la fièvre de cette journée de grande vente passait
comme un vertige, roulant la houle désordonnée des têtes. On commençait à
sortir, le saccage des étoffes jonchait les comptoirs, l'or sonnait dans les
caisses ; tandis que la clientèle, dépouillée, violée, s'en allait à
moitié défaite, avec la volupté assouvie et la sourde honte d'un désir contenté
au fond d'un hôtel louche. C'était lui qui les possédait de la sorte, qui les
tenait à sa merci, par son entassement continu de marchandises, par sa baisse
des prix et ses rendus, sa galanterie et sa réclame. Il avait conquis les mères
elles-mêmes, il régnait sur toutes avec la brutalité d'un despote,
dont le caprice ruinait des ménages. Sa création apportait une religion
nouvelle, les églises que désertait peu à peu la foi chancelante étaient
remplacées par son bazar, dans les âmes inoccupées désormais. La
femme venait passer chez lui les heures vides, les heures frissonnantes et
inquiètes qu'elle vivait jadis au fond des chapelles : dépense nécessaire
de passion nerveuse, lutte renaissante d'un dieu contre le mari, culte sans
cesse renouvelé du corps, avec l'au-delà divin de la beauté.
Emile Zola, Au Bonheur des Dames, 1883
2 commentaires:
Génial ce Zola.Dirait-il la même chose aujourd'hui. Sans doute puisque le rapprochement au delà du temps et des modes s'impose.
Bah, les culottes, ça va ça vient...
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