J’ai profité d’un court séjour à Briançon pour visiter
l’exposition d’été inaugurée le 5
juillet, ouverte jusqu’au 14 septembre,
regroupant une belle quantité d’oeuvres de trois artistes Robert Blanc, Yvan
Daumas et Pascal Verbena. Le hasard a
fait que j’arrive au centre d’art alors même que Pascal Verbena accompagnait
des amis collectionneurs. J’ai ainsi bénéficié d’une visite guidée en sa présence.
Pascal Verbena habite une partie de l’année aux Vigneaux dans la vallée de
Vallouise, il connaît bien Julie Arnal, la conservatrice du Centre d’Art
Contemporain de Briançon. Il a tenu à partager cette exposition avec deux amis,
Yvan Daumas, marseillais comme lui, qu’il connaît de longue date et Robert
Blanc qu’il connaît un peu moins, mais dont il se sent artistiquement
proche : « Blanc à Aix, Daumas et moi-même à Marseille, créons en
silence. Tous trois avons une longue carrière derrière nous. Nous avons connu
la bohème et les lendemains incertains, oeuvrant dans des ateliers inconfortables
sans jamais perdre le désir de création et la volonté de le partager avec les
autres ».
Le Centre d’Art Contemporain de Briançon se situe en plein
cœur de la cité Vauban sur la Place
d’Armes, aux deux tiers de la
Gargouille, sur la droite quand on entreprend
la descente de cette rue bien pittoresque. On entre dans une maison ancienne entièrement
rénovée dans un style très moderne, les passerelles et escaliers métalliques
allègent l’espace; des verrières apportent
un éclairage naturel. L’exposition est visible tous les jours, sauf
les lundis, de 15 heures à 19 heures, gratuitement. Le CAC est dévolu à des expositions d’artistes
contemporains. Le bel espace
d’exposition permet aux trois artistes de montrer un bon nombre de pièces,
permettant presque une rétrospective de leur œuvre sur plusieurs décennies
jusqu’ à l’année 2014.
Robert Blanc, dessine à l’encre, au pinceau très fin, sur
des feuilles de papier où il a tracé puis découpé les figures fluides des Grandes Déesses ou des Anges.
A l’intérieur des formes souples qui figurent parfois de façon plus
évidente des corps, il dessine en noir et blanc des mondes peuplés, couples des
origines du monde, cheminant en des sortes de processions dans lesquelles on
croit reconnaître des danses rituelles. La mise en relief des dessins sur des
caissons épousant parfaitement leur forme, est un travail minutieux, réalisé
par Robert Blanc lui-même, transformant certains dessins en sculptures murales.
Parmi les œuvres exposées au CAC de
Briançon, on trouve aussi Une grande
Déesse et des petites figures de Couples
de Ciel et de Terre de la grosseur d’une pomme de pin, façonnées et gravées
de façon très subtile, dans du bois.
La
fluidité des formes, les passages de zones dessinées d’un noir dense à force de
croiser ou de superposer les traits de pinceau, à des espaces plus allégés et
aériens, évoquent l’éternel mouvement des choses du monde, la fin (chaos) et
son recommencement ( le vide de la page laissée presque blanche), les cycles de
la vie…
Les
grands dessins sur papier, d’Yvan Daumas, déploient dans l’élan de lignes
vivement tracées des enchevêtrements de visages et de corps humains, que
côtoient des formes plus animales ou végétales.
Vladimir Biaggi écrit « Daumas tente, à sa manière, de régler ses
comptes avec la mort et la folie, qui n’en font jamais qu’à leur tête ».
Une suite de dessins de plus petit format (40 x 40 cm),
répondant au titre Mangia Caca,
montre des corps d’animaux à quatre pattes supportant des têtes qui ont une apparence plus humaine, au bas des
pattes, les sabots attendus sont parfois remplacés par des roues, (comme
les animaux de bois montés sur roulettes
que les enfants traînent derrière eux pour jouer). Ces dessins sont souvent
accompagnés de crânes qui renvoient à la tradition picturale des vanités :
« memento mori » ( Souviens-toi
que tu es mortel). De quelle
humanité l’animal peut-il se prévaloir et de quelle bestialité l’homme est-il
en souffrance ? Le grand bestiaire
d’Yvan Daumas semble écorcher nos certitudes humaines dans ces grandes fables
dessinées.
Pascal
Verbena présente un ensemble de boîtes construites par assemblage de morceaux
de bois de récupération, bois flottés, bois de caisses sans valeur propre, mais
qui ont été choisis, peut-être pour une raison connue de l’artiste. Il expose aussi des dessins sur panneaux de bois
(parfois présentés en triptyques), des ardoises de récupération et des pierres gravées, enchâssées dans des cadres de bois,
ainsi que des dessins sur papier. Alors qu’il me présentait l’exposition, il
était désireux de souligner la diversité de ses pratiques, diversité qui, on le
devine, dépend directement de
l’intention qui préside à l’instant où la création se décide.
Ses boîtes souvent conçues comme de petites armoires ou
tabernacles, sont volontairement
complexes. Si je pense à l’armoire, c’est le sonnet de Rimbaud,
« Le Buffet » ( Les Cahiers de
Douai, 1870) qui fait écho : « -C’est là qu’on trouverait
les médaillons, les mèches / De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les
fleurs sèches / Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits / -Ô buffet du
vieux temps, tu sais bien des histoire, / Et tu voudrais conter des contes, et
tu bruis / Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires. »
L’armoire ou le buffet sont une référence
plus féminine de la transmission de la parole (conte) et de l’histoire intime
ou familiale, telles que les suggère Rimbaud.
Le tabernacle quant à lui, renvoie
à une dimension mystique et sacrée, dépositaire des Tables de la Loi, dans la
religion hébraïque ou destiné à conserver l’eucharistie dans le chœur des
églises chrétiennes.
Quoiqu’il en soit, les boîtes de Pascal Verbena donnent la certitude de contenir un secret
ingénieusement dissimulé à la vue. Elles
invitent à ce qu’on les touche, qu’on les palpe, qu’on s’y intéresse de près
pour comprendre et / ou dé-c-ouvrir
un mécanisme intime qui permettra de trouver la clé puis le secret. La
dissimulation et l’ouverture qui invitent le regardeur à transgresser la distance (rupture) souvent imposée
entre l’œil et l’œuvre (surtout dans l'espace muséal), participent d’une
poésie de la correspondance entre le
monde matériel et spirituel. Les titres donnés par l’artiste, « Leurre »,
« Géminée », « Le yeux de Sainte Lucie », et caetera … disent
les chemins qui accompagnent la création comme ils suggèrent aussi des chemins
à explorer.
Un dessin sur bois formant un triptyque, « La Pachamama »
( déesse terre-mère dans la culture des Indiens d’Amérique du Sud) représente la
Déesse cheminant d’un pas ample et décidé, un bras levé retenant au bout d’un
fil, une forme qui peut être vue comme un oiseau ou un soleil. La figure de la
Déesse est encadrée de deux
panneaux suggérant des formes imbriquées,
plus animales et végétales, évoquant l’apparition de la vie aquatique.
Il est significatif que Pascal Verbena ait choisi de
représenter la Déesse en marche, tellement, cette notion de cheminement, de
parcours, de progression linéaire jouant avec le temps, l’espace et le sol sur
lequel le pied prend appui me semble recouper certaines dimensions essentielles de ses
œuvres. Oeuvres ancrées dans une
réalité concrète, tangible, charnue et sensuelle, qu’il métamorphose par le
travail de la main ( manufacture) et habite
de ses souvenirs et de son imaginaire, comme le corps contient l’esprit et
comme l’âme donne souffle au corps.
Exposition à visiter jusqu’au 14 septembre au Centre d’Art
Contemporain de Briançon, Place d’Armes cité Vauban, du mardi au dimanche, de
15 heures à 19heures, entrée libre.
Téléphone : 02 92 20 33 14.