dimanche 13 janvier 2013

Annick Pegouret, exposition Galerie Alain Paire



Annick Pegouret, peintures, continuité d'hier à aujourd'hui

Les œuvres choisies par Annick Pegouret, pour cette exposition, s’articulent entre  hier et aujourd’hui, l’intérieur et l’extérieur et ont pour fil directeur, la figure.  Elle a choisi de montrer deux  grandes peintures sur toile, figurant deux couples côte à côte,   A cinq heures , et  Face à nous , des peintures de plus petit format,  sur papier, où elle fait  se  rencontrer deux ou trois personnages évoluant à l’intérieur ou à l’extérieur, près de la rive,   des peintures de paysages sans figure,  Mémoire d’eau   et  d’autres très récents  paysages en feu.  La diversité des oeuvres rend compte d’un parcours de création continu qui, laissant  entrer la vie avec ce qu’elle connaît de contraintes, de ruptures et de nécessaires réaménagements,  a évolué sans  s’interrompre.

Depuis la fin des années quatre-vingts, Annick Pegouret poursuit un travail de peinture sur la figure,   gardant,  quand cela est possible, le même modèle pendant des mois ou des années.  Ainsi, plusieurs modèles se sont succédé dans son atelier,  avec des présences plus fidèles qui se reconnaissent au fil des œuvres, presque familières, par périodes.   Les figures voisinent, saisies dans un coin d’atelier.  Que ce soit dans les grandes peintures  sur toile des années 95, ou les plus petits formats commencés dans les  années 2000, le dessin d’après modèle est simplifié, pourtant attentif à être très juste, des détails du décor réel sont évacués et parfois transformés pour les besoins de l’équilibre et de la composition des œuvres.
 Dans les grandes peintures présentées ici, les personnages nous font face, il s’agit de deux couples, mais ils  sont volontairement montrés dans des postures qui ne précisent pas l’intimité. Ils sont tournés vers  le spectateur qu’ils incluent dans leur probable relation.  Ils n’ont pas l’un pour l’autre les regards et attitudes des couples qui évoluent dans l’intimité, la légère distance entre leurs corps maintient ou suggère des sensations, sans plus. La présence du spectateur au-delà du « quatrième mur » de l’atelier est aussi la place du  peintre.  Spectateur ou peintre ne sont pas ignorés du couple, la communication se fait aussi avec cet autre non figuré, de l’autre côté du miroir, de l’autre côté du tableau, c’est un espace où les sensations circulent. Les bleus outremer et les bleus phtalo dialoguent avec le gris-noir des vêtements et les tons chauds et chatoyants des murs et du tapis, l’atmosphère est  calme.  On est dans la peinture,  le modelé des corps et des matières, les plis des vêtements, mais encore le rapport coloré.  Les bleus qui évoquent le ciel et la mer, les tons chauds, le sable, le soleil, les carnations  halées parlent de la  Méditerranée.  Depuis l’intérieur de l’atelier,  c’est l’ailleurs et l’autre que l’on voit.

Dans les petites peintures, les couleurs sont placées après la pose dans la recherche d’une harmonie colorée raffinée  de tons chauds et froids, d’atmosphères diurnes ou nocturnes permettant à la couleur de devenir langage.  Les bleus très présents, sont une réminiscence de l’eau.  Que le bleu soit un élément du décor ou qu’il habille une chemise, il tient lieu de présence céleste diurne tel un morceau de ciel lumineux ;  de même,  le jaune éclatant,  solaire,   placé inopinément dans l’ombre d’une étagère ou encore sur un vêtement.  Dans certaines peintures où le bleu et le jaune  voisinent avec le noir d’un vêtement ou le noir d’un mur de l’atelier,   le peintre joue à composer des  rencontres impossibles, créant des atmosphères nocturnes dans lesquelles les couleurs du jour s’invitent,  le soleil  donnant, en quelque sorte, rendez-vous à  la lune, comme le chantait Charles Trenet.  

La référence à la peinture surréaliste surgirait  si le terme Surréalisme n’était le plus souvent attribué à  des rapprochements incongrus et  fortuits, tel que le rêve et non la réalité les favorise, ce qui n’est pas le cas dans le travail d’Annick Pegouret.  Ici, le surréalisme tient à la relation au réel, qui dépasse la  mimésis, tout en s’appuyant sur la rigueur d’une forme et la symbolique colorée. On pense alors   aux peintures du Quattrocento italien  où la simplification des formes annonçait la vision de l’homme moderne et humaniste de la renaissance, plaçant l’homme ( la figure) au centre des préoccupations, de la perception et de la représentation du monde.  Cette dimension est essentielle dans l’œuvre d’Annick Pegouret qui place la figure au centre de son travail.

Elle  ne commande pas une pose à ses modèles, elle les laisse évoluer et trouver l’équilibre que leur corps habite, très naturellement. Ainsi  ont-ils cette présence forte et apaisée d’un corps qui ne se dérobe pas à ce qu’il est en cherchant La pose...    Elle  dit qu’elle a  plaisir à se saisir de la feuille vide et à composer à partir des épures,  à chercher comment disposer les pleins dans le vide.    Rarement les corps sont cadrés de manière réaliste.  Si elle  travaille d’abord ses épures avec les gens tels qu’ils sont, ses peintures ne sont pas réalistes dans la  composition de l’espace et  de la couleur.  L’humain est volontairement placé de manière à ce que dans les rapprochements, apparaisse la complexité de chacun, le fait qu’il porte une culture, une singularité,  même dans le côtoiement de l’autre. Rien n’est imposé, c’est l’art du suggéré.  Pourtant la matière picturale est forte, de par la présence d’une ligne claire affirmée et, toujours dans les petites peintures, les aplats de couleurs.  On pense à une esthétique de la bande dessinée, en particulier aux auteurs américains contemporains comme  Chris Ware, Charles Burns ou Joe Matt, dont la ligne, vigoureuse, tendue, tient debout des personnages que l’on sent  consistants  dans leur chair.  Mais le rapprochement restera au niveau de l’esthétique, car Annick Pegouret ne s’aventure pas dans une  narration séquencée, même si ses peintures suggèrent beaucoup.

Depuis cinq ans environ, Annick Pégouret a, par la rencontre avec l’association Perspectives à laquelle elle collabore, cherché une expression qu’elle souhaitait plus contemporaine  ce qui l’a conduite à faire disparaître la figure des peintures Mémoire d’eau. Ces peintures ne sont pas sans évoquer les grandes mers du sculpteur marseillais Georges Guye, à la différence de la taille et du matériau des œuvres respectives des artistes.  On se tient devant les paysages de mer de Georges Guye comme on est devant la mer, pratiquement immergé dans le paysage d’eau.  Les peintures d’Annick Pegouret sont comme des fenêtres à partir desquelles on contemple la mer, hublots de cabines, fenêtres ouvertes sur une mer peinte de mémoire,  réminiscence des visions que l’artiste a de certains bords de la mer Méditerranée où elle a longtemps vécu  ou parce qu’elle a fait des traversées en bateau qui l’ont marquée.


. Le travail sur la mémoire, inspire de façon similaire les peintures du feu.   L’été, le feu, et autres,  sont  des souvenirs de l’Estérel.  La mémoire impose ses images de manière sensible et fascinatoire, permettant à l’artiste de les représenter ce qui n’est pas sans lien avec les peintures des figures dans l’atelier. 


Les récentes peintures d’Annick Pegouret, comme celle intitulée Les femmes, le fleuve, arrivent à une synthèse des peintures de paysages et des figures, combinant présence réelle  du modèle croqué sur le vif et mémoire de lieux, réunissant hier et aujourd’hui, intérieur et extérieur, témoignant la synthèse à présent possible pour elle,  de divers parcours, de divers moments de vie qui ont correspondu à des nécessités de changer des choses, des ruptures qui ont demandé de trouver de nouvelles solutions pour continuer avec les nouvelles contraintes. Aujourd’hui, qu’Annick Pegouret  figure  une réalité travaillée par la mémoire et la vie.

Texte: Florence Laude, janvier 2013

Exposition Florence Laude / Annick Pegouret du mardi 22 janvier au samedi 26 janvier 2013. Vernissage 30 rue du Puits-Neuf, Aix-en-Provence, le mercredi 23 janvier à partir de 18 h 30. Galerie ouverte du mardi au samedi de 14 h 30 à 18 h 30, tél 04.42.96.23.67.

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