A quelqu'un qui demandait à la marquise du Deffand, amie de Voltaire, comptant parmi les esprits éclairés du siècle des Lumières, si elle croyait aux fantômes, il paraît qu'elle répondit: " je ne crois pas aux fantômes, mais j'en ai peur".
série "les chaises", monotype (2012) |
Le paradoxe éclate. Si les intellectuels du XVIII ème siècle étudient toute chose avec raison pour se libérer de l'obscurantisme, pour critiquer l'archaïsme des monarchies absolues et s'ouvrir à la recherche du bonheur individuel et collectif; s'ils entendent s'opposer aux ténèbres du fanatisme religieux et à la superstition prévalant dans des couches de la population les moins instruites et les plus populaires; la réalité montre qu'un esprit de doute et de peur pousse à l'émergence d'une littérature fantastique qui raffole d'un étrange qui bouscule la perception raisonnée du monde sensible. La littérature fantastique nous dit que la recherche d'une logique et d'une cohérence du monde semble échapper à toute volonté de la contrôler par l'exercice de la raison. Mais bien sûr, tout cela n'est que littérature et le non-sens des choses est le fruit de l'imaginaire des auteurs !
Pour compléter, la lecture de deux nouvelles fantastiques du XIXème siècle, très proches dans leurs problématiques : un homme éperdument amoureux reste inconsolable après la mort de celle qu'il aime ... "L'amour est plus fort que la mort", écrit Villiers de L'Isle Adam en ouverture de la nouvelle, "Véra" (1893). Guy de Maupassant dans "La Morte" (1889) commence ainsi : "Je l'avais aimée éperdument."
La nuance inaugurale entre les deux récits, le présent (de vérité générale) pour l'un, le passé pour l'autre, laisse deviner l'évolution divergente des deux récits, l'un dans une veine fantastique teintée de romantisme et l'autre de pessimisme. Deux nouvelles qui sont deux petits bijoux d'écriture ...
Dans la nouvelle de Villiers de L'Isle Adam, on sera attentif à la description de la chambre qui revient à quatre reprises... quatre mutations significatives dans l'évolution du récit et de l'état d'esprit du personnage: objets inanimés, auriez-vous donc une âme ?
"La Morte", Guy de Maupassant, La main Gauche, 1889
Je ne conterai point notre histoire. L’amour n’en a qu’une, toujours la même. Je l’avais rencontrée et aimée. Voilà tout. Et j’avais vécu pendant un an dans sa tendresse, dans ses bras, dans sa caresse, dans son regard, dans ses robes, dans sa parole, enveloppé, lié, emprisonné dans tout ce qui venait d’elle, d’une façon si complète que je ne savais plus s’il faisait jour ou nuit, si j’étais mort ou vivant, sur la vieille terre ou ailleurs.
Et voilà qu’elle mourut. Comment ? Je ne sais pas, je ne sais plus.
Elle rentra mouillée, un soir de pluie, et le lendemain, elle toussait. Elle toussa pendant une semaine environ et prit le lit.
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"Véra", Villiers de L'Isle Adam, Contes Cruels, 1893
La forme du corps lui est plus essentielle que sa substance.
La Physiologie moderne.
L’amour est plus fort que la Mort, a dit Salomon : oui, son mystérieux pouvoir est illimité.
C’était à la tombée d’un soir d’automne, en ces dernières années, à Paris. Vers le sombre faubourg Saint-Germain, des voitures, allumées déjà, roulaient, attardées, après l’heure du Bois. L’une d’elles s’arrêta devant le portail d’un vaste hôtel seigneurial, entouré de jardins séculaires ; le cintre était surmonté de l’écusson de pierre, aux armes de l’antique famille des comtes d’Athol, savoir : d’azur, à l’étoile abîmée d’argent, avec la devise « Pallida Victrix », sous la couronne retroussée d’hermine au bonnet princier. Les lourds battants s’écartèrent. Un homme de trente à trente-cinq ans, en deuil, au visage mortellement pâle, descendit. Sur le perron, de taciturnes serviteurs élevaient des flambeaux. Sans les voir, il gravit les marches et entra. C’était le comte d’Athol.
Chancelant, il monta les blancs escaliers qui conduisaient à cette chambre où, le matin même, il avait couché dans un cercueil de velours et enveloppé de violettes, en des flots de batiste, sa dame de volupté, sa pâlissante épousée, Véra, son désespoir.
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