le blog de florence laude "L'artiste nous prête ses yeux pour contempler le monde" Arthur Schopenhauer
mardi 11 février 2014
Pensées sous les nuages, Philippe Jaccottet
-Je ne crois pas décidément que nous ferons ce voyage
à travers tous ces ciels qui seraient de plus en plus clairs,
emportés au défi de toutes les lois de l'ombre.
Je nous vois mal en aigles invisibles, à jamais
tournoyant autour des cimes invisibles elles aussi
par excès de lumière...
(à ramasser les tessons du temps,
on ne fait pas l'éternité. Le dos se voûte seulement
comme aux glaneuses. On ne voit plus
que les labours massifs et les traces de la charrue
à travers notre tombe patiente.)
-Il est vrai qu'on aura peu vu le soleil tous ces jours,
espérer sous tant de nuages est moins facile,
le socle des montagnes fume de trop de brouillard...
(il faut pourtant que nous n'ayons guère de force
pour lâcher prise faute d'un peu de soleil
et ne pouvoir porter sur les épaules, quelques heures,
un fagot de nuages...
Il faut que nous soyons restés bien naïfs
pour nous croire sauvés par le bleu du siel
ou châtiés par l'orage et par la nuit.)
-Mais où donc pensiez-vous aller encore, avec ces pieds usés?
Rien que tourner le coin de la maison, ou franchir,
de nouveau, quelle frontière?
(L'enfant rêve d'aller de l'autre côté des montagnes,
le voyageur le fait parfois, et son haleine là-haut
devient invisible, comme on dit que l'âme des morts...
On se demande quelle image il voit passer
dans le miroir des neiges, luire quelle flamme,
et s'il trouve une porte entrouverte derrière.
On imagine que, dans ces lointains, cela se peut :
une bougie brûlant dans un miroir, une main
de femme proche, une embrasure...)
[...]
Philippe Jaccottet - Pensées sous les nuages - (extrait) - Gallimard 1977
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2 commentaires:
Très beau.
Oui, très beau. Il me semble qu'après lecture de ce poème tout commentaire est superflu. Mais le paradoxe est qu'il me faut l'écrire pour laisser une trace "sous les nuages"
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