vendredi 3 novembre 2017

Claire Laude, "Errance blanche", photographie (2017)

Claire Laude, Photo "Errance Blanche", Arles Juillet 2017

Il y a des mots qui font naître des images et des images qui suggèrent des mots…

J’ai vu cette photo de Claire Laude, à Arles, à l’occasion des Rencontres Photographiques et de l’exposition « Errance Blanche », à l’étage de la maison qui accueillait FOTOHAUS / PARISBERLIN, 7 rue de la Roquette. On était au début de juillet 2017.


Une photo de dimension moyenne (à vue d’œil, 30 x 40 cm) tirée sur papier brillant avec une marge blanche, épinglée au mur, sans cadre, belle, esthétique, un monochrome blanc.  Le titre de la photo, éponyme à celui de l’exposition « Errance blanche », dit le mouvement, la durée et la couleur.  Errer, verbe d’action signifiant se promener sans but précis.  On oserait lui substituer vagabonder, hésiter… autant d’actions qui intègrent la perception d’une temporalité dilatée, ralentie, qui suggère l’état d’esprit dilettante du sujet de l’action. J’éprouvai pour ces raisons liées à sa définition, une certaine étrangeté à concevoir l’errance comme la répétition d’une forme géométrique aussi régulière que le rectangle… alors je me suis attardée sur cette photo.

La photo est le résultat d’une installation de Claire Laude, dans un squat proche Berlin, il s’agit donc d’un travail caché, d’une intervention « sauvage » dans un espace abandonné, promis à la destruction, qui sert peut-être d’abri provisoire d’ici là. Le lieu choisi est favorable au thème de la photo, empreint de mystère, relativement secret ou plutôt, secrètement investi par des SDF ou des taggeurs qui couvrent les murs d’inscriptions colorées, de signes et de signatures pour dire « moi, j’existe ! ». La photographe œuvre aussi en secret, elle choisit de recouvrir les murs, de les habiller de blanc pour mettre en scène sa photo. Ainsi, la perception « blanche » est le résultat d’un recouvrement de l’espace, d’une disparition du lieu d’origine et des signes vivants qu’il pouvait exhiber. 

Mais en recouvrant elle ne fait pas que cacher, elle donne autre chose à voir.  L’errance est rendue visible par une multiplication de strates, de couches faisant disparaître une réalité pour en imposer une autre. L’ « errance blanche » est non seulement un résultat photographique, mais une action qui s’inscrit dans un espace-temps, un projet de création qui n’est pas re-venir (venir en arrière) à la table rase, ni chercher l’espace vierge, mais recouvrit (tendre par-dessus) le réel et le temps.  Effacer, sans  gommer ni enlever, rajouter (venir par-dessus) en gardant la mémoire du passé, voilée. Traiter le plafond comme un mur, le mur comme un sol, opérer des glissements de matières et de sens, rendre le lieu illisible et inutile, tout à fait artificiel, en faire un objet d’art.  Cet habillage de l’espace par la main de l’artiste tient aussi du travail du peintre, puisque c’est avec des toiles et de la peinture que l’espace est transformé, littéralement changé d’apparence et de destination.

Le lieu photographié est une composition de toiles libérées de leur châssis et peintes en blanc. Les traces des châssis sont visibles, spectrales, elles attestent, si on en doutait, de leur provenance et de leur fonction première. La référence à l’univers du peintre est explicite.  Toutefois, la photographe s’en empare et les détourne vers son projet photographique, habiller le plafond de toiles  blanches, répéter le motif. Avec cette image, le travail du photographe rejoint le questionnement du peintre, comment exprimer dans deux dimensions, au format du cadre, un univers qui existe en trois ?  Pour cela Claire Laude joue, à la manière du peintre Kasimir Malévitch, à superposer des carrés blancs sur fond blanc, générant un espace monochrome. Jouant ton sur ton, le blanc sur blanc perturbe la perception de l’espace réel et lui substitue un espace mis en scène, à proprement parler, un espace artificiel.

Au théâtre, l’acteur qui porte un masque cache une réalité et son identité pour en créer d’autres aux effets cathartiques.  Cette photo est le résultat d’un espace théâtralisé qui vise à  troubler le spectateur, à avoir un effet sur lui. Si je regarde l’espace mis en scène, je vois le cadre de la porte qui est une ouverture qui permet entrées et sorties. Ici, le cadre de la porte, bien visible, signale une échappée, un point de fuite aménagés, possibles.  Mais, l’issue est condamnée par une toile, tout ramène l’œil et la conscience du spectateur à la dimension de l’espace photographique.  Errer, ici, c’est supprimer la possibilité d’une ligne de fuite, c’est ignorer (temporairement) un ailleurs, suspendre ce qui pro-jette (se jette en avant). C’est se heurter au plan du mur, se confronter à la répétition (répétition qui s’entend d’ailleurs dans l’assonance « errance blanche » du titre), c’est être contenu dans l’image, ramené dans la dimension du champ photographique, à cette chambre claire (la chambre de Claire), par opposition avec la chambre noire qui est le lieu du développement de la photographie argentique1, antre du photographe, où la métamorphose s’accomplit.

Florence Laude

Post-scriptum : les photos que Claire Laude réalise sur les lieux précis, prennent en compte leur dimension historique. C’est un aspect  que je n’ai pas beaucoup abordé ici, mais en regardant comment à elle avait travaillé au cours une résidence à Kaliningrad, on en percevra l’importance. Lire ci-dessous le projet de travail à Kaliningrad  en janvier 2017:

1.    1 -   En mémoire, le livre de Roland Barthes, La chambre claire. Notes sur la photographie, Gallimard, 1980
Pour compléter, le site de Claire Laude:
 Des infos sur l'expo "Errance Blanche" d'Arles:




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