dimanche 27 octobre 2019

Kamel Khélif, "Même si c'est la nuit", signature le 19 juin 2019 dans la librairie TRANSIT à Marseille




Je me souviens de cette belle soirée du mois de juin, j'étais arrivée juste à temps dans la Librairie Transit, boulevard de la Libération à Marseille, pour écouter Kamel Khélif présenter Même si c'est la nuit, son ultime bande dessinée publiée aux éditions Otium. L'arrière salle de la librairie était bondée, il commentait les planches de sa bande dessinée.

Je me souviens avoir pensé que sa voix nous entraînait à contre-courant de son récit où le personnage, un dessinateur, quitte l'atelier pour déambuler dans les rues de Marseille.

Ecouter Kamel Khélif ce n'était, pas sortir de l'atelier pour rejoindre la nuit et la ville,  mais s'asseoir avec lui à sa table de travail et entendre sa voix intérieure guider l'écriture du  texte et sa main pour faire sortir  de l'ombre de la peinture étalée sur la feuille de papier glacé, des dessins aussi lumineux  que sombres. L'écouter c'était appréhender l'importance de la lecture de Mobydick de Melville, c'était comprendre l'architecture de son oeuvre, les liens entre ses livres, Homicide (1995), Ce Pays qui est le vôtre (2003), La jeune fille et la mort (2010), Premier hiver (2012), c'était parler de son amitié avec  Nabile Farès, c'était souligner dans le phrasé du texte ses liens avec la mélancolie vibrante du fado, c'était une relecture éclairante de la bande dessinée. 


C'était bien sa voix, au demeurant, qui lisait le texte dans la demi-nuit de la salle, éclairée par le rayonnement des dessins projetés sur le mur, modulant constamment l'intensité lumineuse.  Il devenait évident que Même si c'est la nuit est un conte de nuit, ou plutôt un livre écrit à contre-nuit, comme les récits de Shéhérazade, résistant par le pouvoir des mots, du verbe et du dessin à la violence du jour et de tout ce qu'il peut symboliser, en particulier l'affirmation de la puissance de certains hommes et d'un certain type de société.  Même si c'est la nuit  propose toutefois une alternative à la nuit, au désespoir, il ouvre une autre voie, celle de l'alternative, du  même si.  Le récit de Kamel Khélif compose avec tout ce qui constitue le merveilleux potentiel de la nuit, ses noirceurs, mais aussi  ses lumières,  les abîmes inquiétants qui resurgissent, les lueurs des enseignes d'un bar où l'on peut rencontrer d'autres comme soi qui ont une histoire même s'ils sont peu visibles. Cette nuit est celle de ceux qui ne dorment pas, qui  rêvent moins qu'ils ne sont hallucinés par les visions et la nostalgie qui les hantent parce qu'ils n'ont plus un lit pour les accueillir.  Pour exemple, cette scène forte du récit où le personnage rejoint la femme qu'il a aimée, elle est couchée dans son lit, mais ne l'invite pas à venir  s'allonger à son côté, pour reformer le couple, pour refermer la nuit, il est, au mieux, assis à côté d'elle, dans la position de celui qui veille, avant de repartir dans la nuit.

La musique qui accompagne l'album Même si c'est la nuit, est un fado poignant et vibrant, j'ai choisi la voix d'Amalia Rodrigus pour le faire entendre ici, je ne sais plus celui auquel Kamel Khélif a fait allusion, ce soir du mois de juin...


Amalia Rodrigues, Estranha forma de vida, 1965


La nuit est la dimension de ce récit qui commence à la fin d'une journée de travail du dessinateur, lorsqu'il quitte sa table à dessin, ferme la porte sur le désordre de l'atelier et la solitude de sa condition d'artiste pour rejoindre ceux qui ne dorment pas la nuit, l'underground d'une cité comme Marseille,  se faisant l'écho de ceux qui sont trop seuls, trop brisés, trop marginaux, les intranquilles. 

On peut retrouver un article que j'avais écrit à l'occasion de la parution de l'album, en avril 2019, ici, pour ne pas me répéter :
Il faut mentionner la très belle qualité des reproductions des peintures de Kamel Khélif et de la reliure, qui font du livre un très bel objet à lire et à collectionner.


Ce soir là, j'ai rencontré les  éditrices Mathilde Chèvre, des éditions Le Port a Jauni et Simona Gabrieli, les édition alifbata, toutes deux spécialisées dans l'éditions d'albums jeunesse et de bandes dessinées en langue arabe, à Marseille.  En 2013, Kamel Khélif avait co-publié, avec Jana Traboulsi, un récit double, L'autre visage & Cette blessure d'où je viens, aux éditions Le Port a jauni











Du 2 juin au 29 septembre, l'abbaye d'Auberive, Centre d'Art Contemporain proposait, à l'occasion de  l'exposition "Recueillir les histoires", autour des trois artistes, Cristine Guinamand, Kamel Khélif et Sam Le Rol, un accrochage des planches de m'album Même si c'est la nuit.
Voir le dossier de l'exposition dans le lien ci-dessous :
https://abbaye-auberive.com/wp-content/uploads/2019/05/DP-Recueillir-les-histoires.pdf

Réécoutez l'émission Le Réveil culturel de Tewif Hakem, sur France Culture,  qui recevait Kamel Khélif, en avril dernier: https://www.franceculture.fr/emissions/le-reveil-culturel/kamel-khelif-javais-envie-de-faire-un-livre-un-peu-comme-une-lettre-quon-envoie-a-des-amis

Certainement, Kamel Khélif sera l'invité d'autres manifestations au fil de l'année, il faut suivre l'actualité sur la page de son éditeur: https://www.facebook.com/EditionsOtium/



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