pierre Vallauri depuis l’aube de
ses recherches graphiques et de ses collages dans les années 1966. Avec le temps la direction du travail de
l’artiste se déplace au gré de ses rencontres et coups de cœur pour l’œuvre
d’autres artistes (j’y reviendrai), mais quelle que soit la période considérée,
son travail est décliné en de multiples études, Pierre Vallauri semble
poursuivre une idée en explorant son sujet dans plusieurs directions. On pourrait
dire qu’il produit une collection d’œuvres, à l’instar de son goût personnel
pour les collections d’objets que l’on voit
se mêler, dans son atelier, à ses propres œuvres. Il y a pour ainsi dire une
continuité entre son goût de l’objet
(utilitaire, décoratif ou ludique) unique
ou fabriqué en série et sa démarche d’artiste. La curiosité de Pierre Vallauri nourrit sa
gourmandise de découverte, la fertilité de
son imagination et la générosité de sa création.
Collectionner est lié au désir,
une quête par essence inépuisable. Le
fait de dénicher un nouvel objet assouvit
le désir, mais il propulse aussi le collectionneur vers la quête du prochain.
De façon analogue, dans l’acte de
création, la réalisation d’une œuvre
fait parfois germer l’idée de l’œuvre suivante et conduit à la
réalisation d’une série, terme
employé avec précaution par les artistes parce qu’il vaut aussi pour les reproductions
d’œuvres ou la production d’objets en masse qui sont dépourvus d’une aura ( au sens où Walter Benjamin la définit), contrairement à
l’œuvre d’art originale. Concernant le
travail de Pierrre Vallauri, on retiendra une inépuisable curiosité et une
énergie créatrice généreuse nourrie des découvertes que lui inspirent la
réalité matérielle du monde et les œuvres d’autres artistes qui lui donnent
envie d’expérimenter et de créer. Avec l’œuvre de Pierre Vallauri, on est face
à une œuvre hétérogène et multiple. On pourrait dire de lui ce que l’on a dit
de Pablo Picasso, qu’il s’inspire du travail d’autres artistes, que c’est une manière de leur rendre hommage et de nourrir
sa propre création pour la faire évoluer et expérimenter.
D’abord influencé par sa
formation au dessin industriel, Pierre Vallauri
pratique le tissage de la laine
selon la technique de haute lice, à la suite
de voyages en Tunisie et en Algérie dans les années soixante-dix. Puis,
au début des années quatre-vingts la rencontre de sculpteurs majeurs, à
Aix-en-Provence, Jean Amado et Max Sauze dont il partage un temps l’atelier, le
conduit presque naturellement à expérimenter dans leurs traces, la terre et
même le béton, pour réaliser des sculptures.
A partir de 1989, il crée une
belle série de sculptures de corps féminins modelés en terre, dont certaines
sont même fondues en bronze (fonderie Barthélémy à Crest , dans la Drôme). Ses femmes adoptent les poses classiques que
l’on rencontre souvent chez les modèles dans les ateliers où l’on dessine
d’après modèle vivant mais Pierre Vallauri dépasse le modèle, il sculpte sa Vénus avec constance. Elle est juchée sur des escarpins à talon qui
la mettent sur un piédestal, elle a la cuisse ronde et les hanches larges, elle expose sa nudité avec délice, savoure
une féminité joueuse, déclinant pose après pose, les pas d’une parade
amoureuse, elle se sait irrésistible dans sa coquetterie sans fard. Elle évoque
bien « La Géante » qui inspire Charles Baudelaire.
« Du temps que la Nature en sa verve puissante
Concevait chaque jour des enfants monstrueux,
J’eusse aimé vivre auprès d’une jeune géante,
Comme aux pieds d’une reine un chat voluptueux.
J’eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme
Et grandir librement dans ces terribles jeux ;
Deviner si son cœur couvre une sombre flamme
Aux humides brouillards qui nagent dans ses
yeux ;
Parcourir à loisir ses magnifiques formes ;
Ramper sur le versant de ses genoux énormes,
Et parfois en été, quand les soleils malsains,
Lasse, la font s’étendre à travers la campagne,
Dormir nonchalamment à l’ombre de ses seins,
Comme un hameau paisible au pied d’une montagne.»
Charles
Baudelaire, « La géante», Les fleurs du Mal, 1857
Plus
tard, de 2004 à 2012, c’est en tant que directeur du musée d’art contemporain
de Châteauneuf-le-Rouge, ARTEUM et commissaire d’exposition, qu’il s’intéresse
de près à l’œuvre de nombreux artistes qu’il invite à exposer. Au cours de la
préparation de l’exposition « Mises en boîtes » (9 mars, 16 avril
2011), il est profondément touché par les œuvres des artistes Paul Duchein,
Jean-Michel Jaudel, Marc Giai-Miniet, Cathy Mouis, Ronan-Jim Sevellec, Pascal
Verbena, Lucas Weinachter, Omar Youssoufi . Il choisit comme citation, en exergue du
catalogue, une phrase d’Albert Einstein : « Celui qui ne peut plus
éprouver ni étonnement ni surprise est pour ainsi dire mort, ses yeux sont
éteints ». Lui, regarde avec tant d’enthousiasme
que cela rejaillit sur sa pratique et le conduit à s’engager dans des
recherches similaires. Il débute une série de boîtes, combinant de multiples objets dont le rapprochement est, sinon « beau comme la rencontre fortuite
sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie », suivant
la formule de Lautréamont réemployée par André Breton pour définir la beauté de
l’œuvre surréaliste ; du moins
vecteur d’un discours visuel et poétique sur la vie, la mort, l’amour,
les thèmes existentiels qui préoccupent
tout un chacun. Pierre Vallauri les
aborde avec humour, tendresse ou ironie, en faisant dialoguer des objets
hétéroclites et triviaux malgré le « sérieux » des thèmes. Rien de tel que se mettre soi-même en boîte
pour ne pas se prendre au sérieux et surtout pour ne pas suffoquer … On obtient
une qualité de comique rabelaisien, salvateur, où l’humain est aimé pour
lui-même, sans arrogance, dans une certaine démesure de moyens contenus dans
l’espace fini d’une boîte. C'est témoigner d'un appétit de vivre et avoir envers et contre tout un regard positif sur l'humain et le monde. C'est une forme d'humanisme que je reconnais chez Pierre Vallauri. Il faut
parfois pousser le trait pour être visible ou lisible et pour
capter le spectateur saturé d’images dans la vie quotidienne.
La
profusion, le débordement, mais aussi l’énergie positive et une attention au monde animent la démarche de Pierre
Vallauri. Il est curieux d'art, mais aussi averti de ce qui se passe dans le monde, pour preuve un travail en cours dont il m’avait montré les esquisses
lors de ma visite dans son atelier, sous
le titre explicite : REPARATION(S).
Aujourd’hui l’œuvre est terminée et figurera du 27 novembre au 2
décembre 2018, au « Cinéma Repaire Artistique » de Roquevaire, dans
une exposition proposée par Michèle
Guérin. Cette exposition doit s’appuyer
sur une citation de Kader Attia, présente dans son exposition au Palais de
Tokyo : « il s’agit de réfléchir ensemble à l’immense pouvoir de
l’art dans un processus réparateur des faiblesses de ce monde ». Pierre Vallauri veut présenter la photo d’une rue de Damas
détruite et en miroir cette même rue reconstruite d’après quelques restes. Il utilise une photo de Karam Al Masri, un
réfugié syrien avec lequel il est entré en contact et lui a donné autorisation
de le faire. Ce travail est un tableau à double vision d’un côté Alep détruite
et de l’autre Alep réparée. Est-ce se situer dans une vision utopiste du monde
que d’en proposer une vision réparée ? C’est en tout cas aller dans le
sens de la vie par l’action, même s’il avoue qu’une œuvre d’art n’a pas beaucoup
de prise sur le monde, même si cela témoigne de l’atroce et du désir d’action
pour finir la guerre et réparer la vie, cela reste, aujourd’hui encore de
l’ordre du ré-enchantement du monde, plus que de la réalité. Créer pour ne pas se résigner en projetant un
avenir possible, même dans un champ de ruines.
Oeuvre de Pierre Vallauri, tableau en relief à vue double pour l'exposition REPARATION(S), d'après des photos de Karam Al Masri. (crédit pour ces photos: Pierre Vallauri) |
En 2013 , à l’occasion du
grand projet Marseille Provence 2013 (MP13) , Pierre Vallauri a travaillé en
étroite collaboration avec Corinne Theret ( Galerie du Lézard), Vincent Bercker
( Galerie Vincent Bercker) et bien d’autres galeries rassemblées autour duGUDGI, pour une suite d’expositions sur l’art du papier, intitulée PAPER ART PROJECT. Une fois encore, la
fréquentation des artistes invités et de leurs œuvres, a stimulé le travail de
Pierre Vallauri. Le papier est un médium avec lequel il travaille depuis quatre
ans environ, multipliant les expositions
collectives (Ninon Anger, Nicole Arsénian, Raymond Galle, Isabelle G. Nathan,
Odile Xaxa) sous le titre « Cent papiers plus ou moins ». Son travail
autour du papier explore les objets usuels, en l’occurrence les filtres à café
usagés, cherchant par l’accumulation à brouiller la reconnaissance de la forme de l’objet,
à s’éloigner de son usage pour donner un
supplément de beauté au rebus et faire porter sur lui un autre regard. Le rebus, le déchet, devient matière première
et se découvre un potentiel esthétique.
Plus il y a accumulation d’objets, moins on les voit en tant
qu’objet. La multiplication de l’objet
réel contribue paradoxalement à lui ôter une part de sa réalité, il ne renvoie
plus qu’à lui-même, une forme, une matière, une couleur en perdant sa
fonctionnalité et son utilité. C’est alors qu’il devient objet d’art. Pierre Vallauri découpe, plie, brûle des formes géométriques dans les grandes
feuilles de papier, ces œuvres le plus souvent non figuratives jouent de la
répétition du motif sous des éclairages particuliers. Les possibilités sont
infinies et les études abondent. Le résultat est plus géométrique, plus
élaboré, puisque le support papier est travaillé, altéré dans sa forme. La démarche de création est en cela
différente, elle est davantage jeu mental, habileté manuelle, recherche
esthétique d’une forme, parfois d’un message positif : « YES ». Enfin une œuvre de grande taille, m’a tout de
suite intriguée en entrant dans l’atelier, un grand volume blanc, carré, divisé
en cellules plus petites, remplies de feuilles
de papier blanc écru, roulées en volutes, comme le sont les paperolles. Elles dessinent des arabesques et
jouent avec l’angle de vue qui fait évoluer la vision des pleins et des vides
et la couleur des feuilles qui adoptent une infinité de nuances de blanc. Au
premier abord j’y ai vu une accumulation de messages, la feuille de papier blanc évoquant
pour moi la lettre ou le manuscrit et j’ai pensé au mur des lamentations à Jérusalem… mais c’est
très subjectif et il n’est pas nécessaire de trouver un équivalent dans la réalité du monde à une telle œuvre, plastiquement intéressante. Les jeux de formes et de lumières sont captivants.
Mon amitié avec Pierre Vallauri,
remonte à l’époque où j’ai rejoint l’association Perspectives (2008), un groupement
d’artistes aixois, il en avait été le président de 1982 à 1997 et était encore
le président du MAC ARTEUM (musée d’art contemporain à Châteauneuf-le-Rouge) et
dans le cadre de cette fonction, il m’avait confié la rédaction d’articles pour
les catalogues des expositions « Suite arlésienne » (octobre-novembre
2011) et « Traits intimes » (novembre-décembre 2012). La préparation
de ces articles nous avait conduits à visiter ensemble plusieurs ateliers d’artistes arlésiens,
Gabriel Delprat, Gérard Eppelé, Doris Salomon la compagne d’Heribert Maria
Staub,Xavier Spatafora pour la préparation de « Suite arlésienne ».
Ensuite, Sophie de Garam, Catherine
Duchêne, Denise Fernandez-Grundman, Kamel Khélif, Alain Puech, Pierre Salvan pour l’exposition de dessins « Traits
intimes » et j’ai gardé de ces moments de découverte un excellent souvenir qui a scellé notre
amitié. Pierre Vallauri fait partie des artistes
aixois (même s’il n’est pas exactement aixois), nègreliens (c’est ainsi que se nomment
les habitants de Châteauneuf-le-Rouge), marseillais etc… qui comptent et qui ont été très actifs depuis
la fin des années soixante.
Inéluctablement, le temps passe, les décès, la fermeture de plusieurs galeries (dont la Galerie Alain Paire), les mutations et changements politiques, font évoluer ce paysage humain. Il est inutile d’être nostalgique, mais c’est inévitable aussi et pour cela un hommage et un témoignage amicaux me semblent avoir tout leur sens. J’admire l’enthousiasme, la curiosité et l’énergie créatrice qui animent Pierre Vallauri et je lui souhaite un beau succès pour l’exposition REPARATION(S), au Repaire de Roquevaire. Qu'il poursuive encore longtemps à livrer des oeuvres généreuses qui sont sa manière d'être dans le monde, un passeur (pour reprendre un titre utilisé par le galeriste Patrick Bartoli) et un artiste de son temps.
Florence Laude, août 2018.
Pierre Vallauri
Le Pey Gros, 501 Route des Estrets
13490 JOUQUES
06 73 88 14 18
Les sites et les blogs de Pierre Vallaurihttps://www.pierrevallauri.com/
http://enquetedimages.blogspot.com/
https://enquetediamges.blogspot.com/
http://vallauri.pagesperso-orange.fr/cv.html
https://www.galeriedulezard.com/pierre-vallauri
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Galeries et Musée
Galerie du Lézard, de Corinne Theret: https://www.galeriedulezard.com/
Galerie Vincent Bercker : https://www.facebook.com/GALERIE-VINCENT-BERCKER-195972043772781/
Association PERSPECTIVES : https://perspectives13artcontemporain.blogspot.com/
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