jeudi 3 novembre 2016

Patrice Cadiou, Auberive



Fin juillet 2016, de passage à Auberive, j’ai contacté l’artiste Bertha Rivas qui était la femme de Patrice Cadiou. Aimablement,  elle a accepté  de nous ouvrir la porte de leur maison et de nous laisser visiter  l’atelier qu’elle partageait avec le sculpteur,  à quelques mètres à peine de la maison. Il n’y avait que la rue à traverser pour pousser le portillon du jardin et rejoindre l’atelier.  Ils avaient quitté Aubervilliers en  2007 à l’invitation du collectionneur Jean-Claude Volot, propriétaire de l’abbaye d’Auberive, aménagée depuis 2005 en centre d’art contemporain. Jean-Claude Volot y a rassemblé une belle collection d’art brut, d’art singulier et d’outsiders. Cette récente visite à Auberive est  l’occasion de présenter les œuvres de Patrice Cadiou qui se trouvaient dans l’atelier, d’évoquer l’exposition que j’ai vue à la Halle Saint-Pierre (Paris) en avril dernier : « Esprit Singulier », fonds de la collection de l’Abbaye d’Auberive (du 30 mars au 26 août 2016)  et de parler modestement du grand artiste qu’il a été, pour continuer de faire connaître son travail. Patrice Cadiou est décédé le 25 janvier 2015.


Patrice Cadiou (à gauche) chez  Claude Roffat    (Janvier 2012)

J’avais rencontré Patrice Cadiou en janvier 2012 à Marseille, chez Claude Roffat rédacteur et  éditeur de l’excellente  revue L’œuf Sauvage, dont le dixième numéro publié à l’automne 2011 pour les vingt ans de la revue consacrait un article au sculpteur. Nous  étions passés chez lui avec Alain Paire qui le connaît de longue date,  après avoir rendu  visite  au dessinateur  Kamel Khélif, dans la matinée. Claude Roffat nous avait invités à partager le repas de midi. Sur le champ, j’avais été   touchée par les photos des sculptures présentées dans l’article « l’art magique », écrit par Joël Gayraud (L’œuf Sauvage N°10) et par la personnalité de Patrice Cadiou.

catalogue de l'exposition  "Nuits talismaniques" ( 2012), Jean-Jacques Plaisance,  la Galerie Les Yeux Fertiles. 

Dixième numéro de la revue "L'oeuf sauvage"

De retour à la maison  j’avais cherché à en savoir davantage et parmi les documents trouvés sur le net, j’avais retenu un film intitulé «Patrice Cadiou malaxe Alain Bashung », un montage d’images réalisé par Aurélie Cardin à Aubervilliers en 2007, parce que même si Patrice Cadiou ne connaissait pas Alain Bashung, il l’appréciait suffisamment pour choisir d’associer ses mots et sa musique à son travail. Le  sculpteur apparaissait  dans son atelier d’Aubervilliers, entouré de matériaux, d’outils, d’œuvres en cours ou terminées et Bashung martelait «  malaxe » (album Fantaisie Militaire, 1998). La voix  semblait, à la longue,  venir des totems sculptés et s’adresser au sculpteur, pour  accompagner son geste, sorte d’imprécation participant à l’envoûtement de l’oeuvre. 

 http://www.dailymotion.com/video/x4xzff_alain-bashung-malaxe-cadiou_creation

ou 

 http://imagesentete.blogspot.fr/2012/01/patrice-cadiou-malaxe-alain-bashung.html



Au commencement ( et avec la régularité d’un refrain) était le verbe  « malaxe », pour dire la   cuisine  secrète, patiente et longue, le don qui anime les mains du sculpteur  pour assembler les  matières et créer dans la lueur de la nuit des sculptures que l’on a parfois comparées à des talismans et qui me rappellent aussi la recherche de Rimbaud dans  « l’alchimie du verbe »  (Une Saison en enfer, « Délire II », 1973) 

« [...] je croyais à tous les enchantements.  J'inventai la couleur des voyelles ! - A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. - Je réglais la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattais d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.  Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges. »




L'atelier de Patrice Cadiou et de Bertha Rivas


Patrice Cadiou travaillait avec ses voyelles et ses consonnes, ses matériaux premiers, le bois, le cuir, les métaux, parfois des ossements ou les cadavres momifiés de quelques animaux, tous ces matériaux vivants parce que périssables venus de la Nature et destinés à y retourner.  Bertha Rivas nous a appris l’origine des cuirs et des bois utilisés par Patrice Cadiou, trouvés et rapportés de Catalogne, bois d’anciens bateaux de pêcheurs  catalans et cuirs (harnais, licols, sangles, selles pour chevaux etc...) de l’armée républicaine espagnole (1936 – 1939) dénichés un jour par le sculpteur et qu’il avait tous achetés parce que l’histoire dont ils témoignaient le fascinait :  la République espagnole  battue et bâillonnée par le régime fasciste imposé par Franco  jusqu’à sa mort  en 1975. On peut penser que La République espagnole est le seul moment,  avec la Commune  de Paris, où un esprit libertaire a vraiment existé. Les républicains  étaient très nombreux puisque dans certaines villes espagnoles ils ont même vécu sans argent en mettant en place d’autres règles de fonctionnement collectif et social. Pour le monde libertaire, l’Espagne est un symbole à l’instar du caractère espagnol  libre, indocile et insoumis. Un peu extrême aussi. Certainement, le maintien de la corrida en Espagne est-elle le symbole de la survivance de ces combats et d’une culture extrêmes. J’insiste sur l’histoire, l’idéologie et la culture qui nourrissent les matières premières dont se servait Patrice Cadiou parce qu’ils  concourent à la puissance symbolique et  spirituelle de ses sculptures. C’est la part d’immatériel des objets physiques, leur âme.


Au centre de cette sculpture dont j'ignore si elle porte un titre, se tient une sorte de Vénus dont les formes me rappellent très vivement la Venus de Willendorf


Cela est également justifié par les titres donnés par Patrice Cadiou à certaines de ses sculptures (quand il les nomme), « Hommage à Manuel Benitez El Cordobès » (2010), un des plus célèbres matadors du XXème siècle, ou «  L’œuf sauvage, hommage à Claude Roffat » (2009), référence à son ami Claude Roffat et à sa revue qu’il métamorphose en œuvre d’art. Les deux sculptures ont été exposées à la Halle Saint-Pierre en 2016 et,  en 2012  par Jean-Jacques Plaisance, dans la Galerie Les Yeux Fertiles à Paris. A l’occasion de cette exposition, Claude Roffat écrivit un texte à la demande de son ami le sculpteur : « De quoi Patrice Cadiou est-il le messager, le passeur ?  [...] Ce que Patrice Cadiou nous donne à voir n’a pas d’équivalent. Et pourtant toute son œuvre nous paraît familière. Cela est possible parce qu’elle fait appel en nous à une mémoire ancestrale, une mémoire hors de la mémoire, une mémoire inconsciente. Mémoire universelle aussi, ai-je envie d’écrire, tant il me paraît probable que certains totems, certains boucliers (je n’emploie ces mots que par commodité), doivent avoir la même résonance, doivent susciter la même émotion, quel que soit le regardeur, sa culture, son ethnie.»  L’exposition dans la galerie de Jean-Jacques Plaisance empruntait son titre « Nuits talismaniques » à un livre de René Char publié en 1972, La nuit talismanique. Dans son article, Claude Roffat pointe justement l’attention sur la mémoire intrinsèque à l’œuvre créée qui lui vient des matériaux utilisés conjuguée à la mémoire de l’artiste et à la mémoire du spectateur.








La nuit  joue un rôle primordial dans l’œuvre de Cadiou, on la retrouve à divers degrés. Tout d’abord parce qu’il travaillait la nuit. Il rejoignait son atelier à l’heure où chacun est à ses rêves, veilleur solitaire, il façonnait ses songes à l’heure où l’on perçoit d’autres choses que le visible.   Là encore Claude Roffat qui le connaissait bien, apporte un commentaire éclairant : « Cette œuvre, que nous savons surgie de la nuit, l’est doublement. De la nuit de l’artiste d’abord, de sa nuit, quand des forces invisibles l’appellent, et puis d’une autre nuit, plus profonde, immémoriale, celle-là », celle qu’il qualifie de Mémoire Universelle.  Enfin, la patine noire, choisie par Cadiou pour unifier ses assemblages est comme le voile d’une  nuit noire,  une matière plus sensuelle sous la  lumière. Dans la nuit le mystère est protégé, l’attention est aiguisée  dans un autre rapport d’intelligence des sens, on croit sentir le cuir et le bois on a envie de porter la main pour communier avec l’œuvre dans une union à la fois plus spirituelle et affective.




Patrice Cadiou a eu une formation de danseur classique  dès l’école primaire.  Son père était  artiste peintre et décorateur dans le cinéma, ils ont d’ailleurs exposé ensemble en 1976, place Beauvau, chez Gérard Laubie.  Bertha Rivas m’a dit que c’est sa mère qui avait eu l’idée d’inscrire son fils à des cours de danse et de faire de lui un danseur professionnel, mais que,  très jeune encore, il s’était  rendu compte qu’il n’était pas fait pour le métier de danseur.  Vers l’âge de 17 ans, après avoir été engagé par le théâtre Sarah Bernard et le théâtre du Châtelet,  il avait réalisé qu’il ne se voyait pas poursuivre une carrière consacrée à « porter des danseuses »... Il a cependant  continué  la danse, en même temps qu’il a commencé la sculpture. Des amis l’ont incité à exposer et à persévérer dans la sculpture car Il avait pour ainsi dire  la sculpture dans la peau, elle s’imposait à lui, autodidacte.



Reproduction de la p. 21 du catalogue de l'exposition "Nuits Talismaniques",  le "Calvaire breton" qui était présenté à la Halle Saint-Pierre, avec deux "totems", "Hommage à Manuel Benitez El Cordobès" (2010) et "L'oeuf sauvage, hommage à Claude Roffat" (2009)
Sitôt le portillon du jardin refermé, le sentier entre les herbes folles nous guide vers la porte du grand atelier. Pour l'atteindre, il faut passer entre les coquilles (évocation des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle) déposées sur le rebord d'une fenêtre et le tilleul dans lequel sont enchâssés des figurines christiques. 

 

Le bureau

Dans cette partie de l'atelier on peut voir  plusieurs sculptures en cours de création

sculptures inachevées

Sculpture inachevée qui laisse apparaître les repères posés par le sculpteur au fur et à mesure de la progression du travail.

Sculpture inachevée. Patrice Cadiou travaillait sur plusieurs  sculptures en même temps.  Sur son bureau, il avait des  carnets dans lesquels il dessinait des croquis et prenait des notes.


Empilements de sangles en cuir, de sacoches, de selles de chevaux de l'armée républicaine espagnole ( 1936 - 1939)
 Bertha Rivas m'a dit qu'elle souhaite vendre ces cuirs. Si quelqu'un est intéressé, me laisser un message. Je transmettrai.



Pour compléter on peut consulter cette page web qui rend compte d'une exposition  qui en 1982, dans la galerie Gérard Laubie, présenta les oeuvres de Patrice Cadiou et de son père, Gérard Cadiou. 

On lira avec intérêt le blog de Pierre Vallauri qui a lui aussi fait le déplacement à Auberive en 2015

Le site de Patrice Cadiou, encore pour consulter la liste des Galeries qui ont montré ses oeuvres:

Les sculptures de Bertha Rivas, à l'atelier Luca:

Mes plus sincères remerciements à  Bertha Rivas pour  nous avoir accordé du temps et nous avoir permis de visiter l'atelier.

Florence Laude

Mes remerciements vont aussi à Claude Roffat. On trouve des informations sur  la revue L'oeuf Sauvage  ICI  et on peut lire un article très intéressant sur le site d'Alain Paire sous la rublrique "EditionS et Revue: L'oeuf Sauvage de Claude Roffat" en cliquant LA

Remerciements également à l'ami Pierre Vallauri qui m'a fourni des liens précieux et qui a lui aussi visité Auberive et l'atelier de Patrice Cadiou à l'occasion de la rétrospective Dado à l'Abbaye d'Auberive. ( voir son blog par ici)

1 commentaire:

levaillant a dit…

Bonjour, J'écris l'histoire de l'art du bois flotté et du bois d'épaves aussi je voudrais échanger avec quelqu'un qui pourrait me renseigner à quelle époque Cadiou a commencé à incoporer du bois flotté et du bois de barque dans ses sculptures et dans ses assemblages.
Je suis mosaïste, plasticien et vous pouvez me découvrir sur www.pascallevaillant.com
J'organise la deuxième biennale d'art art du bois flotté à Plouguerneau en main prochain.
Merci pour votre reponse être bravo pour votre article sur Cadiou