photomontage, f. laude
La sortie en vélo de ce matin n'avait a priori rien d'extravagant. Cet itinéraire, la Cride, est celui que j'ai dû parcourir le plus souvent, il m'a longtemps servi de "parcours étalon" quand j'ai commencé à rouler, pour juger des progrès accomplis. IL est encore celui des jours où le temps est compté, où l'inspiration manque. Un peu plus de quarante kilomètres et un enchaînement de difficultés et de plages de récupération donnant du rythme à la balade et la sensation de s'être dépensé. On monte en général depuis Aix, jusqu'au Village du Soleil sur le plateau de Puyricard, où on trouve la petite route de Rognes, à gauche à la fourche de Ganay. Un peu avant le village de Rognes, à hauteur d'un lieu-dit Rimbaud, on prend à droite le petit col sur la D15 vers le Puy-Sainte-Réparade et avant d'y arriver, on tourne encore une fois à droite, à hauteur du canal de Provence, pour rejoindre Puyricard. Là, commence la montée du dernier du col que l'on appelle familièrement la Cride, bien redressé, lacé sur deux épingles, auquel il est toujours intéressant de se jauger. On ne s'y ennuie jamais, c'est l'épreuve de la sortie, sa raison d'être. Mais ce matin j'avais proposé à A., compagnon de vélo, de prendre les choses à rebours et de tourner dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Ce choix n'est pas sans conséquence, puisqu'il a le privilège d'inverser les efforts du cycliste. Sous cet angle, les montées deviennent des descentes et les descentes font transpirer! Au final, on a la sensation d'une sortie plutôt facile en ayant pourtant couvert le même dénivelé. En dévalant les épingles de la Cride, j'ai pensé que j'aimais cette inversion, glisser sur la pente était une belle gratification des efforts de toutes les fois où on a tiré la langue. Il y a avantage à changer de temps à autre son point de vue, telle chose dont on se fait des montagnes demanderait qu'on attrape le problème à l'envers, il nous semblerait sans doute bien moins insurmontable, puisque contenant cette part facile. Cela confirme ce sentiment que j'ai parfois, qu'à force d'habitude, nous attribuons aux choses des qualités qui dépendent davantage de nos impressions que de leurs qualités propres. Alors, combien j'aime ces petites aventures qui dérangent mes habitudes.
Et si un jour je devais me retrouver, bloc ou forteresse, femme d'argile durcie au feu des gorgées amères de la vie, je voudrais me prendre les pieds dans des racines, dévaler la pente, me vautrer et briser la gangue dans laquelle j'aurais mis mon coeur au repos, mort trop tôt d'avoir eu peur d'aimer et d'avoir renoncé, camisole de doutes enserrant mes bras, liant les pieds qui avancent incertains, lestés du poids des morts. Le soleil éclaire quand bien même le deuil.