Et toi mon coeur pourquoi bas-tu
Comme un guetteur mélancolique
j'observe la nuit et la mort
Je donne ici quelques poèmes de
"Stavelot" ( 1899)
L'amour
L'anneau se met à l'annulaire
Après le baiser des aveux
Ce que nos lèvres murmurèrent
Est dans l'anneau des annulaires
Mets des roses dans tes cheveux
***
Or nous regardions les cygnes
Nager ce soir plein de tiédeur
Sur le grand lac où se résignent
Les branches des saules pleureurs
Et c'était l'heure où le jour meurt
***
S'en est allée l'amante
Au village voisin malgré la pluie
Sans son amant s'en est allée l'amante
Pour danser avec un autre que lui
Les femmes mentent mentent
***
Je ne sais plus si je l'aime
Ni si l'hiver sait mon péché
Le ciel est un manteau de laine
Et mes amours s'étant cachés
Périssent d'amour en moi-même
***
[...]
O mon coeur, j'ai connu la triste et belle joie
D'être trahi d'amour et de l'aimer encore
O mon coeur mon orgueil je sais je suis le roi
Le roi que n'aime point la belle aux cheveux d'or
Rien n'a dit ma douleur à la belle qui dort
Pour moi je me sens fort mais j'ai pitié de toi
O mon grand coeur étonné triste jusqu'à la mort
J'ai promené ma rage en les soirs blancs et froids
Je suis un roi qui n'est pas sûr d'avoir du pain
Sans pleurer j'ai vu fuir mes rêves en déroute
Mes rêves aux yeux doux au visage poupin
Pour consoler ma gloire un vent a dit Ecoute
Elève-toi toujours Ils te montrent la route
Les squelettes de doigts terminant les sapins
***
[...]
Jamais les crépuscules ne vaincront les aurores
Etonnons-nous des soirs mais vivons les matins
Méprisons l'immuable comme la pierre ou l'or
Sources qui tariront Que je trempe mes mains
En l'onde heureuse
***
[...]
"Poèmes retrouvés"
A mon bleu ciel des rêves feuillolent
Et tombent tout près de fleurs qui puent
Je songe pendant que je somnole
D'astres éteints de tigres repus
Toutes les roses ne sont pas roses
Tous les saules ne sont pas pleureurs
Or je sais des portes jamais closes
Et des Héros qui ont toujours peur
Tout ce que nous disons est mensonge
Et je ne crois plus aux pâmoisons
Les yeux sont pareils aux éponges
On presse on pleure et Tout est Raison
***
[...]
J'ai rêvé que j'allais à mon enterrement
Tu n'étais pas venue et j'entendais ton rire
Mais ta bouche était là ses suçons de vampire
Cerceaux rouges roulaient sous mon regard dément
Et je mourais encore en entendant ton rire
***
Fête
Un cor sonnait au fond de mon coeur ténébreux
On y chassait les biches de mes souvenirs
Et cette forêt qui pousse en moi et où l'on corne
Je l'ai portée au bois
Veille
Pipe de nuit pipes du jour
Tout l'opium ô chevelures
Les cheveux bruns de mon amour
Et ces lenteurs tandis que dure
L'éveil des monstres tour à tour
***
TABLE
Ma table est rectangulaire, ses angles sont arrondis. Je fume la pipe bien que le tabac me dégoûte mais son amertume et sa brûlure me plaisent.
J'aurais voulu travailler ce matin mais je n'ai rien fait que fouiller de vieux brouillons à moi. Les machins où l'on adapte du papier buvard sont des trucs idiots, il vaut mieux sécher ce qu'on écrit avec du papier buvard non monté, c'est ce qu'il y a de mieux. Il est rose comme un visage fardé, peu à peu il noircit au centre rectangulairement. Maintenant je ne fais rien, j'écris ce que je vois, mon mouchoir est près de moi froissé. Il y a aussi une boîte d'allumettes suédoises à l'envers, elle est vieux rose avec un cercle rouge où il y a un A un M et un C avec une torche allumée. Ca me fait penser aux réclames de chemin de fer qui furent le principal du paysage de mon dernier voyage en chemin de fer et quelles jolies rumeurs dans les poteaux électriques sur les routes où je me promenai tout le jour.
A
T T
E
N T
ION
DANGER DE MORT
C'était écrit sur ces poteaux plus émouvants qu'un mélo. Je m'embête. Je vais casser une pipe de terre qui est vraiment mauvaise, il faut aussi que je jette quelques pipes en bois qui jutent vraiment trop puis en pensant à plusieurs choses à la fois, ayant mal à la nuque, les yeux fixes je vais m'arracher des peaux autour des doigts et si je saigne je me sucerai le doigt jusqu'à ce que l'obscurité étant complète je me lèverai pour allumer une lampe.
On trouve ce recueil en poésie/Gallimard.
1952 pour Le guetteur mélancolique
1956 pour Poèmes retrouvés.
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