jeudi 10 avril 2014

Raymond Galle, "Devenir forêt", exposition à la Galerie du Bois de l'Aune, mai 2014


Il y a quelques jours, Raymond Galle m’a appelée pour me demander de venir voir chez lui les travaux qu'il exposera à la salle du Bois de l’Aune à Aix. L’exposition « Devenir forêt », y sera  accrochée  au mois de mai.    Au téléphone il me  dit qu’il montrera des peintures sur panneaux de papier   représentant des  sous-bois, des troncs d’arbres  et  des reliquaires (boîtes  en plomb dans lesquelles il a serti des manuscrits).   Trois  « familles » ou trois thèmes, à travers lesquels il envisage  la question du  paysage, centrale dans son travail, depuis plusieurs  années.  




Je suis arrivée chez lui  en début d’après midi, un de ces jours du mois de mars où il pleuvait des cordes.  J’attendais  une accalmie à l’abri dans ma voiture. Il me semblait improbable  de braver l’averse de grêle, même pour parcourir la petite centaine de mètres qui me séparaient de sa porte d’entrée.   L’eau dégoulinait   sur  la vitre du pare-brise transformant le  paysage noyé dans la brume en visions étranges ;   les silhouettes  noires et dépouillées des amandiers  se déformaient  en ondulant  mollement autour des satellites que formaient les grêlons échoués sur mon pare-brise.  Ce jour là, le paysage familier  de la vallée de Vauvenargues,   m’apparaissait  dans une exubérance difforme, animée et quelque peu fantastique, il semblait remodelé à  l’instant où je l’observais.  Le paysage  ne paraissait pas tel que je l’avais vu d’autres fois, sous un autre ciel. Je faisais l’expérience de la vision impressionniste, contingente des  conditions de lumière, d’atmosphère et de subjectivité.  Dans la conversation qui suivit il a justement  été question de mettre  cette expérience impressionniste   à l’épreuve  du travail plastique que  Raymond Galle mène sur le paysage ;  une approche sensible  et  esthétique de la nature,  une exploration des éléments  visibles  qui  composent un paysage dans ce qu’ils ont  de permanent  et de stable plutôt que saisir des  aspects changeants  ou  fugaces.    Il a la chance d’habiter un site considéré comme l’un des plus beaux  et des plus fameux paysages aixois, la face nord de la Sainte Victoire, cependant  il ne fait pas partie des peintres qui  regardent  le paysage pour en sélectionner  une portion  comme on choisirait l’endroit où  poser  un cadre qui découperait une portion de paysage  au travers  d’une fenêtre ouverte à la fois sur le monde extérieur  et sur l’intériorité du peintre.  Il n’est pas, picturalement parlant, un héritier des impressionnistes, ni de Cézanne.  

« Devenir forêt », titre choisi pour  l’exposition au bois de l’Aune  évoque au contraire  l’intention d’explorer  un devenir ou un avenir  de la nature, mais aussi une injonction à vouloir fusionner  avec ce  paysage,  s’en approcher pour en comprendre l’essence, s’y coller pour le représenter.  N’est-ce pas aussi  se demander  comment on devient ce que l’on peint ? A moins que l’on ne peigne le paysage comme on est, comme on se l’approprie ?   Raymond Galle, prélève dans  la nature les images qu’il  représente ensuite dans son atelier.  Sa démarche se distingue donc  des peintres qui vont sur le motif, autant que  des artistes du Land-art qui créent des œuvres -installations in situ.


 Raymond Galle marche, il entre dans le paysage contemporain,   regarde de près  l’état de la nature ;  il observe la manière dont  l’homme la cultive, la taille, la nettoie, l’administre, la marchandise et la valorise jusqu’à la blesser et la détruire.  Il  explore ses  grandes composantes minérales et végétales, méthodiquement :   Pierres, Broussailles, Sous-bois,  Montagnes, Arbres,  revenant parfois sur un  même thème à quelques années d’écart (c’est le cas des  thèmes  Broussailles et  Pierres).   Il a conscience  que la nature  est  agressée  à la fois par la science, par l’industrie et par la croissance  démographique, cependant, il  affirme (il n’est pas seul à le penser), qu’elle est  beaucoup plus  résistante et plus puissante que nous et s’en remettra.  Il n’est  pas   tenté par un discours pessimiste (la mort de la Nature), pas plus que par une vision  romantique ( la Nature comme lieu où l’homme en souffrance dans son époque cherche un refuge).  Il revendique   le choix de peindre la nature de façon  optimiste  considérant qu’elle  a une capacité exceptionnelle de régénération et qu’elle  reprendra toujours le dessus ;  il  représente une nature vivante, triomphante  et belle.  L’art est selon lui  le lieu où devrait pouvoir s’exprimer une version poétique et  artistique des problématiques liées aux menaces qui pèsent sur la nature, il emploie son énergie d’artiste pour être à l’avant-garde des considérations politiques, pour mener une bataille avec ses moyens d’artiste ;  employer son énergie à l’art est pour lui une manière de sortir de la morosité ambiante.  Se tenir debout et faire œuvre c’est rester vivant et actif, c’est donner un rôle politique à l’acte poétique de l’artiste.
 

 La forêt est un élément du paysage; dans le sous-bois,  l’arbre pose la question de sa verticalité dans son rapport à l’horizontalité du lointain et du sol où il prend racine.  La verticale et l’horizontale (ou la ligne d’horizon)  sont les repères habituels d’un paysage  représenté en perspective ; elles sont aussi tout simplement le couple de repères dans l’espace où nous nous situons, entre ciel et terre d’une manière rassurante, quasiment en permanence.  Les peintures des sous-bois  de Raymond Galle font disparaître les lignes horizontales et la perspective. Demeure la verticalité des troncs qui apparaissent sur un fond d’azur, comme s’il peignait la transcendance de la nature, son élévation, l’idée de sublime qui tient l’homme debout en marche vers un destin.  Peindre le sous-bois avec l’espoir d’un devenir. Des troncs d’arbres comme des totems dressés flottent sans prendre racine dans le sol, ils ne tendent pas de branches à l’horizontale et ne sont pas de possibles croix. Devenir  sous-bois c’est  ici perdre  ses repères,  ne plus se situer,  flotter dans la forêt suspendue. On peut s’y perdre, mais ce n’est pas inquiétant, c’est bien plutôt un rêve très beau dans lequel l’idée d’arbre nous habite sans devenir pesante, un arbre dématérialisé, déréalisé, une image d’arbre et de sous-bois proche de l’émerveillement.  Raymond Galle a  écrit qu’ « il cherche l’épure qui est dans sa tête et que le jardinier n’aurait pas suffisamment exprimée (…) C’est cette vibration du sous-bois de l’histoire, mémoire vivante de la forêt, que le peintre veut confier au tableau »1 .  




Les troncs d’arbres et les écorces donnent autre chose à voir dans la frontalité de la coupe, je pense à « soleil cou coupé »2 de Guillaume Apollinaire. Métaphore polysémique, la section du tronc  dit  âge de l’arbre, elle évoque également par sa forme ovoïde d’autres possibles, une matrice ou la coupe d’un cerveau humain et par dérivée, la pensée de l’arbre.  La bichromie de la peinture jouant sur les rapports du noir au blanc en passant par toutes les teintes de gris  fonctionne aussi dans ce sens de lecture.  Le peintre dessine la résonance de l’arbre en ondes concentriques jusqu’à la limite, l’écorce qui l’enclot. L’écorce est la gardienne des pensées de l’arbre qui porte en lui « Le poème de l’arbre »3, parce que l’arbre, dit Raymond Galle, porte en lui-même sa propre trace, sa langue, le mot et le poème.  « Le poème, c’est l’arbre qui le dicte au papier en faisant des ronds autour de son tronc, c’est lui qui orchestre le chant inspiré qui jaillit de ses feuilles. Avant d’apparaître sur le papier, le poème est dans l’arbre, est l’arbre, le poème c’est lui »3. Les tableaux des troncs d’arbres m’apparaissent alors comme autant de matrices diaphanes et claires comme des lunes pleines figurant dans les éclats visibles qui en strient la surface, les chuchotements  et les cris. La voix intérieure de l’arbre dit  l’histoire de la nature, des saisons, des étés brûlants et des hivers gelés. Dans les lignes concentriques, est inscrite l’histoire de l’arbre au jour le jour. Le tronc de l’arbre gardera la mémoire de l’orage de mars, il  ressurgira à la surface du tableau.  

Quand le poème  de l’arbre est transcrit sur la feuille, que le manuscrit est devenu livre,  Raymond Galle le  sertit dans un  reliquaire en plomb  dont on ne peut plus l’en retirer. Que ces reliquaires soient pensés comme «  tombeaux du poème », variante des traditionnels  « tombeaux du poète », ne peut pas nous échapper.  Le plomb aurait-il vocation ici à élever le manuscrit, à le sublimer, aucun paradoxe ne résiste à la poésie.  Le reliquaire est à la fois la pierre tombale et l’épitaphe, la chose et le mot ;  l’objet d’art est un tout et l’artiste un alchimiste. Mais les reliquaires de Raymond Galle, s’ils sont conçus pour contenir de façon définitive les manuscrits, n’en sont pas moins ouverts et les feuillets visibles, pressés étroitement offrent à voir l’épaisseur sensuelle d’une  chevelure ondoyante à portée de main appelant la caresse. L’œuvre n’est jamais toute cérébrale, elle est sensuelle, elle est esthétique, elle est belle, elle rencontre et stimule toujours, l’émotion et la sensibilité du spectateur.

En 1990, des universitaires réunis en colloque débattaient et annonçaient  que   le paysage géographiquement comme esthétiquement n’existait plus, qu’il appartenait au passé, que la puissance de l’homme en le détruisant était la cause que même les peintres  l’avaient relégué au musée et à l’académie.  Cependant, Raymond Galle l’affirme dans le texte  Nature et paysage4  ( 2011),  «  le paysage n’est pas  l’accompagnement d’une situation mais la réaction à celle-ci. La défiguration de la nature n’entraîne pas automatiquement la renonciation à la représenter, c’est même exactement l’inverse qui se produit, à savoir que les injures faites à la nature alertent notre conscience sur la nécessité de la représenter ».  Dans sa peinture, Raymond Galle ne pleure pas sur une nature décomposée, il ne s’apitoie pas sur elle, bien au contraire, en artiste il célèbre  la beauté,  le bonheur,  l’énergie qu’il y en retire, tout en étant conscient des dommages et des mutations que la main de l’homme imprime au paysage. 

Florence Laude, mars 2014.


1.  Le sujet du Tableau, Raymond Galle, août 2010
2.  « Zone », Alcools, Guillaume Apollinaire, 1913
3. Le poème de l’arbre, Raymond Galle, février 2013
4. «Actualité du paysage », Nature et paysage, Raymond Galle, 2011.

Pour lire et voir des oeuvres de Raymond Galle correspondant aux thèmes cités dans l'article, se rendre sur sont site :
Patrick Ranchain est le directeur de la salle du Bois de L'Aune, aidé dans cette tâche par Catherine Laugier. 

Pour la salle du Bois de l'Aune,1 place Victor Schoelcher,  Aix-en-Provence, on peut trouver des informations ICI 
tél 04 42 93 85 40

 




2 commentaires:

pierre vallauri a dit…

Très beau titre pour un très beau travail qui donne (comme d'habitude une très fine analyse de l'acte d'être, précisément pour l'artiste Raymond Galle,au monde et en particulier face à la Nature qui l'entoure.

Flo Laude a dit…

Merci Pierre, j'ai vu les oeuvres qui seront exposées, bien sûr. Le "tour d'horizon" du bois: forêt, arbres et troncs, boîtes, souligne effectivement un désir de relation "au plus près de"... "devenir forêt". Un travail d'artiste remarquable !
A bientôt