jeudi 16 août 2012

Denise Fernandez-Grundman, dessins et gravures

Atelier : Denise Fernandez-Grundman, rue des Guerriers à Aix-en-Provence
http://denise.fernandez.free.fr/
 
D’abord peintre et premier prix des écoles de peinture  de la ville de Paris en 1962,  Denise Fernandez-Grundman choisit le dessin et la gravure vers la fin des années quatre-vingts. Elle peint sa dernière toile en 1987 et se consacre alors au  dessin et presque en même temps, cherche des maîtres pour   se former à la gravure.    C’est  avec le taille-doucier Tienieck Kerevel,  à Marseille, qu’elle explore « le métier » qu’elle dit pratiquer de façon très traditionnelle quant à la technique, mais qu'elle a développé selon sa personnalité.  On perçoit dans cette façon de dire, le respect du maître, mais aussi le plaisir et la fierté de faire partie des gens de cet art.  Parmi toutes les techniques explorées, c’est la technique de la gravure à la pointe sèche qui lui correspond.  
 L’outil choisi par Denise Fernandez-Grundman, pour peindre, dessiner ou graver  m’apparaitra au  fil de la conversation, comme un « objet de sens ».  Le couteau pour peindre à l’huile, le burin et la pointe-sèche pour graver la plaque de cuivre, les crayons   utilisés du plus sec H, au plus gras,  HB, B, 2B… tenus assez haut pour donner de l’amplitude  au geste, un enchevêtrement tel un écheveau emmêlé, nerveux et broussailleux et pourtant, chaud comme un nid.  Peut-être y a-t-il eu chez elle la nécessité,  après avoir, pendant les premières années ( vingt-cinq ans tout de même), façonné la matière en couvrant la toile de peinture à l’huile au moyen d’un couteau, de l’inciser, de percer  la peau  symbolique formée par la peinture,   pour en extraire une nouvelle forme, un sens nouveau, en se consacrant presque uniquement au dessin de visages, qu’elle trace aujourd’hui sur le papier ou taille dans le métal.
photo dans l'atelier de l'artiste: Benjamin Fernandez

 
Mais revenons un instant à l’outil :  couteau, burin, pointe-sèche, crayons.  Son amie Françoise Lott, qui  l’a convaincue  d’accepter qu'elle rédige sa biographie (elle est en cours), a recueilli de Denise Fernandez-Grundman des confidences, elle écrit à propos de son œuvre peint que « l’emploi de couleurs posées en aplat, au couteau, (serait) comme pour se construire un mur derrière lequel elle pourrait s’abriter du monde ».  Pendant des années, la peinture est épaisse et lisse,  presque abstraite, point de vue  préférant des architectures bien structurées, maçonnées, le peintre peint la vie à l’extérieur depuis l’intérieur, à partir de sa fenêtre ouvrant sur le monde, mais depuis un espace protégé.  Puis la porte s’ouvre,  accueillant des figures, des scènes de rues,  le marché, les petits commerces des rues d’Aix, « Le soleil levant », « les pâtes fraîches » etc…,  petits commerces bien connus des aixois et toujours en activité.  Peu à peu, la peinture se fait moins lisse et les visages se précisent.  Dans la dernière période, la matière est striée de coups de couteau, annonçant le geste qui entaille la plaque de cuivre avec le burin ou la pointe-sèche, dans la gravure. D’ailleurs, Denise Fernandez-Grundman dit avoir arrêté la peinture quand l’envie d’un travail plus graphique s’est imposée. A la question, pourquoi le dessin ?  Elle répond, parce qu’elle aime le travail graphique, le trait ; le graphisme qui est fait pour retrouver la trace de ce qui a disparu.
 
Denise Fernandez-Grundman dessine et grave des visages, des personnes réelles qu’elle ne connaît pas la plupart du temps,  s’inspirant de photos, de l’actualité.  Quand je l’interroge sur la question de « l’intime », préparant l’exposition de dessins « Traits…intimes »,  pour le musée Arteum de Châteauneuf-le-Rouge, à la fin 2012, elle  me répond que tous ces visages sont intimes, qu’ils sortent tous d’elle, de ce qu’elle a vu, imaginé, et que leur représentation passe à travers sa main, dans cette manière si particulière qu’elle a de chercher le trait, de faire émerger le regard, l’expression d’une infinité de coups de crayon,  dans un dessin qu’elle monte peu à peu, d’abord avec un crayon sec,  qui laisse une trace plus claire, puis, en choisissant des crayons de plus en plus gras et de plus en plus « noirs », donnant de l’intensité à son dessin.   Lorsqu’elle a commencé à peindre, elle dessinait des personnages sans visage ; puis,  quand elle a eu un peu moins peur des gens, elle a commencé à peindre leurs traits de plus en plus précisément. Toujours des visages qui viennent d’ailleurs… comme sa famille dont les origines étrangères sont multiples.  Des amis, des admirateurs de son travail lui ont demandé de dessiner leur portrait, mais elle s’y refuse, ayant trop peur,  ce sont ses propres mots, « de massacrer les personnes », mais il n’est pas rare  qu’un dessin  d’imagination évoque, pour finir,  quelqu’un de son entourage ou un autoportrait !
"Quand la nuit tombe", Denise Fernandez-Grundman
 
Née à Paris d’un père juif ashkénaze polonais et d’une mère juive  sépharade d’Oran.   La famille de sa  mère, très pauvre, a émigré à Paris dans les années vingt, sa grand-mère et ses enfants ont quitté Oran pour Paris, à la mort de son grand-père, lors d’une épidémie de grippe espagnole.  Son père, arrêté sous l’occupation est mort  à Auschwitz.  Ses origines sont multiples et c’est cela qu’elle représente dans ses visages, sans que l’on puisse déterminer de quel pays, de quelle origine ils sont.  Quand Denise Fernandez-Grundman choisit de se consacrer exclusivement au dessin et à la gravure en taille directe, elle délaisse les sujets urbains, architecturaux, les espaces cloisonnés pour se consacrer aux visages : « Nino reviens ! », « Sans abris », « Plein le dos »,  « Leïla », « Atelier de lecture »,  « Esther », « Farida et Karine », « Dolores », «  Djoar »,  « Le sourire de Luis », sont  glanés parmi les titres de ses dessins et  gravures de portraits.  Des visages  expressifs,  entaillés de rides et de plis , noués par les milliers de fils  vibrants posés par la main, cheveux crépus et vaporeux se prolongeant en  peaux sombres et sculptées d’expressions d’une intensité fortes comme des destins.  Lors de l’exposition  rétrospective Histoire gravée à la Cité du Livre d’Aix-en-Provence l’été 2007, Raymond Jean écrivait pour le catalogue de l’exposition : « Denise F.G. dispose d’une étonnante aptitude à ouvrir les yeux sur la réalité d’un univers humain (j’allais dire : social, mais humain est d’une vérité plus simple) pluriel, où les âges, les conditions, les attitudes, les expressions, les origines, les métissages se croisent, selon une diversité que seules une justesse et une rapidité extrêmes du trait peuvent saisir… La rapidité, Denise l’obtient aujourd’hui  dans la suite de ses dessins à la mine de plomb ou de ses gravures à la pointe sèche dont la vocation semble être de saisir comme au vol d’autres figures, plus vibrantes, plus fugaces peut-être, parfois plus violentes aussi et comme épineuses, broussailleuses, où le tracé même du crayon sur le papier déploie des signes qui font trembler les chevelures (…)». 


Djoar, gravure, Denise Fernandez-Grundman, 2005

 
Ces visages qu’elle revendique représenter l’ailleurs, ont en commun un point de fraternité, j’allais écrire de reconnaissance (s’y reconnaît-elle ?).  Je me rappelle avoir vu il y a vraiment très longtemps, un film de Fassbinder, réalisé en 1970, sur un émigré marocain dont le titre  : Tous les autres s’appellent Ali  semblait rassembler dans une même identité, tous les étrangers,  (alors que le titre allemand, est Angst essen Seele auf , donc, littéralement : Peur dévorer âme), gommant l’individualité, par l’usage d'un prénom étiquette. Comme si tous les étrangers  avaient même prénom, même histoire. C’est nier leur être. Voilà qui est à reconquérir par l’image, par le dessin du visage, comme le fait  Denise Fernandez-Grundman,  ne dessinant pas seulement l’étranger, ni l’ailleurs pour l’ailleurs,  mais des personnes qui, comme les siens, sont venus d’ailleurs, ont dû s’exiler un jour parce qu’ils en avaient « Plein le dos » ( titre d’un dessin à la mine de plomb réalisé en 1992). Ses œuvres ont souvent pour titre  des prénoms, qui pour le coup lui sont intimes ; ainsi,  la gravure Djoar  (2005), représentant  le visage d’une très vieille femme porte le prénom de sa grand-mère.   Claudie Amado, amie de Denise Fernandez-Grundman écrit, elle aussi pour le catalogue de l'exposition à la Méjanes en 2007 : « Comment faire le deuil ? En peignant, en dessinant , puis en gravant des visages, des yeux.  Creuser, c’est tenter de tracer le portrait du père disparu. Graver, retrouver la trace par le trait (plus que par la peinture), user du noir et du blanc.  Le graphisme est fait pour retrouver la trace de l’absent.  La disparition peut laisser croire que cela n’existe pas, que cela n’aura pas lieu. »
Voyage, Denise Fernandez-Grundman 2000

Répéter, que les visages de Denise Fernandez-Grundman, qui ne sont pas des portraits, qu’elle dit peindre d’imagination, semblent émerger  du noir de l’encre, parmi les entrelacs de fils dénoués  qui l’aident à trouver le chemin de son histoire intime, de son père disparu. Ce visage du père (mais aussi d'autres visages) qui  semblait perdu dans un  labyrinthe  que la conscience ne peut aider à trouver, mais que la mémoire du  geste, comme une caresse fugitive et nerveuse sur le papier espère capter; qu’un coup de burin, qu’ une entaille dans la plaque de cuivre pourrait révéler au cours du processus lent et un peu aléatoire de l’encrage et du tirage.  Quand on a perdu, pour retrouver, on se  prend  toujours à espérer en un heureux  hasard, que l’on ne cesse de provoquer. 


Pour consulter la liste des expositions, se rendre sur le site de Denise Fernandez-Grundman, en cliquant ICI, puis  sur  "expositions".



2 commentaires:

pierre vallauri a dit…

pas trop le temps de lire en détail.
Mais l'enquête s'avére toujours aussi juste, me semble-t-il.

pierre vallauri a dit…

Je confirme après relecture la perception juste et précise (et précieuse) de cet "enchevêtrement" (c'était aussi le titre d'une belle exposition à ARTEUM musée d'art contemporain 2008)de traits, de lignes qui confine à la "manière noire" . Dessin "particulier" tout aussi intime quand bien même il nous parle constamment des autres.
Très heureux aussi que le champs plus strictement technique s'élargisse à la gravure puisque ce sera aussi le cas pour Fred Deux.