lundi 11 novembre 2019

Joseph Ponthus, à Aurillac dans le cadre du dispositif "De vives voix", le 6 novembre 2019




Mercredi 6 novembre, deux moments de rencontre avec Joseph Ponthus, auteur d' A la ligne, feuillets d'usine,  roman publié en janvier 2019 aux Editions de la Table Ronde, le matin, avec des élèves des lycées Monnet-Mermoz et Duclaux et, en soirée, à la Médiathèque du Bassin d'Aurillac.  Le Théâtre d'Aurillac, collaborait à cette rencontre, pour une très belle  mise en voix des textes.
A la ligne a reçu le Grand Prix RTL/Lire, le Prix Régine Déforges, le Prix Jean Amila-Meckert, le Prix du Premier Roman des lecteurs de la ville de Paris, tout cela au cours de l'année 2019.  Je l'ai lu cet été.

Ce livre, tient à la fois du journal, de la chronique, du témoignage ouvrier,  du poème et c'est un roman.  Les feuillets ont été écrits au jour le jour, après les huit heures de travail à l'usine, comme un prolongement, un exutoire, des mots pour dire les maux et renouer avec l'humaine condition après les conditions de travail déshumanisantes sur la ligne de production.  Joseph Ponthus fait un parallèle avec les Feuillets d'Hypnos de René Char,  qui, engagé dans la résistance sous le pseudonyme de  Capitaine Alexandre,  consignait  pensées et anecdotes, sous forme de courtes notes poétiques, dans cette période d'occupation où la gravité de la situation lui commanda d'interrompre son travail d'écrivain.

Toutes proportions gardées, c'est aussi le projet de Joseph Ponthus, écrire ces feuillets pour résister au laminage par le travail dans l'usine et pour témoigner en tant qu'ouvrier intérimaire.  Si un intérimaire n'est pas considéré comme un individu mais embauché pour la force de ses bras, si l'usine le  dépossède  de sa force et le dissout dans la ligne de production, alors le projet d'écriture au quotidien devient  la distance qui transforme la journée de huit heures en matériau poétique. Des poètes ont  transformé la boue en or.  Parlant de l'abattoir, Joseph Ponthus transforme le sang en encre, la ligne de production en ligne d'écriture, les maux du corps en mots, conjugant la précision de la chronique où le mot rend compte du réel avec justesse,  au phrasé  d'une poésie en vers libres et sans ponctuation (référence à Alcools d'Apollinaire d'abord et à la poésie contemporaine) qu'il faut lire à haute-voix pour en ressentir la cadence et les vibrations sonores. 

Pour le plaisir d'entrer encore une fois dans la lecture, je recopie ici quelques lignes de l'incipit dans lesquelles on trouve l'annonce des fils qui constituent le roman, le travail à l'usine, l'amour qui le conduit à quitter Paris pour rejoindre la femme qui l'attend en Bretagne et la passion jubilatoire de littérature, de la poésie et des chansons populaires ... Un roman multiple et atypique, et tellement réussi ! 

 

"En entrant à l'usine
Bien sûr j'imaginais
L'odeur
Le froid
Le transport de charges lourdes
La pénibilité
Les conditions de travail
La chaîne
L'esclavage moderne

Je n'y allais pas pour faire un reportage
Encore moins préparer une révolution
Non
L'usine c'est pour les sous
Un boulot alimentaire
Comme on dit
Parce que mon épouse en a marre de me voir
traîner dans le canapé en attente d'une embauche
dans mon secteur
Alors c'est
L'agroalimentaire
L'agro
Comme ils disent
Une usine bretonne de production et de
transformation ete de cuisson et de tout ça de
poissons et de crevettes
Je n'y vais pas pour écrire
Mais pour les sous

A l'agence d'intérim on me demande quand je veux
commencer
Je sors ma vanne habituelle littéraire et convenue
"Eh bien demain dès l'aube à l'heure où blanchit
la campagne"
Pris au mot j'embauche le lendemain à six heures
du matin"
[...]

(extrait du chapitre 1, pages 11et12)

Une belle rencontre d'écrivain et un roman dont l'écriture, au fil des lectures successives, ne cesse de m'enchanter. 

A venir, en mars 2020, une création de  La Station Service pour l'adaptation scénique du roman, entre lecture et chanson  avec Michel Cloup,  Miossec et Julien Rufié. J'espère que cette pièce de théâtre, entre textes et chansons sera programmée à Aurillac.
http://www.lastationservice.org/MIossec-Michel-Cloup.html


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