Il y a quelques mois, j'avais publié des photos du Cameroun que mon amie Florence V. m'avait envoyées et qu'elle commentait. Cette année, elle enseigne et vit à Addis Abeba en Ethiopie et elle vient de me faire cadeau de ces photos prises au Mozambique. La sélection qu'elle me fait parvenir a tout de suite éveillé en moi quelques réflexions. On y voit principalement des peintures murales urbaines. Je suis frappée par leur côté utilitaire, mais aussi par leur intérêt plastique et esthétique. Je suis par ailleurs bien consciente que la "lecture" que je ferai de ces fresques vient de ce que je ne suis pas sur place et que je n'ai pas à entrer dans les magasins pour profiter de ce qu'ils offrent. C'est la distance du regard qui parlera ainsi.
Ces devantures de magasins ne sont pas couvertes d'articles réels exposés à la vue des passants et d'éventuels clients que l'on souhaiterait tenter. Rien de comparable avec un souk. Non, les objets à vendre ( que l'on suppose se trouver à l'intérieur) sont représentés, peints, composant de gigantesques fresques murales. On a remplacé le réel par sa représentation. Est-ce parce que le réel est trop rare ? Que nous disent ces dessins? Doit-on les lire comme le "Ceci n'est pas une pipe", de René Magritte?
René Magritte, "Ceci n'est pas une pipe" |
Je n'ai pas de réponse. Mais encore une question. En voyant cette
autre peinture, je me demande si l'artiste T. Chilavi ignore vraiment
tout d'Andy Warhol et des "32 boîtes de Campbell's tomato soup" ? Une société de consommation et de tentation au pouvoir d'achat réduit, qui n'offre et ne permet pas dans la réalité, tous les plaisirs qu'elle affiche. Une question sur notre relation au monde et à la consommation ... L'uniformisation des comportements et des cultures depuis la mondialisation ? L'ailleurs existe-t-il encore et de quelle manière ? Certes, ici la sauce tomate s'appelle "Vega", mais c'est de la sauce tomate.... même chose pour le Ketchup et la mayonnaise, sans parler même de leur conditionnement ( codes de formes, de couleurs, de graphismes). Où-suis-je? Au Mozambique?
Andy Warhol, "32 Campbell's tomato soup", 1962
L'esthétique de la représentation des objets, la qualité du dessin, la stylisation des formes, les couleurs réalistes et le choix d'une échelle pour la représentation de la chose dans des proportions non réalistes, valent tout autant pour faire de la publicité que pour montrer un parti pris d'artiste et une liberté résolue par rapport au modèle.
Le dessin, les dessins, compose(nt), à mes yeux des fresques publicitaires mais aussi de grandes oeuvres dignes d'un Diego de Rivera ou d'un Jean-Michel Basquiat.
Diego de Rivera "Le Chant Général", 1950
Jean-Michel Basquiat, "Andy Bananas", 1984
Jean-Michel Basquiat, " Set World Record at Phillips"
Je les regarde en sachant que toute représentation du réel n'est pas le réel et véhicule tout un réseau de sensations, de discours, de propagande, de critique et de dialogue qui fait d'elle une oeuvre poétique au sens fort du terme. Que me dit ce double visage de femme africaine peint dans deux médaillons, à part me soutenir que le riz que l'on vend ici est de qualité? Me parle-t-on de riz ou de femmes ou de portraits ? Que me dit cette devanture peinte en jaune vif sur laquelle sont représentées des pièces mécaniques, est-ce par souci pédagogique, un affichage encyclopédique des objets, des savoirs, des techniques? Est-ce pour dire que tout cela n'est que mirage, rêve de consommation? Est-ce seulement un imagier naïf ? Je ne peux simplifier...
L'image me semble encore montrer ici qu'elle est toujours plus polysémique que la réalité du monde qu'elle commente.
P.S.: Merci à Florence V. pour les photos.
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