Un carré de tissu
blanc qui mollement enrobe. Un carré
sans carreaux, ce ne peut-être un mouchoir, bien qu’il en ait la dimension. Et, bien que
parcouru de plis, il n’est tout de même pas froissé en boule. Ce n’est pas du fond de la poche qu’on l’extrait.
Il est étiré, au contraire, et semble se déployer de part et d’autre d’une dorsale bosselée.
Une fois et demie la longueur de ma
main depuis le pli du poignet jusqu’au
bout des doigts. Onze fois par jour j’en
fais le tour, étirant la tête et le cou de gauche à droite, j’observe la « bête »
et puis me soulève, ayant alors sur la chose, une vision verticale, plongeante. C’est vrai que vu sous cet angle, on dirait le dos d’une vache, un pli descendant plus bas sur la patte
arrière droite, le cuir épouse en remontant la forme des os depuis la hanche,
en passant par le trochanter, jusqu’à l'ischion s’évasant vers le flanc en une
jupe à plusieurs lés. Il est vrai que le
baril manquerait un peu de rondeur, pour une vache. Le garrot est bien marqué et le cou
plonge dans un angle à quarante cinq degrés jusqu’au chignon. Rien de plus de ce côté-là. On a perdu la tête, il faut bien l’admettre. Reprenons.
L’onctuosité blanche et satinée de la matière tient du glaçage au sucre qui n’est
pas sans évoquer la meringue du Calisson.
Une friandise aixoise faite de melon confit et d’amandes broyés ensemble,
nappée de glace royale sur fond de pain
azyme. Je distingue sa forme de navette,
une navette qui aurait pris la mer et bravé la tempête. Voile blanche gonflée par le vent, déposée à
la cime de la vague. La toile durcie
comme une croûte de sel fige la cambrure
de la vague dans son élan et l’arrache définitivement aux lois de la pesanteur.
En suspension sur un pied, elle danse, d’une main fastueuse soulevant,
balançant le feston et l’ourlet ; agile et noble avec sa jambe de statue.1
Femme, statue, Sainte ou mariée moulée
d’un satin blanc qui épouse un corps vide. Toute
Victoire annihile celle qui est vaincue,
la digère et pour finir, la couvre d’un linceul blanc dans lequel on aura cousu
sans fil et sans aiguille son ultime robe.
1. « A une passante », Les Fleurs du Mal, Charles Baudelaire, 1857
Cette sculpture «
Sainte Victoire », de Georges Guye,
35 X 15 x 22 cms a été créée dans
les années 1980 - 85, quand il habitait à Aix et qu’il avait son atelier rue Aumône Vieille. Il y en a plusieurs versions. Jean-Pierre Sauvage avait organisé une
exposition sur le thème de la Sainte-Victoire à laquelle plusieurs artistes
avaient participé, dont Georges Guye. Il
avait prévu que cette Sainte Victoire aurait pu faire l’objet d’une sculpture monumentale de
cinq mètres de haut. C'est une petite oeuvre que j'aime énormément et que je regarde avec beaucoup d'étonnement et de plaisir, comme beaucoup d'autres sculptures de Georges Guye. Il sait si bien allier la légèreté de la matière et de la manière, avec humour et poésie. Je m'en suis emparée pour écrire un texte vagabond. Comme je le dis, je fais plusieurs fois par jour le tour de cette Sainte Victoire et ce n'est jamais le même voyage.
Aujourd’hui Georges Guye vit à Marseille. Son atelier est
dans le périmètre de la Vieille Charité.
Merci à Alain Paire.
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2 commentaires:
Florence, tu fais bien de nous rafraichir la mémoire. Cette exposition sur la Sainte Victoire dans la galerie en appartement "39 marches plus haut" chez Jean-Pierre Sauvage était une réussite et l’œuvre de Georges un "sommet" même si la sainte Victoire ne culmine pas très haut!!!!. Ton texte qui accompagne cette (re)découverte quasi archéologique, devenue sous ta plume, une belle vache!, est un bonheur. Je partage l'humour qu'un simple mouchoir (remodelé tout de même! ) peut cacher.
Merci pour les précisions, c'est bien, en effet d'avoir de la mémoire !
Je n'ai écrit qu'à la marge des choses et de cette oeuvre... J'y reviendrai bientôt.
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