"Origine", le carton d'invitation reçu quelques temps avant l'exposition des peintures de Raymond Galle, de la plus grande sobriété, donnant le titre sans un référent visuel (la reproduction d'une des oeuvres, par exemple), n'apportait aucune réponse aux questions qu'il ne manquait pas de susciter ... En absence d'image, mon attention se reporta toute sur le mot et j'associai la blancheur du bristol à la "tabula rasa", mais, dans ce cas, qu'est-ce que peindre le "rien" ou à la rigueur, le "presque rien", le début d'un quelque chose ? Fallait-il comprendre que l'origine est ce qui peut s'exposer mais, pas se dévoiler sans cérémonie ?
Je connais le travail de Raymond Galle depuis plusieurs années, il a exploré le végétal, avec entre autres, "Exubérance Végétale" et "Sous-bois", le minéral à plusieurs reprises et on se souvient de "Je voudrais devenir pierre" ... Le titre "Origine", ne semblait pas a priori annoncer l'exploration du végétal ou du minéral. Je voulais deviner une dimension autobiographique, une exploration liée aux premiers moments, aux racines ... mais j'étais dans le vague, il faut l'avouer. J'arrivai donc, ce soir, au vernissage de l'exposition remplie de curiosité.
Dans la grande salle qui nous accueille, on découvre des toiles dans diverses teintes de gris sur lesquelles sont représentées des verticales noires, souvent alignées. On y reconnaît des piquets de bois se reflétant parfois dans un plan d'eau formant miroir, comme on en trouve en Camargue. Ils servent à retenir les sols. Dans les trois salles de la galerie, les toiles explorent la même thématique travaillée jusqu'au point de perdre les repères avec le réel ( un paysage) qui est son origine. La toile ou les grandes surfaces de papier affiche de récupération (support de prédilection de Raymond Galle),
sont un espace peint, où se joue le travail de la peinture, de la couleur et de la
matière qui est la réalité matérielle que l'on regarde. Le paysage qui est à l'origine de la peinture n'a résolument aucune réalité, ici. Ceci n'est pas un marais camarguais.
La technique de peinture de Raymond Galle procède d'une succession de mises à distance et d'effacement du réel dont il s'inspire, qu'il photographie. Le spectateur est confronté à une peinture qui renvoie à l'espace peint lui-même et non à un espace au-delà. Il n'y a qu'à regarder, par exemple, l'alignement de plusieurs toiles, pour voir qu'elles renvoient l'une à l'autre bien plus qu' à un paysage naturel. Les traces noires, semblent une écriture, une architecture, une phrase qui structure l'espace en verticales, horizontales et obliques diverses prenant parfois la tangente pour mieux dessiner une courbe . L'espace est un plan coloré où les gris ne sont jamais ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait autres, même si le peintre tend certains gris jusqu'à l'extrême du blanc ou du bistre.
Mais, se pose la question du titre, puisque l'exposition rassemble toutes ces oeuvres sous le nom "Origine". Pour qui a lu
Delta, roman autobiographique écrit par Raymond Galle, imprimé en 2010, le rapprochement entre les peintures exposées et son origine familiale s'impose.
Delta, le titre du roman, fait référence au delta du Rhône. "Origine", titre de l'exposition, annonce alors un travail en lien avec l'origine du peintre, ses racines (mais peut-on parler de "racines" dans un pays où le sol n'est pas assez consistant pour retenir la terre, encore moins la végétation? Que dire des hommes, alors? Est-ce un pays où l'homme peut s'enraciner?) ou son berceau. Raymond Galle est issu d'une famille d'ouvriers de Port-Saint-Louis-du-Rhône et de Salin de Giraud, il a grandi dans les paysages de Camargue, étendues de marais salants mêlant terre, sable et eau salée à perte de vue. Grands rectangles plats comme d'immenses toiles absorbant la couleur des ciels, cousus de piquets de bois noircis par la brûlure du soleil et du sel dont les pointes retiennent un sol inconsistant qui ne pense qu'à fuir, à partir, voilà les paysages de l'enfance de l'artiste. Raymond Galle dit de la Camargue que c'est un espace tellement sauvage que l'on ne peut pas songer à le rejoindre ou à y revenir, qu'il est si rude qu'on cherche à en sortir pour s'en éloigner.
Raymond Galle parle toutefois de la Camargue comme un espace lié à l'Origine de la vie, un lieu dont on peut se figurer qu'il a été le berceau de l'humanité, tant il ressemble à ce qu'a pu être le monde à son origine, une immense étendue d'eau, sans réelle consistance, mais propice à la naissance de la vie et dont on s'extrait une fois pour toutes.
Dans cette exposition, l'intérêt pour le végétal et le minéral sont conjugués. Mais, le végétal est ici réduit à l'état de bois mort, taillé et fonctionnel. Le minéral est quant à lui réduit à sa plus petite unité, le grain de sable. C'est l'élément "eau" qui émerge et devient la matrice de la peinture.
On peut dire, alors, que les peintures de Raymond Galle jouent sans cesse entre l'écart et l'appartenance à un monde, une catégorie, un genre. On peut considérer en effet que ce que nous voyons est de l'eau, du sable, du bois et que l'artiste saisit dans le paysage une installation éphémère qui est du Land-Art, mais on s'en écarte puisque qu'il est question ici de peinture et de représentation subjective. Le Land-Art fait oeuvre in situ, et, pour pallier à l'éphémère durée de l'installation, est souvent photographié. Ici, la peinture de Raymond Galle y fait songer, mais ce que nous avons sous les yeux est autre chose. Les piquets sont plantés de main d'homme non pour faire oeuvre, mais pour une fonction précise, retenir la terre. Le piquet planté qui ne fleurira jamais agit pourtant comme une racine dans le sol qu'il sert à fixer.
A l'origine, on a le trait noir qui se dresse hors de la surface grise, il ne fait pas corps avec le fond, il s'en détache, il semble opposer sa verticalité à l'horizontalité de la surface suggérée par le rectangle de la toile orienté selon le format paysage. Cette petite unité rebelle pointe hors de la masse, figurant l'identité (différence) naissante.Tous ces piquets côte à côte me font penser au un plus un, plus un, plus un, un pas après l'autre, l'humanité s'arrache à la soupe originelle et avance vers la terre ferme, on dirait une procession en marche depuis la nuit des temps...
L'esthétique de l'oeuvre peinte ici tend vers le minimalisme, elle évoque davantage le squelette que la chair vivante. Il semble dès lors paradoxal de songer que l'origine de la vie aurait pu s'extraire de ces paysages rugueux et âpres, sauf à en être expulsée sans retour possible.
Je tiens à m'excuser pour la mauvaise qualité des photos, je ne prétends pas photographier les oeuvres, mais montrer un référent qui illustre mon propos et surtout donnera envie d'aller les voir en vrai... déplacez-vous !
On visite l'exposition du jeudi au dimanche de 16h à 19h, jusqu'au 24 novembre
Les Lamberts
200rd10
13126 Vauvenargues
04 42 24 98 63
200rd10@free.fr
site de Raymond Galle
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