jeudi 13 septembre 2012

Camp des Milles

Lundi dernier, 10 septembre 2012,  on inaugurait le camp des Milles en tant que site-mémorial.  J'ai pu le visiter quelques petites semaines avant l'ouverture.  Les travaux étaient en cours.    Une carcasse vide, encore dans son "jus",  dans laquelle nous progressions dans une semi-obscurité, le silence retentissait ponctué de bruits de travaux.  L'absence des milliers de  déportés qui, sous l'occupation, de septembre 1939 à Septembre 1942, ont transité par le camp et  à qui nous venions rendre hommage, se laissait percevoir comme s'ils venaient à peine de quitter les lieux. Recueillement, ventre noué.  En partant, nous avons marché jusqu'à  la gare, puis sur le quai, vers un wagon semblable à ceux dans lesquels les déportés partirent vers Auschwitz, via Drancy, d'août à septembre 1942.  Ce qui s'est passé au camp des Milles durant ces terribles années, les autorités françaises en portent totalement la responsabilité. 
"Ce site est l'un des rares lieux témoins préservés en Europe qui raconte  l'histoire tragique des internements et des déportations durant la Seconde Guerre Mondiale" . La Tuilerie, construite à la fin  XIXème sciècle, en 1882,  avait cessé de fonctionner en tant que telle en 1937, elle fut réquisitionnée en 1939 pour devenir un camp de transit de prisonniers jusqu'en septembre 1942.  Elle fut remise en activité  quelques années après la fin de la  guerre, et produisit des tuiles jusqu'au début des années quatre-vingts. Pendant la guerre, ce sont dix-mille déportés issus de trente-huit pays qui transitèrent par le camp.
Cette grande salle du camp est appelée "la salle du puits de lumière".  Elle était la seule à recevoir de la lumière du jour, dans le rez-de-chaussée du bâtiment, les prisonniers s'y pressaient, le reste de l'étage étant constitué de couloirs et de fours servant à faire sécher et à cuire les tuiles.
Il faut savoir que le camp a connu trois périodes distinctes dans l'accueil de prisonniers.  Durant la première période, sous la IIIe République, de septembre 39 à juin 40, la Tuilerie est un camp d'internement pour "sujets ennemis" : uniquement des hommes considérés comme potentiels "ennemis de la République", y sont détenus, ils occupent alors uniquement  le rez-de-chaussée.  Les fours du rez-de-chaussée servent de dortoirs,  insalubres et inconfortables, très bas de plafond, ils sont parcourus de courants-d'air insupportables.
Dans un des couloirs, un des fours, baptisé "Katakombe",  par les prisonniers  fonctionnait comme un café-théâtre-cabaret.  Ce camp a accueilli un très grand nombre d'artistes et d'intellectuels qui s'étaient réfugiés, fuyant le totalitarisme, le fanatisme et les persécutions,  dans le sud de la France, pensant y trouver un asile sûr.
"Septembre 1939 à juin 1940 :
un camp pour “sujets ennemis”

L’histoire du camp débute sous la IIIe République, au
début de la Seconde Guerre mondiale, lorsque le
gouvernement français prend la décision d’interner
les ressortissants du Reich, fussent-ils d’authentiques
antifascistes ayant fui de longue date le nazisme qui
sévissait dans leur pays d’origine pour venir se
réfugier en France. Considérés paradoxalement
et tragiquement comme des ”sujets ennemis”, les
internés sont victimes d’un mélange de xénophobie,
d’absurdité et de désordre administratifs ambiants et
vivent dans des conditions très précaires. Dans le
Sud-Est, ces étrangers sont internés dans la Tuilerie
des Milles, alors désaffectée.
Ce bâtiment industriel devient un camp d’internement
sous commandement militaire français".
(source: dossier de presse du camp des Milles)

"Une caractéristique essentielle du Camp des Milles
réside dans l’ampleur et la diversité de la production
artistique réalisée par les internés, malgré les privations
et le manque de moyens. Cette production est
surtout abondante durant la première période du
camp, entre 1939 et 1940."
  (...)            "Toutes les disciplines sont concernées :
La peinture et le dessin avec notamment Max
Ernst, Hans Bellmer, Robert Liebknecht, Gustav
Ehrlich dit “Gus”, Eric Isenburger, Ferdinand Springer,
Werner Laves, Leo Marschütz, Franz Meyer, Alfred
Otto Wolfgang Schulze dit “Wols”, Max Lingner et
Karl Bodek ;
La littérature avec des écrivains, poètes, traducteurs
ou critiques
comme Alfred Kantorowicz, Golo Mann,
Lion Feuchtwanger, Franz Hessel, Friedrich Wolf ;
La musique avec le pianiste et compositeur Erich Itor
Kahn, le chef d’orchestre Adolf Siebert, les chanteurs
Ernst Mosbacher, Joseph Schmidt, Léo et Siegfried
Kurzer... ;
Le théâtre avec des comédiens, chansonniers,
auteurs dramatiques et metteurs en scène
comme
Friedrich Schramm et Max Schlesinger ;
La sculpture avec Peter Lipman-Wulf...
À leurs côtés, sont aussi présents des architectes
(Konrad Wachsmann...), des professeurs d’Université,
des prix Nobel
avec Otto Meyerhof, prix Nobel de
médecine en 1922, Thadeus Reichstein, prix Nobel
en 1950 pour son invention de la cortisone, des
médecins, avocats ou journalistes mais aussi
des députés ou hommes politiques allemands,
autrichiens, italiens...

Parmi ces personnalités, beaucoup s’attachent
à poursuivre leur activité, influencés par les circonstances

extraordinaires et tragiques qui président à
leur internement comme par le cadre même de la
tuilerie. Ils donnent libre cours à leur créativité, parfois
avec humour ou ironie, pour préserver leur
dignité, tromper l’ennui, entretenir leur moral
comme celui de leurs camarades ; parfois aussi pour
s’attacher les faveurs d’un membre de l’administration.
Des cours ou conférences sont donnés, des
pièces de théâtre et des opéras sont joués. Les autorités

se montrent d’ailleurs plutôt bienveillantes. Des
commandes officielles sont aussi parfois passées,
comme la réalisation d’imposantes peintures murales
pour le réfectoire des gardiens en 1941"
. (source: dossier de presse du camp des Milles)
Même des légionnaires ayant effectué des missions sur des territoires considérés "ennemis", sont internés en tant "qu'ennemis",  au camp des Milles.  Ils y ont leurs quartiers. 
"Juillet 1940 à juillet 1942 :
un camp pour “indésirables”

En juin 1940 s’ouvre une seconde période avec
la défaite française et la signature de l’armistice.
C’est là que se situe l’épisode du “Train des Milles”,
popularisé par le film de Sébastien Grall. À partir de
juillet, sous le régime de Vichy, le camp est rapidement
surpeuplé (3 500 internés à la fois en juin
1940). Au cours de cette période sont transférés aux
Milles notamment les étrangers des camps du Sud-
Ouest, et en particulier des anciens des Brigades
internationales d’Espagne ainsi que des Juifs expulsés
du Palatinat, du Wurtemberg et du pays de Bade.
À partir de novembre 1940, le camp, passé sous
l’autorité du Ministère de l’Intérieur, devient le seul
camp de transit en France pour une émigration
Outre-Mer, transit régulier ou illégal avec l’aide de
particuliers, d’organisations ou de filières locales et
internationales.
Au fil du temps, les conditions d’internement
se dégradent : vermine, maladies, promiscuité,  nourriture insuffisante."
  (source: dossier de presse du camp des Milles). Cliquez sur "plus d'infos" pour lire la suite...
Durant cette "seconde période" du camp, le premier étage de la Tuilerie est ouvert et occupé par des prisonniers devenus plus nombreux.  Toujours uniquement des hommes.  Cette photo montre les dortoirs, les paillasses  de fortune étaient installées entre les trous d'aération des cheminées des fours du rez-de-chaussée dont les conduits débouchaient ici.
"Août et septembre 1942 :
un camp de déportation
des Juifs

Une troisième période correspond aux mois d’août et
septembre 1942 qui voient la déportation vers
Auschwitz via Drancy ou Rivesaltes de plus de 2 000
Juifs, hommes, femmes et enfants. Vichy a accepté
de livrer 10 000 Juifs de la zone dite “libre”
à l’Allemagne. Au début du mois de juillet 1942,
Laval propose d’inclure les enfants âgés de moins de
seize ans dans les déportations.
Le 3 août, le camp est bouclé. Femmes et enfants
juifs de la région sont orientés vers les Milles pour
rejoindre les autres internés avant d’être déportés. Ne
sont pas épargnés les Juifs réfugiés politiques ou
étrangers ayant servi dans l’armée française. Et une
centaine d’enfants est ainsi déportée à partir de l’âge
d’un an. Au total, cinq convois sont constitués. En
réaction, des hommes et femmes courageux aident
les internés et les déportés. Ces événements surviennent avant même l’occupation
allemande de la zone Sud (11 novembre 1942).
Au-delà du mois de septembre 1942, le camp,
demeurant un centre de transit, vivote : ses derniers
occupants, très peu nombreux, quittent ses murs de
briques en décembre 1942."
  (Source: le dossier de presse du camp des Milles)  .                         La Tuilerie des Milles, construite à la fin du XIXème siècle, montre une architecture très innovante, en pointe pour l'époque.  La structure, les piliers et les poutres sont en béton, ce qui explique la bonne conservation  du bâtiment  à l'époque actuelle.
Depuis cette fenêtre située sur la façade Est du bâtiment, au deuxième étage, on pouvait apercevoir les maisons du village des Milles et, au loin, la montagne Sainte-Victoire.
On est ici dans les parties occupées pendant la troisième et dernière période du camp (août à septembre 1942), dans ce second étage de la fabrique,  les hommes, les femmes et les enfants  étaient "logés" et,  depuis cette fenêtre ouverte sur la façade avant de la Tuilerie, ils avaient vue sur la gare et les wagons des trains en partance pour les camps d'extermination.   "Des témoins rapportent que
par cette fenêtre, une mère s’est suicidée avec ses enfants pour échapper
à la déportation
"
La façade de la gare des Milles
Le wagon installé en 1992, pour mémoire et hommage.
40 hommes, mais 8 chevaux.



Pour lire l'intégralité du dossier de presse du camp des Milles, il faut cliquer sur cette adresse:
http://www.campdesmilles.org/upload/campdesmilles-dossier-presentation.pdf

ou aller sur le site du camp:
 http://www.campdesmilles.org/

On trouvera aussi de nombreux articles très intéressants sur le site d'Alain Paire que j'accompagnai ce jour du mois d'août où nous visitâmes le camp:
http://www.galerie-alain-paire.com/index.php?option=com_content&view=article&id=154:le-camp-des-milles-internements-et-deportations-1939-1942&catid=7:choses-lues-choses-vues&Itemid=6



Photos: florence laude


1 commentaire:

pierre vallauri a dit…

En recherchant un autre des tes articles , je tombe sur ce reportage extrêmement intéressant de ce lieu avant restauration.
c'est tout aussi émouvant que ce que notre ami Alain P. relate de sa visite sur le site de sa galerie.
Merci.
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