Il y a quelques jours, Raymond Galle m’a appelée pour me demander de venir voir chez lui les travaux qu'il exposera à la salle du Bois de l’Aune à Aix. L’exposition « Devenir forêt », y sera accrochée au mois de mai. Au téléphone il me dit qu’il montrera des peintures sur panneaux de papier représentant des sous-bois, des troncs d’arbres et des reliquaires (boîtes en plomb dans lesquelles il a serti des manuscrits). Trois « familles » ou trois thèmes, à travers lesquels il envisage la question du paysage, centrale dans son travail, depuis plusieurs années.
Je suis arrivée chez lui en début d’après midi, un de ces jours du mois
de mars où il pleuvait des cordes.
J’attendais une accalmie à l’abri
dans ma voiture. Il me semblait improbable
de braver l’averse de grêle, même pour parcourir la petite centaine de
mètres qui me séparaient de sa porte d’entrée. L’eau
dégoulinait sur la
vitre du pare-brise transformant le paysage noyé dans la brume en visions étranges ;
les silhouettes noires et dépouillées des amandiers se déformaient
en ondulant mollement autour des
satellites que formaient les grêlons échoués sur mon pare-brise. Ce jour là, le paysage familier de la vallée de Vauvenargues, m’apparaissait dans une exubérance difforme, animée et
quelque peu fantastique, il semblait remodelé à l’instant où je l’observais. Le paysage ne paraissait pas tel que je l’avais vu
d’autres fois, sous un autre ciel. Je faisais l’expérience de la vision
impressionniste, contingente des conditions de lumière, d’atmosphère et de
subjectivité. Dans la conversation qui
suivit il a justement été question de
mettre cette expérience impressionniste à l’épreuve du travail plastique que Raymond Galle mène sur le paysage ; une approche sensible et
esthétique de la nature, une
exploration des éléments visibles qui
composent un paysage dans ce qu’ils ont de permanent
et de stable plutôt que saisir des aspects changeants ou
fugaces. Il a la chance d’habiter un site considéré
comme l’un des plus beaux et des plus
fameux paysages aixois, la face nord de la Sainte Victoire, cependant il ne fait pas partie des peintres qui regardent le paysage pour en sélectionner une portion comme on choisirait l’endroit où poser un cadre qui découperait une portion de
paysage au travers d’une fenêtre ouverte à la fois sur le monde
extérieur et sur l’intériorité du
peintre. Il n’est pas, picturalement
parlant, un héritier des impressionnistes, ni de Cézanne.
« Devenir forêt », titre choisi pour l’exposition au bois de l’Aune évoque au contraire l’intention d’explorer un devenir ou un avenir de la nature, mais aussi une injonction à
vouloir fusionner avec ce paysage, s’en approcher pour en comprendre l’essence, s’y
coller pour le représenter. N’est-ce pas
aussi se demander comment on devient ce que l’on peint ? A
moins que l’on ne peigne le paysage comme on est, comme on se l’approprie ?
Raymond Galle, prélève dans la nature les images qu’il représente ensuite dans son atelier. Sa démarche se distingue donc des peintres qui vont sur le motif, autant que
des artistes du Land-art qui créent des
œuvres -installations in situ.
Raymond Galle marche,
il entre dans le paysage contemporain, regarde
de près l’état de la nature ; il observe la manière dont l’homme la cultive, la taille, la nettoie,
l’administre, la marchandise et la valorise jusqu’à la blesser et la détruire. Il explore ses
grandes composantes minérales et végétales, méthodiquement : Pierres, Broussailles, Sous-bois, Montagnes, Arbres, revenant parfois sur un même thème à quelques années d’écart (c’est
le cas des thèmes Broussailles et Pierres). Il a conscience
que la nature est agressée
à la fois par la science, par l’industrie et par la croissance démographique, cependant, il affirme (il n’est pas seul à le penser),
qu’elle est beaucoup plus résistante et plus puissante que nous et s’en
remettra. Il n’est pas tenté par un discours pessimiste (la mort de
la Nature), pas plus que par une vision romantique ( la Nature comme lieu où l’homme
en souffrance dans son époque cherche un refuge). Il revendique le choix de peindre la nature de façon optimiste considérant qu’elle a une capacité exceptionnelle de régénération
et qu’elle reprendra toujours le
dessus ; il représente une nature vivante,
triomphante et belle. L’art est selon lui le lieu où devrait pouvoir s’exprimer une
version poétique et artistique des problématiques
liées aux menaces qui pèsent sur la nature, il emploie son énergie d’artiste
pour être à l’avant-garde des considérations politiques, pour mener une
bataille avec ses moyens d’artiste ;
employer son énergie à l’art est pour lui une manière de sortir de la
morosité ambiante. Se tenir debout et
faire œuvre c’est rester vivant et actif, c’est donner un rôle politique à l’acte
poétique de l’artiste.
La forêt est un
élément du paysage; dans le sous-bois,
l’arbre pose la question de sa verticalité dans son rapport à
l’horizontalité du lointain et du sol où il prend racine. La verticale et l’horizontale (ou la ligne
d’horizon) sont les repères habituels
d’un paysage représenté en perspective ;
elles sont aussi tout simplement le couple de repères dans l’espace où nous
nous situons, entre ciel et terre d’une manière rassurante, quasiment en
permanence. Les peintures des sous-bois de Raymond Galle font disparaître les lignes
horizontales et la perspective. Demeure la verticalité des troncs qui apparaissent
sur un fond d’azur, comme s’il peignait la transcendance de la nature, son
élévation, l’idée de sublime qui tient l’homme debout en marche vers un destin. Peindre le sous-bois avec l’espoir d’un
devenir. Des troncs d’arbres comme des totems dressés flottent sans prendre
racine dans le sol, ils ne tendent pas de branches à l’horizontale et ne sont
pas de possibles croix. Devenir
sous-bois c’est ici perdre ses repères, ne plus se situer, flotter dans la forêt suspendue. On peut s’y
perdre, mais ce n’est pas inquiétant, c’est bien plutôt un rêve très beau dans
lequel l’idée d’arbre nous habite sans devenir pesante, un arbre dématérialisé,
déréalisé, une image d’arbre et de sous-bois proche de l’émerveillement. Raymond Galle a écrit qu’ « il cherche l’épure qui
est dans sa tête et que le jardinier n’aurait pas suffisamment exprimée (…)
C’est cette vibration du sous-bois de l’histoire, mémoire vivante de la forêt,
que le peintre veut confier au tableau »1 .
Les troncs d’arbres
et les écorces donnent autre chose à
voir dans la frontalité de la coupe, je pense à « soleil cou coupé »2
de Guillaume Apollinaire. Métaphore polysémique, la section du tronc dit âge
de l’arbre, elle évoque également par sa forme ovoïde d’autres possibles, une
matrice ou la coupe d’un cerveau humain et par dérivée, la pensée de l’arbre. La bichromie de la peinture jouant sur les
rapports du noir au blanc en passant par toutes les teintes de gris fonctionne aussi dans ce sens de
lecture. Le peintre dessine la résonance
de l’arbre en ondes concentriques jusqu’à la limite, l’écorce qui l’enclot. L’écorce
est la gardienne des pensées de l’arbre qui porte en lui « Le poème de
l’arbre »3, parce que l’arbre, dit Raymond Galle, porte en
lui-même sa propre trace, sa langue, le mot et le poème. « Le poème, c’est l’arbre qui le dicte au
papier en faisant des ronds autour de son tronc, c’est lui qui orchestre le
chant inspiré qui jaillit de ses feuilles. Avant d’apparaître sur le papier, le
poème est dans l’arbre, est l’arbre, le poème c’est lui »3. Les
tableaux des troncs d’arbres m’apparaissent alors comme autant de matrices
diaphanes et claires comme des lunes pleines figurant dans les éclats visibles
qui en strient la surface, les chuchotements et les cris. La voix intérieure de l’arbre
dit l’histoire de la nature, des
saisons, des étés brûlants et des hivers gelés. Dans les lignes concentriques,
est inscrite l’histoire de l’arbre au jour le jour. Le tronc de l’arbre gardera
la mémoire de l’orage de mars, il
ressurgira à la surface du tableau.
Quand le poème de
l’arbre est transcrit sur la feuille, que le manuscrit est devenu livre, Raymond Galle le sertit dans un
reliquaire en plomb dont on ne
peut plus l’en retirer. Que ces reliquaires soient pensés comme « tombeaux
du poème », variante des traditionnels « tombeaux du poète », ne peut pas
nous échapper. Le plomb aurait-il
vocation ici à élever le manuscrit, à le sublimer, aucun paradoxe ne résiste à
la poésie. Le reliquaire est à la fois
la pierre tombale et l’épitaphe, la chose et le mot ; l’objet d’art est un tout et l’artiste un
alchimiste. Mais les reliquaires de Raymond Galle, s’ils sont conçus pour
contenir de façon définitive les manuscrits, n’en sont pas moins ouverts et les
feuillets visibles, pressés étroitement offrent à voir l’épaisseur sensuelle
d’une chevelure ondoyante à portée de
main appelant la caresse. L’œuvre n’est jamais toute cérébrale, elle est
sensuelle, elle est esthétique, elle est belle, elle rencontre et stimule
toujours, l’émotion et la sensibilité du spectateur.
En 1990, des universitaires réunis en colloque débattaient et
annonçaient que le paysage
géographiquement comme esthétiquement n’existait plus, qu’il appartenait au
passé, que la puissance de l’homme en le détruisant était la cause que même les
peintres l’avaient relégué au musée et à
l’académie. Cependant, Raymond Galle l’affirme
dans le texte Nature et paysage4
( 2011), « le paysage n’est
pas l’accompagnement d’une situation
mais la réaction à celle-ci. La défiguration de la nature n’entraîne pas
automatiquement la renonciation à la représenter, c’est même exactement
l’inverse qui se produit, à savoir que les injures faites à la nature alertent
notre conscience sur la nécessité de la représenter ». Dans sa peinture, Raymond Galle ne pleure pas
sur une nature décomposée, il ne s’apitoie pas sur elle, bien au contraire, en
artiste il célèbre la beauté, le bonheur,
l’énergie qu’il y en retire, tout en étant conscient des dommages et des
mutations que la main de l’homme imprime au paysage.
Florence Laude, mars 2014.
1. Le sujet du Tableau, Raymond Galle, août
2010
2. « Zone »,
Alcools, Guillaume Apollinaire, 1913
3. Le poème de l’arbre,
Raymond Galle, février 2013
4. «Actualité du paysage », Nature et paysage, Raymond
Galle, 2011.
Pour lire et voir des oeuvres de Raymond Galle correspondant aux thèmes cités dans l'article, se rendre sur sont site :
Patrick Ranchain est le directeur de la salle du Bois de L'Aune, aidé dans cette tâche par Catherine Laugier.
Pour la salle du Bois de l'Aune,1 place Victor Schoelcher, Aix-en-Provence, on peut trouver des informations ICI
tél 04 42 93 85 40
2 commentaires:
Très beau titre pour un très beau travail qui donne (comme d'habitude une très fine analyse de l'acte d'être, précisément pour l'artiste Raymond Galle,au monde et en particulier face à la Nature qui l'entoure.
Merci Pierre, j'ai vu les oeuvres qui seront exposées, bien sûr. Le "tour d'horizon" du bois: forêt, arbres et troncs, boîtes, souligne effectivement un désir de relation "au plus près de"... "devenir forêt". Un travail d'artiste remarquable !
A bientôt
Enregistrer un commentaire