dimanche 16 septembre 2012

entretien avec Catherine Duchêne

La rencontre d’artistes peintres, dessinateurs s’est donc poursuivie cet été en Avignon,  avec Catherine Duchêne.  J'étais accompagnée de Pierre Vallauri, commissaire de l’exposition « Traits…intimes » en préparation au musée Arteum de Châteauneuf-le-Rouge.  Elle est la seule des artistes à n'avoir pas pu nous recevoir dans son atelier, inaccessible pour cause de travaux.  Il nous a semblé un peu plus difficile d’entrer dans une discussion « intime » sur le dessin et plus généralement sur son travail, surtout lors d’une première rencontre,  ailleurs que dans l’atmosphère de son atelier, n’ayant pas sous les yeux ses œuvres pour soutenir notre conversation.  Dans une rencontre, comme dans tout échange, le discours s’accompagne d’un ensemble de signes, de perceptions qui laissent deviner le locuteur dans le noeud d’une intimité que le dialogue ne laisse pas toujours filtrer.  Sur cette place,  installés à la  terrasse d’une brasserie, tous ces signes étaient perturbés par les bruits de la ville, le service, les autres.  Il n’empêche que Catherine Duchêne a bien voulu entrer dans le jeu des questions pour nous présenter sa façon de  travailler et qu'elle s'y est livrée avec patience et franchise, qu'elle en soit, ici,  remerciée .
Artiste expressionniste, Catherine Duchêne,   ne crée pas en référence à un concept, mais dans le flux d’une émotion qu’elle glane  dans le réel des signes et que sa main restitue sur le support.  Ses thèmes de prédilection sont essentiellement le corps, l’être humain, ses états d’âme et la relation à l’humain.    Peindre, œuvrer, c’est parler d’êtres humains à des êtres humains et affirmer qu’elle est aussi humaine.  Elle travaille surtout d’après modèle vivant,  ou, le cas échéant, après des photos qu’elle prend pendant les séances de pose. Sa démarche est de contacter le plus possible le sensible sans passer par une analyse intellectuelle.  Elle va glaner des signes plastiques dans tout ce qui se propose dans son champ de vision, les signes qu’elle trace sur son carnet de croquis, sur le papier ou sur la toile, qui ne sont pas forcément  figuratifs.

Elle remplit ainsi le support de signes prélevés au réel environnant, et lorsque qu’elle obtient une sorte de chaos, elle entreprend de l’organiser, de déceler les signes qui apparaissent, des masses, des morceaux de corps, des figures. Elle dit :  « je suis persuadée qu’à force d’expérimenter et de travailler, ce n’est pas la main qui sait faire, mais l’œil qui saisit, c’est regarder avec un regard de peintre.  Il y a beaucoup de choses qui se stockent dans ce dictionnaire de signes, signes dans  lesquels on peut aller piocher, une matière, un espace, en peignant. La combinaison des signes qu’on accumule, qu’on englobe, qu’on travaille, est quelque chose à cultiver, il devient l’univers de tous les possibles.  Je travaille le moins possible avec le concept, mais au contraire avec le sensible. Travailler avec le concept, en amont, m’enferme trop, après je suis coincée, je n’arrive à rien, comme si j’avais coupé toutes mes libertés ».
Dans  La Vérité en peinture, jacques Derrida (1978) écrit : « Le trait du dessin est comme un Dieu invisible qui se retire pour laisser place à la figure », il ajoute : « L'autoportrait, comme n'importe quel dessin, paraît toujours dans la réverbération d'une autre voix ou de plusieurs voix, qui en appellent à la mémoire ».  A mettre en écho avec ce qui se joue de l’intimité et de l’identité  de l’artiste, surtout expressionniste, dans l’œuvre qu’il crée.  Catherine Duchêne nous dira qu’elle souhaite être lyrique mais peu narrative.
  L’artiste lyrique, est celui  dont l’œuvre porte l’expression de ses sentiments personnels et affirme un sujet  - « je » -  créateur. Jean-Marie Maulpoix, critique littéraire, complète cette définition : « deux autres composantes essentielles du lyrisme sont la recherche de la musicalité et la visée de l’idéal » ; l’œuvre est « l’expression d’un sujet singulier qui tend à métamorphoser, voire à sublimer le contenu de son expérience et de sa vie affective ». Ainsi, la création devient-elle une valeur fondamentalement pacificatrice pour l’artiste.  En art visuel comme en musique, l’œuvre d’art bien au-delà d’une valeur esthétique qui lui confèrerait une visée décorative, aurait cette capacité d’être une force active, capable sinon d’interférer sur le cours des destinées et sur la condition humaine, en tout cas,  d’en rendre compte comme à travers un miroir.  («…qui en appelle à  la mémoire », dit Derrida)

Qu’est-ce que le dessin pour toi ?  Quelle relation établis-tu  entre le dessin et la peinture ?
 Je ne dissocie pas les deux de façon consciente. Certains disent que l’on appelle dessin les œuvres sur papier, pour moi, ce serait plutôt la distinction entre outil sec (souvent, le fusain) par opposition à l’outil mouillé.  Il peut y avoir une peinture sur papier et un dessin sur toile.  Au début de ma formation, je n’ai pas appris à distinguer le dessin de la peinture, je travaillais déjà  avec un mélange des deux et l’appelais  « peinture ».  Aujourd’hui encore, j’utilise fréquemment l’outil sec dans ma peinture, c’est instinctif.  Je trace des lignes, mais je peux le  faire à l’aide d’un pinceau.  Le comportement à adopter face au support est le même, que ce soit du dessin ou de la peinture.  Je ne réserve pas le dessin pour effectuer des esquisses ou des croquis préparatoires,  je ne le mets pas au service de la peinture, je travaille sans préparation.  J’ai cependant de petits carnets qui m’accompagnent partout, les dessins que j’y fais sont comme des notes, des signes prélevés au réel, des choses très personnelles qui n’ont pas pour objectif d’être montrés. Cependant, je me conçois comme « peintre » et pense que le dessin n’est pas utilisé par un peintre, même par un peintre qui utilise beaucoup le dessin,  de la même façon qu’il l’est par un dessinateur « pur ».   

Est-ce que tu pourrais partager un dessin avec quelqu’un, le dessiner, en quelque sorte, à quatre mains ?
Je l’ai déjà fait avec Benjamin Carbonne, nous étions en résidence et nous travaillions chacun de notre côté.  Cette fois là,  nous nous ennuyions un peu, alors,  par jeu, nous nous sommes mis à échanger nos toiles ;  il nous fallait comprendre comment l’autre fonctionnait au niveau du travail,  c’était très intéressant.  On se rend compte que sur une toile, quand on voit la trace de l’autre, on la respecte, on n’ose pas la reprendre, la modifier ou même la recouvrir ; il fallait nous rassurer, nous encourager mutuellement à oser s’approprier ce que l’autre avait fait, pour ne pas brimer sa propre intervention, à conjuguer nos intimités. Il en a gardé une et moi aussi et ces toiles  témoignent en fait de la personnalité de chacun de nous.   Sinon, les dessinateurs qui m’inspirent sont Egon Schiele, Alberto Giacometti, Auguste Rodin et Lydie Arickx avec laquelle je pourrais également  souhaiter partager un dessin…

Quel avenir vois-tu pour le dessin ?
Un avenir d’identité propre, parallèle à la peinture, une recherche qui continue et qui devienne de plus en plus populaire. Depuis trois ou quatre ans,  le dessin semble connaître un regain de popularité, on pourrait parler de mode, car il y a aussi une mode dans les arts plastiques.  On voit quelques grandes expositions de dessins, comme à l’Espace des Blancs Manteaux, dans le Marais, à Paris, mais personnellement je n’ai jamais fait une exposition exclusivement consacrée au dessin, l’exposition « Traits...intimes » sera une première pour moi.

Quel est ton parcours ?  Comment es-tu devenue une artiste professionnelle ?
Je me suis déclarée en tant que professionnelle en 2006.  Après un bac scientifique franco-allemand à Fribourg. En 2000,  je suis allée à Paris dans le but de trouver une école d’art pour me former, je n’avais pas envie d’aller à la fac.  J’ai essayé plusieurs ateliers, j’ai pris des cours à droite et à gauche, mais sans être satisfaite par un enseignement que je trouvais trop académique. J’ai rencontré Jean-Yves Guionet, peintre expressionniste à Paris dans le Xème, c’est lui qui m’a tout appris au niveau plastique, philosophique, comportemental, de l’attitude d’un peintre face à son sujet.  J’ai ensuite préparé des écoles et suis entrée aux Beaux-arts de Versailles en troisième année, de 2002 à 2004.  Quand je suis arrivée dans le sud, j’ai complété cette formation par un diplôme en Art-thérapie (PROFAC).  Depuis l’année 2006, je donne des cours en région PACA.  Les premières années de mon parcours, j’ai progressé sur la voie de l’art mais, je n’avais pas encore un projet bien déterminé.  J’ai gagné plusieurs prix de peinture … c’était flatteur. Au fil des ans, je me suis rendu compte que je n’avais pas fait le choix d’une vie facile, qu’il me fallait travailler très dur.  Pourtant,  je ne me verrais pas faire autre chose, malgré les moments de découragement et de difficulté;  je n’ai pas une peinture commerciale, j’utilise souvent  le fusain, matériau sec que je dilue à l’huile sur des toiles, ou que j’intègre à d’autres techniques.

Justement, parle nous de cette série de dessins au fusain dilué à l’huile, sur toile,  intitulée « Les saintes », est-ce un retour vers le religieux ?  Tu as aussi travaillé sur « Les Olympiennes » et « Les Martyrs », comment s’approprier ces thèmes connotés, qui appartiennent, on peut le dire, à l’histoire des idées et à l’histoire de l’art ?
Je souhaite proposer une nouvelle iconographie, basée sur la  culture commune de notre société occidentale, majoritairement chrétienne et mythologique.  Dessiner des figures féminines de la Bible, établir un  lien avec des problématiques actuelles, dénuées des symboles de l’époque.  Une iconographie profane, en quelque sorte.  Cette recherche se poursuit dans les thèmes que j’intitule « Les martyrs », « les olympiennes ».  Je suis en recherche de ma propre perception de la mythologie.  C’est un travail très personnel, très intime. J’attache une grande importance au fait de nommer mes personnages, j’ai l’impression de les faire vivre : Monique, Marthe, Cécile, Marie-Madeleine, Jeanne, Catherine, Marie, Marguerite, Hélène, Lucie … sont parmi les figures féminines déjà réalisées. Actuellement, certaines sont exposés à Nîmes, dans l’église Saint Paul, même  s’il s’agit bien d’une iconographie profane, le lieu est tout à fait approprié.
Jean-Claude Buffle qui a écrit la présentation du travail de Catherine Duchêne, sur son site personnel, compare sa manière de représenter le corps, à une vision dionysiaque de la statuaire, parce qu’elle est expression et instinct. Il l’oppose à une représentation olympienne, plus ordonnée et raisonnable. Il poursuit : « Au culte du ressemblant qui fige les traits, elle oppose le mouvement du pinceau qui fait frémir les chairs. La beauté ne réside plus dans la perfection des corps mais dans le bouillonnement des énergies qui les enfle et les déforme».  J’aurais envie d’ajouter, en regardant les dessins de Marie-Madeleine, de Marthe ou de Monique, que les plissés et les volutes des drapés aux couleurs sombres, où le pli capte la  lumière autant que la chair, dans un clair obscur sensuel, sont une réminiscence de  la sculpture  baroque, et je pense à l’ Extaxe de Sainte Thérèse, de Gian Lorenzo Bernini ( Rome, 1652). La recherche du mouvement, la torsion des formes, les effets spectaculaires ménagés par les drapés  qui mettent en scène l’expressivité de la figure,  doivent autant à l’exubérance baroque pour représenter  l’instabilité perpétuelle des formes et de la vie, qu’à l’expressionnisme.

Depuis quelques mois, Catherine Duchêne, en parallèle au travail sur le corps,  a commencé une série de monotypes sur les ailes , intitulée Ad Vitam Aeternam .  Ces petits et moyens formats se dégagent de la représentation et de la connotation mythologique et religieuse des séries mentionnées précédemment, sauf à  imaginer que les ailes aient quelque parenté avec Icare et son père Dédale.  Cette direction dans son travail, l’amène aussi à travailler sur des constructions ou des organisations spatiales très différentes.  Les espaces clos, intimistes, suggérés par les fonds  ombrageux des dessins des Martyrs, des Saintes, des Olympiennes laissent place à des paysages,  ciels immenses, montagnes et paysages marins. Décidément, tout serait bien  réuni pour nous suggérer l’aventure  malheureuse de celui  qui s’approcha trop près du soleil.  Dégagée de la représentation de l’être humain, du corps, ces études se concentrent sur la qualité d’un équilibre, la recherche du mouvement en tension; une force qui s’affranchit du terrestre et goûte à la grâce de ce qui n’est pus entravé.  Pas de mollesse, mais la  douce vigueur d’un geste donné d’un seul élan, sans reprise, pour suggérer un état en suspension. La recherche du trait juste est-elle un coup de hasard ?

Un coup de dés jamais n’abolira le hasard.
« Un coup de dés / Jamais /  quand bien même lancé dans des circonstances / éternelles / du fond d’un naufrage /soit / que / l’abîme / blanchi  / étale / furieux  / sous une inclinaison / plane désespérément / d’aile / la sienne / par /  avance d’un mal à dresser le vol / et couvrant des jaillissements / coupant au ras les bonds /  très à l’intérieur résume / l’ombre enfouie dans la profondeur par cette voile alternative  / jusqu’adapter/  à l’envergure / sa béante profondeur en tant que la coque /  d’un bâtiment / penché de l’un ou l’autre bord »
Stéphane Mallarmé, 1914



On trouvera sur le site de la Bnf, la mise en page correcte du poème de Mallarmé, en cliquant ici.

Pour se rendre sur le site de l'artiste Catherine Duchêne:
http://www.catherine-duchene.com/Catherine_Duchene/LArtiste.html

Musée Arteum, Châteauneuf-le-Rouge :
 http://www.mac-arteum.net/

2 commentaires:

pierre vallauri a dit…

Dépassant l'habitude qui te conduit depuis le début du montage de cette exposition "Traits...intimes " tu te surpasse et cela dans le peu de temps que te laisse ton professorat.
D'autant que comme tu le souligne les conditions de la rencontre (théoriquement en atelier)n'étaient pas des plus favorables à une intimité (pour le moins une tranquillité d'écoute et d'échange des plus favorables. J'espère que tout ce travail de réflexion critique, déjà engagé avec d'autre,puis l'exposition à ARTEUM donneront à Catherine de nouvelles ailes pour voler encore plus haut et plus loin.

pierre vallauri a dit…

Oups, j'oublie trop souvent le s à la deuxième personne du singulier
surpasses et laisses... bon ce n'est pas grave!