lundi 26 février 2018

Georges Guye Abbaye de Silvacane 4 mars - 22 avril 2018

Intitulée Sculptures  & Paysages, l'exposition est installée dans l'abbaye cistercienne de Silvacane
(date d'ouverture 1144, annonce la page web), située sur la commune de La Roque d'Anthéron, sur la rive gauche de la Durance, à proximité du Lubéron.

vernissage samedi 3 mars à 11h



Le commissaire d'exposition a choisi de montrer une série de sculptures représentant des lutteurs, figures inspirées du roman de Jean Giono, Deux cavaliers de l'orage, et des grands paysages,


Après une visite dans l'atelier de Georges, en 2011, j'avais écrit à propos des lutteurs et des paysages :



Ce sont des mers - immenses rectangles ou grands carrés - suspendues aux poutrelles du plafond, réalisées en résine, et peintes. L'étendue d'eau, présentée à la verticale ne défie pas seulement les lois de la pesanteur, elle modifie la perception de l'élément en le redressant. La situation des objets dans l'espace, est, on le comprend, une question qui intéresse le sculpteur, de même que la mise en volume, au même titre - et pourtant pas de la même manière - que la représentation, l'interprétation du réel. Il y a dans cette sorte de figuration, une abstraction concomitante, une prise de distance par rapport à l'objet. Georges Guye ne semble pas jouer avec la perspective ou avec la profondeur, mais dresser ces mers comme autant de surfaces en relief, ondulant de façon presque réaliste - on identifie des vagues dans les ondulations à l'horizontale - que nous prenons de front. Peut-être la mer est-elle verticale ici parce que c'est une mer à voir, dressée sur la cimaise pour un spectateur qui se campe devant elle comme il resterait debout devant un paysage, mais un paysage sans horizon, sans ligne de fuite. Alors, dans ce redressement et cette mise à plat frontale, elle peut perdre aussi l'apparence qui nous la ferait identifier comme telle et paraître autre que la mer... en tout cas, une mer qui aurait perdu de sa profondeur et ne serait plus le "gouffre" évoqué par Baudelaire.

Dans la visite de l'atelier, trois grandes oeuvres, très récentes, retiennent longuement mon attention . Il faut même dire que c'est par là que nous avons commencé ! Trois grandes pièces en plâtre blanc que Georges Guye est en train de terminer: des paysages de terre, de roche, de plaine. Trois hauts-reliefs de belle dimension (plus de 2m sur au moins 1m70, placés à 30 ou 40 cm du sol) , montés sur des châssis munis de roulettes qu'il peut déplacer à loisir dans l'atelier. Un des paysages figure un matière minérale - des rochers sans doute- du calcaire. Des bosses en relief assez régulières forment une masse orientée verticalement .
Une ligne d'horizon est perceptible, sur laquelle se détache une ligne de crête rompue par une brèche qui n'est pas sans évoquer la brèche aux Moines au sommet de Sainte-Victoire.
La montagne n'est pas identifiable dans sa dimension de "vague", parce que le champ découpé est resserré.
Joe Guye a eu l'idée de placer à quelque distance du grand rectangle ( pas plus d'un mètre ) , un bâton de randonneur (un vrai) fiché à même le sol de l'atelier tenu par deux mains de plâtre en lévitation - ses mains! - qui lui font donner le titre "d'autoportrait" à l'oeuvre.
La présence du bâton, des mains et par là même de l'artiste en randonneur devant son sujet, impose au spectateur de trouver sa propre distance par rapport à la composition.
Il en est de même avec les deux autres grands reliefs, l'un figurant un labour au devant duquel vient se placer le bas de la jambe et la chaussure de l'artiste, comme s'il s'apprêtait à fouler la terre. J'ai vu dans le troisième, un champ de blé dont les épis formeraient de larges bandes striées de la verticale vers l'oblique. Devant cette troisième composition, le bâton de pèlerin et l'avant bras de Georges Guye sont placés de manière à suggérer un corps se déplaçant de gauche à droite dans le mouvement où l'appui vient se prendre en plantant le bâton un peu au devant de soi. La présence de l'être, aussi symbolique soit-elle, infléchit la perception plus abstraite que l'on pourrait avoir de ces grands formats.

La matière blanche du plâtre, mate, rend les ombres et la lumière d'une belle façon, changeantes et subtiles. Les contrastes sont parfois plus tranchés suggérant davantage de relief et parfois plus homogènes, selon l'éclairage. Ce sont de belles pièces à fixer au mur. La perception des reliefs est complexe, à la fois travaillés dans le modelé des formes identifiables en tant que roche, terre, ou paille, mais aussi dans les mouvements d'ensemble qui ordonnent les espaces et enfin, les doubles concavités et les rondeurs dans lesquelles s'inscrivent tous les autres détails. Il faut voir ces pièces, à la fois figuratives et audacieuses dans leur composition très travaillée. Cette idée originale de placer devant elles ces "morceaux" du corps de l'artiste comme autant de synecdoques (la partie valant pour le tout) rappelant la rhétorique du Blason souvent utilisé pour célébrer la femme aimée et ici l'artiste dans son rapport au monde réel et à son oeuvre. Comme s'il se plaçait à la fois dans l'oeuvre et à distance d'elle...














Ceux qui auront vu l'exposition à Vauvenargues, en 2009 de l'ensemble de la série des figures inspirées par le roman de GionoDeux Cavaliers de l'orage, qui était installée dans la salle du haut des Lambert, chez Cathy et Raymond Galle, retrouveront dans ces grands paysages blancs, l'impression que donne la présence lumineuse du plâtre . Un dernier mot sera ici pour évoquer justement les figures de ces hommes qui s'affrontent, dont j'ai placé une photo au début de l'article. Georges Guye a travaillé en divers formats, en variant les découpages dans les plans sur les corps, la lutte de deux hommes, des frères paraissant presque jumeaux dont il me semblait même parfois qu'ils ressemblaient beaucoup à des autoportraits de l'artiste. Je suis très sensible à cette représentation du combat que Jean-Louis Marcos peut comparer à de la tauromachie. Effectivement, les mouvements peuvent paraître codifiés quand les postures sont ainsi saisies et figées. On pourrait parler ici d'une rhétorique du combat et de sa grâce monstrueuse. La force d'attraction qui semble attirer les deux hommes à se livrer un corps à corps violent , révèle l'ambiguïté de l'attraction-répulsion de l'amour-haine de ces deux êtres très semblables. Affronter l'autre comme on se livre parfois une lutte à soi-même. Le plâtre immaculé vient ici souligner la ressemblance des deux hommes, attester de la fusion des corps qui se mêlent et la blancheur, en contrepoint des coups portés, pacifie ou questionne le pourquoi du combat. 

On peut avoir un aperçu de l'abbaye sur ce lien (vidéo) http://www.abbaye-silvacane.com/
Abbaye de Silvacane
RD 561, 13640 La Roque-d'Anthéron
04 42 50 41 69

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