A l'occasion de la soutenance de thèse d'un collègue et ami, j'ai découvert ce poète français né vers 1580 et mort après 1633. Peu connu, il participe cependant au renouveau de la poésie mystique française, comme un autre auteur dont il a été question, Pierre de Bérulle. A la lecture de ses vers on reconnaît un poète baroque, marqué par les thèmes de l'impermanence, du clair et de l'obscur (l'ombre et la lumière), du visible et de l'invisible en miroir avec le caché et le révélé. Poète d'inspiration exclusivement spirituelle, en quête de Dieu qui mène à la contemplation extatique, je trouve ses vers magnifiques même si ma lecture ne poursuit pas la même quête spirituelle. Certaines formulations annoncent la poésie moderne et contemporaine, un Gérard de Nerval, un Verlaine, un Baudelaire ... Intéressant, pour moi, en ce que toute recherche mystique renvoie à une réflexion sur la condition humaine.
Claude Hopil, gravure de Thomas de Leu
Entre 1628 et 1629, il écrit Les divins élancements d'amour exprimés en cent cantiques faits en l'honneur de la Trinité. Il écrit également d'autres ouvrages, Méditations sur le Cantique des Cantiques, Les Oeuvres chrétiennes et Les doux vols de l'âme amoureuse de Jésus, etc.
Je copie (en attendant mieux) quelques poèmes du Cantique et des sonnets, en français modernisé.
CANTIQUE XI
Qu'est-ce donc que je vois?
Quelle vision pure!
Je vois le Créateur, en lui la créature,
Je vois le rien en Dieu, l'être qui l'être pâme,
Si l'un me fait mourir, l'autre ravit mon âme
Dans son souverain bien.
Je vois le néant simple en la nature belle.
Quel prodige! Un néant du néant se révèle
En moi par le péché;
Mais si sortant de moi j'élève au ciel la vue,
Je vois le Dieu de Dieu, dans une claire nue
Le Soleil est caché.
Tirez un peu le voile, Ô gardien céleste,
Afin que comme amour mon Dieu se manifeste,
Non comme vérité;
Je ne sais que je dis, l'amour, la sapience
Avec la vérité sont une même essence
Dedans la Trinité.
Hé! qu'est-ce que vois? Je ne vois nulle chose;
Si fait, je vois un tout; l'effet ne voit la cause,
Ha! j'ai perdu l'esprit;
Hé! qui ne le perdrait devant cet Être immense
Dans lequel l'Ange trouve en sainte défaillance
La vie en Jésus-Christ ?
CANTIQUE XXX
Du rien je m'achemine aux pieds de Jésus-Christ,
Des pieds à son côté où je reçois l'esprit
Qui fait parvenir l'homme à la divine bouche;
On jouit en ce lieu d'une si grande paix
Que la sainte âme veut demeurer à jamais
Dans cette heureuse couche.
Ô beau lit de l'époux plein d'oeillets et de lys!
N'êtes-vous pas de Dieu le très doux Paradis ?
Dans ce lit à mi-jour sommeille la sainte âme,
Elle y dort, elle y veille, et tandis qu'elle y dort,
L'époux veillant pour elle, au baiser de la mort
Ravie elle se pâme.
Le Père vient en elle et lui donne un baiser
De la bouche du verbe, et la vient épouser,
Le feu du Saint-Esprit l'enflamme et la dévore
En respirant sur elle; en ce lit non pareil
Voyant trois purs rayons elle adore un soleil
Qui reluit sans aurore.
Dans le pur orient du firmament de Dieu
Luit un midi de gloire, en ce lieu sur tout lieu,
Midi qui sans changer toujours midi demeure;
Qui ne voudrait mourir pour vivre en ce séjour?
Ô mon Dieu, pour vous voir, faites donc que d'amour
En extase je meure.
CANTIQUE LII
Solitaire hauteur, sainte horreur ravissante,
Silence glorieux,
Beau sein des Séraphins, ombre resplendissante
Douce mort de nos yeux,
Extase des esprits, jusqu'à vous ma pensée
Ne peut être élancée.
Je connais par la foi que vous êtes Dieu même
Qui ne peut être vu,
De nos pures clartés un seul rayon suprême
Ayant l'âme entrevu,
En un petit moment il se change en nuage
Dans le mystique ombrage.
L'oeil de l'entendement par la main de mon Ange
Etant fermé, je vois
Par celui de l'amour un objet qui ne change,
Et soudain j'en vois trois,
Je dis trois purs rayons au soleil qui m'embrase
Et me met en extase.
J'admire cet objet en cette prison noire
Dans le divin miroir,
Dieu me donne un esprit pour adorer sa gloire,
Non des yeux pour le voir,
Je l'aime purement, mon coeur en ce lieu sombre
voit son Soleil à l'ombre.
CANTIQUE
Cache-toi, beau Soleil, je ne mérite pas
Entrevoir la lueur de ta face suprême,
Mais las! sans tes rayons tout périrait çà-bas,
Il faut donc que chétif je me cache moi-même.
Le lieu le plus secret d'un désert écarté,
L'ombrage pus obscur d'un antre plus sauvage,
rien ne peut déceler ma pâle iniquité,
Au vice ayant donné mon âme pour otage.
Ce soleil des esprits qui pénètre dans nous
Des yeux va traversant le plus épais ténèbre,
Qui couvre son offense augmente son courroux,
Seigneur, vois les cachots de mon âme funèbre.
Ce ne sont rien qu'égouts que mon coeur ulcéré
Distille en mes esprits pour infecter mon âme,
Déjà l'espoir en eux s'en allait expirer,
Si tu ne m'eus touché d'un rayon de la flamme.
Ton esprit me voyant empêtré dans la mort,
Puissant, a menacé Satan de le détruire
Mon âme a repris coeur, et veut, à cet effort,
Sous le joug de tes lois heureuse se réduire.
Elle fait mille voeux de combattre Satan,
De ne manquer jamais de foi ni de courage,
De renoncer au monde, à ce mortel autan,
Qui donne l'âme en proie au vicieux orage.
Puissent tous mes pensers ancrer fidèlement
Au saint port de vertu, où mon espoir sommeille,
Afin que si mon corps s'endort au monument,
Aux cieux resplendissants mon âme se réveille.
SONNET
Ceux qui nagent à gré, au courant des délices
De ce monde orageux, inconstant et mouvant,
Se gavent de ceux-ci, qu'un impétueux vent
Pousse au seuil des rochers, voisins des précipices.
Ceux-là, bouffis d'orgueil, font gloire de leurs vices,
Servent à leurs désirs, vont les bons poursuivant
Pour les rendre confus, malins les décevant
Par leur fausse imposture et leurs vains artifices.
De même qu'un tyran, du sommet d'une tour,
Se plaît à regarder un lion à l'entour
D'un esclave chétif, qu'il étreint et déchire,
Ces tigres animés, qui ont le bras puissant,
Devant Dieu font ainsi démembrer l'innocent,
Mais ils seront un jour le sujet de son ire.
SONNET XXIX
Que le monde est constant en instabilité,
Si l'on jouit d'une aise, au moins de l'apparence,
Tantôt le sort muable en tranche l'espérance,
Et tout est envieux de la félicité.
Or j'étais dédaigné de la feinte beauté
Qui, par mille tourments, a prouvé ma constance,
Ores, de mes douleurs, elle prend connaissance,
Puis volage se rit de mon infirmité.
Hélas! tous les malheurs sont le même assurance
Et l'espoir, ici-bas, l'ombre d'une espérance,
Qui, vaine, se présente et trompe nos malheurs:
L'heur de monde, et d'amour, est une joie amère,
Car le monde n'est rien qu'un enfer de misère,
Et l'amour en effet qu'un monde de douleurs.
Claude HOPIL, (1580 - 1633), mentionne sur les couvertures de ses livres, qu'il est "parisien". Il est de famille bourgeoise, parisienne. Son arrière grand père, Wolfgang HOPYL, originaire des Pays-Bas, s'installe en tant qu'imprimeur, à Paris, en 1489. Son père était marchand, vendeur de poisson frais et ses frères financiers, spécialisés dans le fermage des gabelles... Lire d'autres éléments ici.
1 commentaire:
Merci, c'est magnifique.
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