mardi 15 février 2011

jaloux



Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Germain Nouveau, Ernest Delahaye. Croquis d'Ernest Delahaye d'après un dessin de G. Nouveau paru dans la Plume en 1896

En été dans ta chambre claire,
Vers le temps des premiers aveux,
(Ce jeu-là paraissait Te plaire)
On ouvrait parfois Baudelaire,
Avec ton épingle à cheveux,

Comme un croyant ouvre sa Bible,
En s’imaginant que le Ciel,
Dans un verset doux ou terrible,
Va parler à son coeur sensible,
Quelque peu superficiel ;

D’avance on désignait la page
A droite ou bien à gauche, et puis,
Par un chiffre le vers, ce mage
Qui devrait être ton image,
Ou me dire ce que je suis.

Nous prenions du goût à la chose.
Donc on tirait chacun pour soi
Un vers, au hasard, noir ou rose,
Dans ce beau Poète morose.
Nous commencions, d’abord à Toi,

Attention ! ‘Dans ta ruelle
Tu mettrais l’univers entier’.
Vous riez ! bon pour Vous, cruelle !
Car ce vers Vous flatte de l’aile,
Et c’est un compliment altier !

Un compliment comme en sait faire
Un homme sagace en amour,
Et qui fleure en sa grâce fière,
Sous le style de La Bruyère,
Son joli poète de Cour ;

Un compliment qui sent sa fraise,
Son talon rouge, et qui, vainqueur,
Allumant ses pudeurs de braise,
Eût faire rire Sainte Thérèse,
Chatouillée… au fond de son coeur.

Qu’il est bon ! oui !… mais moi… je gronde !
Y songez-Vous, avec ce vers,
Quelle figure fais-je au monde,
Dans cette ruelle profonde,
Au milieu de cet Univers !

Ah ! fi !… Pardonnez-moi… Madame…
Oui, je m’oublie !… oui, je sais bien…
Toute jalousie est infâme…
C’est un peu de vertige à l’âme,
Ça va se passer… ce n’est rien…

Ah ! tant mieux ! je vous vois sourire.
Continuons ce jeu si doux ;
Mais avant, je dois Vous le dire,
Afin d’éviter un mal pire,
Si jamais je deviens jaloux,

Rejetez-moi, moi G, moi N,
Moi, vilain ‘monstre rabougri’,
Rejetez-moi dans ma Géhenne ;
Le jaloux n’est plus, dans sa haine,
Rien… qu’un billet d’amour… aigri.

Germain Nouveau, Valentines, ami de Verlaine et de Rimbaud, il les accompagnera dans certains voyages en Belgique et en Angleterre. Le poète de Pourrières (dans le Var) est moins connu que les deux autres, pourtant !

Sa biographie à lire ici

et un site où on trouve le recueil "Valentines": ici

2 commentaires:

alain paire a dit…

Germain Nouveau est un personnage complètement désarmant. J'aime l'imaginer faisant d'une traite à pied, en passant devant Sainte-Victoire, le chemin qui depuis Pourrières lui permettait de rejoindre Aix. C'était son trajet coutumier. Il faut penser à lui quand on passe devant la porte de la cathédrale Saint Sauveur. Il mendiait quelquefois, il arrivait que Cézanne lui donne la pièce. Cézanne l'avait connu à Paris, il savait assez précisément quel poète il était.

Nouveau est une légende, un ami furtif de Rimbaud. Il a griffonné des dessins comme ceux que tu reproduis, des papiers qu'il faudrait réunir pour une exposition. Ses tableaux recentrent une étrange non-violence. L'un d'entre eux était souvent visible au musée Granet, André Breton avait écrit quelques mots très admiratifs à son propos.

Ce tableau de Germain Nouveau, c'est une huile sur bois de 14 x 25 cm titrée "Le repas du pauvre", des quartiers de pommes et puis la grande lame d'un canif.

Flo Laude a dit…

Modernité : un poème comme "le Peigne" annonce déjà un Francis Ponge ...
Tu dis "personnage désarmant", je suis en effet troublée - et cela le rapproche de Rimbaud- par ce qu'il s'est en définitive refusé à la poésie (refusant la publication, je crois qu'il continuait cependant d'écrire ?). Pour nombre d'entre nous, l'écriture,la poésie, la musique, la peinture, le dessin et la bande dessinée qui associe les deux; bref, la création et l'art ont une place privilégiée - j'hésitais à dire au dessus de tout - me souvenant que René Char pendant la résistance avait considéré l'action plus nécessaire que l'écriture ( il a pourtant produit "Les cahiers d'Hypnos" : "la parole du plus haut silence"). Ces poètes avaient donc d'autres "urgences" que l'écriture?
Je ne manque jamais de parler de G.N. de Humilis dans les cours sur la poésie ...
Bonne journée, Alain

et pour donner une couleur à la journée, voici un poème:
Le Nom

Je porte un nom assez... bizarre,
Tu diras : « Ton cas n’est pas rare. »
Oh !... je ne pose pas pour ça,
Du tout... mais... permettez, Madame,
Je découvre en son anagramme :
Amour ingénue, et puis : Va !

Si... comme un régiment qu’on place
Sous le feu... je change la face...
De ce nom... drôlement venu,
Dans le feu sacré qui le dore,
Tiens ! regarde... je lis encore :
Amour ignée, et puis : Va, nu !

Pas une lettre de perdue !
Il avait la tête entendue,
Le parrain qui me le trouva !
Mais ce n’est pas là tout, écoute !
Je lis encor, pour Toi, sans doute :
Amour ingénu, puis : Éva !

Tu sais... nous ne sommes... peut-être
Les seuls amours... qu’on ait vus naître ;
Il en naît... et meurt tous les jours ;
On en voit sous toutes les formes ;
Et petits, grands... ou même énormes,
Tous les hommes sont des amours.

Pourtant... ce nom me prédestine...
À t’aimer, ô ma Valentine !
Ingénument, avec mon corps,
Avec mon cœur, avec mon âme,
À n’adorer que Vous, Madame,
Naturellement, sans efforts.

Il m’invite à brûler sans trêve,
Comme le cierge qui s’élève
D’un feu très doux à ressentir,
Comme le Cierge dans l’Église ;
À ne pas garder ma chemise
Et surtout... à ne pas mentir.

Et si c’est la mode qu’on nomme
La compagne du nom de l’homme,
J’appellerai ma femme : Éva.
J’ôte É, je mets lent, j’ajoute ine,
Et cela nous fait : Valentine !
C’est un nom chic ! et qui me va !

Tu vois comme cela s’arrange.
Ce nom, au fond, est moins étrange
Que de prime abord il n’a l’air.
Ses deux majuscules G. N.
Qui font songer à la Géhenne
Semblent les Portes de l’Enfer !

Eh, bien !... mes mains ne sont pas fortes,
Mais Moi, je fermerai ces Portes,
Qui ne laisseront plus filtrer
Le moindre rayon de lumière,
Je les fermerai de manière
Qu’on ne puisse jamais entrer.

En jouant sur le mot Géhenne,
J’ai, semble-t-il dire, la Haine,
Et je ne l’ai pas à moitié,
Je l’ai, je la tiens, la Maudite !
Je la tiens bien, et toute, et vite,
Je veux l’étrangler sans pitié !

Puisque c’est par Elle qu’on souffre,
Qu’elle est la Bête aux yeux de soufre
Qu’elle n’écoute... rien du tout,
Qu’elle ment, la sale mâtine !
Et pour qu’on s’aime en Valentine
D’un bout du monde à l’autre bout.

G. Nouveau