Fin juillet 2016, de passage à
Auberive, j’ai contacté l’artiste Bertha Rivas qui était la femme de Patrice Cadiou. Aimablement, elle a accepté de nous ouvrir la porte de leur maison et de
nous laisser visiter l’atelier qu’elle
partageait avec le sculpteur, à quelques
mètres à peine de la maison. Il n’y avait que la rue à traverser pour pousser
le portillon du jardin et rejoindre l’atelier.
Ils avaient quitté Aubervilliers en
2007 à l’invitation du collectionneur Jean-Claude Volot, propriétaire de
l’abbaye d’Auberive, aménagée depuis 2005 en centre d’art contemporain.
Jean-Claude Volot y a rassemblé une belle collection d’art brut, d’art
singulier et d’outsiders. Cette récente visite à Auberive est l’occasion de présenter les œuvres de Patrice
Cadiou qui se trouvaient dans l’atelier, d’évoquer l’exposition que j’ai vue à
la Halle Saint-Pierre (Paris) en avril dernier : « Esprit Singulier », fonds de la collection de l’Abbaye
d’Auberive (du 30 mars au 26 août 2016)
et de parler modestement du grand artiste qu’il a été, pour continuer de
faire connaître son travail. Patrice Cadiou est décédé le 25 janvier 2015.
Patrice Cadiou (à gauche) chez Claude Roffat (Janvier 2012) |
J’avais rencontré Patrice Cadiou en janvier 2012 à Marseille, chez Claude Roffat rédacteur et éditeur de l’excellente revue L’œuf Sauvage, dont le dixième numéro publié à l’automne 2011 pour les vingt ans de la revue consacrait un article au sculpteur. Nous étions passés chez lui avec Alain Paire qui le connaît de longue date, après avoir rendu visite au dessinateur Kamel Khélif, dans la matinée. Claude Roffat nous avait invités à partager le repas de midi. Sur le champ, j’avais été touchée par les photos des sculptures présentées dans l’article « l’art magique », écrit par Joël Gayraud (L’œuf Sauvage N°10) et par la personnalité de Patrice Cadiou.
catalogue de l'exposition "Nuits talismaniques" ( 2012), Jean-Jacques Plaisance, la Galerie Les Yeux Fertiles. |
Dixième numéro de la revue "L'oeuf sauvage" |
De retour à la maison j’avais cherché à en savoir davantage et parmi les documents trouvés sur le net, j’avais retenu un film intitulé «Patrice Cadiou malaxe Alain Bashung », un montage d’images réalisé par Aurélie Cardin à Aubervilliers en 2007, parce que même si Patrice Cadiou ne connaissait pas Alain Bashung, il l’appréciait suffisamment pour choisir d’associer ses mots et sa musique à son travail. Le sculpteur apparaissait dans son atelier d’Aubervilliers, entouré de matériaux, d’outils, d’œuvres en cours ou terminées et Bashung martelait « malaxe » (album Fantaisie Militaire, 1998). La voix semblait, à la longue, venir des totems sculptés et s’adresser au sculpteur, pour accompagner son geste, sorte d’imprécation participant à l’envoûtement de l’oeuvre.
http://www.dailymotion.com/video/x4xzff_alain-bashung-malaxe-cadiou_creation
ou
http://imagesentete.blogspot.fr/2012/01/patrice-cadiou-malaxe-alain-bashung.html
Au commencement ( et avec la
régularité d’un refrain) était le verbe
« malaxe », pour dire la cuisine
secrète, patiente et longue, le don qui anime les mains du sculpteur pour assembler les matières et créer dans la lueur de la nuit des
sculptures que l’on a parfois comparées à des talismans et qui me rappellent
aussi la recherche de Rimbaud dans
« l’alchimie du verbe »
(Une Saison en enfer, « Délire
II », 1973)
« [...]
je croyais à tous les enchantements.
J'inventai la couleur des voyelles ! - A noir, E blanc, I rouge, O bleu,
U vert. - Je réglais la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes
instinctifs, je me flattais d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou
l'autre, à tous les sens. Je réservais la traduction. Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des
silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges. »
L'atelier de Patrice Cadiou et de Bertha Rivas |
Patrice Cadiou travaillait avec ses voyelles et ses consonnes, ses
matériaux premiers, le bois, le cuir, les métaux, parfois des ossements ou les
cadavres momifiés de quelques animaux, tous ces matériaux vivants parce que périssables venus de la Nature et
destinés à y retourner. Bertha Rivas
nous a appris l’origine des cuirs et des bois utilisés par Patrice Cadiou, trouvés
et rapportés de Catalogne, bois d’anciens bateaux de pêcheurs catalans et cuirs (harnais, licols, sangles,
selles pour chevaux etc...) de l’armée républicaine espagnole (1936 – 1939)
dénichés un jour par le sculpteur et qu’il avait tous achetés parce que l’histoire
dont ils témoignaient le fascinait :
la République espagnole battue et
bâillonnée par le régime fasciste imposé par Franco jusqu’à sa mort en 1975. On peut penser que La République
espagnole est le seul moment, avec la
Commune de Paris, où un esprit
libertaire a vraiment existé. Les républicains étaient très nombreux puisque dans certaines
villes espagnoles ils ont même vécu sans argent en mettant en place d’autres
règles de fonctionnement collectif et social. Pour le monde libertaire,
l’Espagne est un symbole à l’instar du caractère espagnol libre, indocile et insoumis. Un peu extrême
aussi. Certainement, le maintien de la corrida en Espagne est-elle le symbole
de la survivance de ces combats et d’une culture extrêmes. J’insiste sur l’histoire,
l’idéologie et la culture qui nourrissent les matières premières dont se
servait Patrice Cadiou parce qu’ils concourent à la puissance symbolique et spirituelle de ses sculptures. C’est la part d’immatériel
des objets physiques, leur âme.
Au centre de cette sculpture dont j'ignore si elle porte un titre, se tient une sorte de Vénus dont les formes me rappellent très vivement la Venus de Willendorf |
Cela est également justifié par
les titres donnés par Patrice Cadiou à certaines de ses sculptures (quand il les
nomme), « Hommage à Manuel Benitez El Cordobès » (2010), un des plus
célèbres matadors du XXème siècle, ou « L’œuf sauvage, hommage à Claude
Roffat » (2009), référence à son ami Claude Roffat et à sa revue qu’il métamorphose
en œuvre d’art. Les deux sculptures ont été exposées à la Halle Saint-Pierre en
2016 et, en 2012 par Jean-Jacques Plaisance, dans la Galerie Les Yeux Fertiles à Paris. A l’occasion
de cette exposition, Claude Roffat écrivit un texte à la demande de son ami le
sculpteur : « De quoi Patrice Cadiou est-il le messager, le
passeur ? [...] Ce que Patrice
Cadiou nous donne à voir n’a pas d’équivalent. Et pourtant toute son œuvre nous
paraît familière. Cela est possible parce qu’elle fait appel en nous à une
mémoire ancestrale, une mémoire hors de la mémoire, une mémoire inconsciente.
Mémoire universelle aussi, ai-je envie d’écrire, tant il me paraît probable que
certains totems, certains boucliers (je n’emploie ces mots que par commodité),
doivent avoir la même résonance, doivent susciter la même émotion, quel que
soit le regardeur, sa culture, son ethnie.»
L’exposition dans la galerie de Jean-Jacques Plaisance empruntait son
titre « Nuits talismaniques » à un livre de René Char publié en 1972,
La nuit talismanique. Dans son
article, Claude Roffat pointe justement l’attention sur la mémoire intrinsèque
à l’œuvre créée qui lui vient des matériaux utilisés conjuguée à la mémoire de
l’artiste et à la mémoire du spectateur.
La nuit joue un rôle
primordial dans l’œuvre de Cadiou, on la retrouve à divers degrés. Tout d’abord
parce qu’il travaillait la nuit. Il rejoignait son atelier à l’heure où chacun
est à ses rêves, veilleur solitaire, il façonnait ses songes à l’heure où l’on
perçoit d’autres choses que le visible. Là encore Claude Roffat qui le connaissait
bien, apporte un commentaire éclairant : « Cette œuvre, que nous
savons surgie de la nuit, l’est doublement. De la nuit de l’artiste d’abord, de
sa nuit, quand des forces invisibles l’appellent, et puis d’une autre nuit,
plus profonde, immémoriale, celle-là », celle qu’il qualifie de Mémoire
Universelle. Enfin, la patine noire,
choisie par Cadiou pour unifier ses assemblages est comme le voile d’une nuit noire,
une matière plus sensuelle sous la lumière. Dans la nuit le mystère est protégé,
l’attention est aiguisée dans un autre
rapport d’intelligence des sens, on croit sentir le cuir et le bois on a envie
de porter la main pour communier avec l’œuvre dans une union à la fois plus
spirituelle et affective.
Patrice Cadiou a eu une formation de
danseur classique dès l’école
primaire. Son père était artiste peintre et décorateur dans le cinéma,
ils ont d’ailleurs exposé ensemble en 1976, place Beauvau, chez Gérard
Laubie. Bertha Rivas m’a dit que c’est
sa mère qui avait eu l’idée d’inscrire son fils à des cours de danse et de
faire de lui un danseur professionnel, mais que, très jeune encore, il s’était rendu compte qu’il n’était pas fait pour le
métier de danseur. Vers l’âge de 17 ans,
après avoir été engagé par le théâtre Sarah Bernard et le théâtre du Châtelet, il avait réalisé qu’il ne se voyait pas
poursuivre une carrière consacrée à « porter des danseuses »... Il a
cependant continué la danse, en même temps qu’il a commencé la
sculpture. Des amis l’ont incité à exposer et à persévérer dans la sculpture
car Il avait pour ainsi dire la
sculpture dans la peau, elle s’imposait à lui, autodidacte.
Le bureau |
Dans cette partie de l'atelier on peut voir plusieurs sculptures en cours de création |
sculptures inachevées |
Sculpture inachevée qui laisse apparaître les repères posés par le sculpteur au fur et à mesure de la progression du travail. |
Sculpture inachevée. Patrice Cadiou travaillait sur plusieurs sculptures en même temps. Sur son bureau, il avait des carnets dans lesquels il dessinait des croquis et prenait des notes. |
Empilements de sangles en cuir, de sacoches, de selles de chevaux de l'armée républicaine espagnole ( 1936 - 1939) |
Pour compléter on peut consulter cette page web qui rend compte d'une exposition qui en 1982, dans la galerie Gérard Laubie, présenta les oeuvres de Patrice Cadiou et de son père, Gérard Cadiou.
On lira avec intérêt le blog de Pierre Vallauri qui a lui aussi fait le déplacement à Auberive en 2015
Le site de Patrice Cadiou, encore pour consulter la liste des Galeries qui ont montré ses oeuvres:
Les sculptures de Bertha Rivas, à l'atelier Luca:
Mes plus sincères remerciements à Bertha Rivas pour nous avoir accordé du temps et nous avoir permis de visiter l'atelier.
Florence Laude
Remerciements également à l'ami Pierre Vallauri qui m'a fourni des liens précieux et qui a lui aussi visité Auberive et l'atelier de Patrice Cadiou à l'occasion de la rétrospective Dado à l'Abbaye d'Auberive. ( voir son blog par ici)
1 commentaire:
Bonjour, J'écris l'histoire de l'art du bois flotté et du bois d'épaves aussi je voudrais échanger avec quelqu'un qui pourrait me renseigner à quelle époque Cadiou a commencé à incoporer du bois flotté et du bois de barque dans ses sculptures et dans ses assemblages.
Je suis mosaïste, plasticien et vous pouvez me découvrir sur www.pascallevaillant.com
J'organise la deuxième biennale d'art art du bois flotté à Plouguerneau en main prochain.
Merci pour votre reponse être bravo pour votre article sur Cadiou
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