vendredi 4 octobre 2013

John Donne - L'interdiction

L'interdiction

      Prends garde de m'aimer.
Ou du moins souviens-toi que je te l'interdis;
Non qu'ainsi je recouvre en tes pleurs et soupirs
Et le souffle et le sang que je t'ai prodigués
En me montrant cruel autant que tu le fus,
Mais un bonheur si grand consumerait ma vie.
De peur donc que ma mort ne frustre ton amour,
Si tu m'aimes vraiment, prends garde de m'aimer.

      De me haïr prends garde,
Ou de trop triompher en ta victoire même;
Non que je veuille rendre à moi-même justice
Et réplique à la haine en haïssant aussi,
Mais tu perdras le titre même de conquérant
Si ta haine me tue, moi qui suis ta conquête.
De peur d'être amoindrie quand j'aurai cessé d'être,
Si tu me hais vraiment, de me haïr prends garde.

      Pourtant aime et hais-moi:
Ainsi ces deux extrêmes ne feront leur office;
Aime-moi, pour que j'aie une plus douce mort;
Hais-moi, car ton amour me ferait succomber;
Ou bien, qu'amour et haine, m'épargnant, se détruisent,
Et ma vie te sera théâtre et non triomphe;
Amour et haine en toi périraient avec moi:
Pour que je vive, Oh! aime et hais-moi tout ensemble.

 Poésie, traduite par  Robert Ellrodt, Imprimerie Nationale, 1993-John Donne

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