Nadar ( Antoine Tournachon), "Pierrot photographe" |
Un jour.
Un jour, bientôt peut-être.
Un jour j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers.
Avec la sorte de courage qu’il faut pour être rien et rien que rien, je lâcherai ce qui paraissait m’être indissolublement proche.
Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.
D’un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînement « de fil en aiguille ».
Vidé de l’abcès d’être quelqu’un, je boirai à nouveau l’espace nourricier.
A coup de ridicules, de déchéances (qu’est-ce que la déchéance ?), par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j’expulserai de moi la forme qu’on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes, mes semblables.
Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une intense trouille.
Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m’avait fait déserter.
Anéanti quant à la hauteur, quant à l’estime.
Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité.
clown, abattant dans la risée, dans le grotesque, dans l’esclaffement, le sens que contre toute lumière je m’étais fait de mon importance.
Je plongerai.
Sans bourse dans l’infini-esprit sous-jacent ouvert
à tous
ouvert à moi-même à une nouvelle et incroyable rosée
à force d’être nul
et ras…
et risible…
Henri Michaux, « Peintures » (1939,) in L’espace du dedans, Poésie / Gallimard, 1966
«Depuis le romantisme, le bouffon, le saltimbanque et le clown, ont été les images hyberboliques et volontairement déformantes que les artistes se sont plu à donner d'eux-mêmes et de la condition même de l'art. Il s'agit là d'un autoportrait travesti, dont la portée ne se limite pas à la caricature sarcastique ou douloureuse. Une attitude si constamment répétée, si obstinément réinventée à travers trois ou quatre générations requiert l'attention. Le jeu ironique a la valeur d'une interprétation de soi par soi : c'est une épiphanie dérisoire de l'art et de l'artiste. La critique de l'honorabilité bourgeoise s'y double d'une autocritique dirigée contre la vocation "esthétique" elle-même. Nous devons y reconnaître une des composantes caractéristiques de la "modernité", depuis un peu plus d'une centaine d'années.»
Un jour, bientôt peut-être.
Un jour j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers.
Avec la sorte de courage qu’il faut pour être rien et rien que rien, je lâcherai ce qui paraissait m’être indissolublement proche.
Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.
D’un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînement « de fil en aiguille ».
Vidé de l’abcès d’être quelqu’un, je boirai à nouveau l’espace nourricier.
A coup de ridicules, de déchéances (qu’est-ce que la déchéance ?), par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j’expulserai de moi la forme qu’on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes, mes semblables.
Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une intense trouille.
Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m’avait fait déserter.
Anéanti quant à la hauteur, quant à l’estime.
Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité.
clown, abattant dans la risée, dans le grotesque, dans l’esclaffement, le sens que contre toute lumière je m’étais fait de mon importance.
Je plongerai.
Sans bourse dans l’infini-esprit sous-jacent ouvert
à tous
ouvert à moi-même à une nouvelle et incroyable rosée
à force d’être nul
et ras…
et risible…
Henri Michaux, « Peintures » (1939,) in L’espace du dedans, Poésie / Gallimard, 1966
Jean Starobinski, Portrait de l'artiste en saltimbanque, 2004.
«Depuis le romantisme, le bouffon, le saltimbanque et le clown, ont été les images hyberboliques et volontairement déformantes que les artistes se sont plu à donner d'eux-mêmes et de la condition même de l'art. Il s'agit là d'un autoportrait travesti, dont la portée ne se limite pas à la caricature sarcastique ou douloureuse. Une attitude si constamment répétée, si obstinément réinventée à travers trois ou quatre générations requiert l'attention. Le jeu ironique a la valeur d'une interprétation de soi par soi : c'est une épiphanie dérisoire de l'art et de l'artiste. La critique de l'honorabilité bourgeoise s'y double d'une autocritique dirigée contre la vocation "esthétique" elle-même. Nous devons y reconnaître une des composantes caractéristiques de la "modernité", depuis un peu plus d'une centaine d'années.»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire