Mémé m’appelle . Comme d’habitude la conversation est consacrée aux nouvelles de l’univers proche, donc les proches, A., D., J. et H. qui est passé la voir dimanche au marché. Ce qu’elle a acheté, ce qu’elle a cuisiné, ce qu’elle a mangé. Ce marchand de fleurs chez qui elle achète chaque dimanche les fleurs pour mettre à la photo des siens défunts. Après ce tour d’horizon , elle m’apprend que A. va repartir en vacances au Brésil . Cette confidence en amène une autre, là où je veux en venir. Elle avait un oncle qui habitait La Plata à Rio de Janeiro , elle a encore l’adresse. Si A. pouvait aller voir si l’endroit existe encore .
C’était qui cet Oncle ? Le frère de ma mère . IL a déserté. Parti avant la guerre (de 14-18) , il ne s’est pas présenté à la mobilisation. Déserteur, il ne pouvait plus rentrer en France . Il paraît qu’il tenait un magasin de cycles qui marchait bien. Il devait avoir de quoi, il envoyait quelquefois de l’argent à ma mère ( elle était veuve avec deux enfants). Il avait même proposé que ma mère y envoie mon frère Simon, mais tu penses, ma mère, se séparer de son fils. Si loin ! Il aurait payé le billet. A pépé et à moi il l’a proposé aussi. On s’était même renseignés pour les billets qu’il promettait de payer. Mais il n’a jamais donné suite… Tu penses, ça faisait un gros montant quatre billets. Il écrivait, mais il était malade, il a dû mourir ensuite. Jean Baccelieri .
Autrefois j’achetais « nous Deux ». Un jour ils proposaient de retrouver les gens perdus de vue. J’ai écrit. Ils m’ont dit qu’il avait pris la nationalité américaine et qu’on ne pouvait , pour cette raison, rien entreprendre, rien savoir. Et ça s’est arrêté là. J’ai encore l’adresse.
Ma mère s’appelait Félicité. Félicité Baccelieri ; Elle avait un autre frère, Joseph. Il habitait Marseille et travaillait pour le PLM, avant on disait le « P-elle-aime » : Paris –Lyon-Marseille … Mais il est mort jeune. Malade. Quelle maladie ? Il était hydropique, il avait de l’eau dans le ventre, on lui faisait des ponctions. A quarante-huit ans. Voilà. Joseph.
Mémé, cette histoire je veux l’écrire. J’ai des photos, je ne te les ai jamais montrées ? Non. Tu sors la boîte, et la prochaine fois tu me les montres. J'entends sa voix qui vibre, émue malgré les années.
Elle l’appelle son oncle d’Amérique. Elle me dit il a pris la nationalité américaine. Brésilienne, Mémé, brésilienne. Mais c’est bien en Amérique ? Oui, en Amérique du Sud. La Plata- Rio de Janeiro – Brésil. Comme une branche poussée à mon arbre, par delà d'Atlantique.
2 commentaires:
Très beau texte. Une racine, plutôt qu'une branche, en fait.
Merci.
C'est une question de point de vue. Peut-on se sentir "enraciné" quand il n'y a pas de réalité tangible? Une sorte d'horizon nouveau se profile. Un occident vers lequel porter un autre regard. Une boîte ouverte et sitôt refermée: quelque chose existe sûrement de l'autre côté de l'Atlantique. Coupé. Autonome. On n'a plus de nouvelles. Pour qu'il y ait racine, il faut qu'il y ait lien. May be. Toute relation qui n'est pas nourrie se dessèche et meurt. May be
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