mercredi 14 septembre 2011

Heribert Maria Staub

Juillet 2011, Visite de l’atelier du sculpteur Heribert Maria Staub. Sa maison , un bout du monde - à peine un relief dans la plaine camarguaise où le chemin de terre s’est durablement enfoncé .



Il y a dix-sept ans le sculpteur s’est installé dans cette maison prêtée par Jean Paul Capitani, directeur des éditions Actes Sud qui, en 2005, dans la chapelle du Méjan , et avec l’Association du Méjan, organisaient l’exposition tête à tête*. La présence de l’artiste Allemand à Arles ne doit rien à l’attrait de la lumière du sud comme ce fut le cas pour Van Gogh. Favorisée plutôt par le soutien amical du directeur d’Actes Sud et la jouissance de cette maison dans laquelle il a pu installer un bel atelier. On peut vivre à un endroit et appartenir à un autre. Allemand par ses goûts, ses études, ses attaches, Heribert Maria Staub passe chaque année plusieurs mois à Cologne ou à Prague pour retrouver les artistes dont il se sent proche - ainsi, n’est-il pas dans la sphère arlésienne, un artiste parmi les artistes de la région. Ici, il vit et crée dans une relative solitude.

Ce matin, même les taureaux noirs et les chevaux blancs annoncés ont déserté les pacages alentour. Rien ne bouge. Ligne d’horizon très basse dégageant un grand ciel bleu traversé d’oiseaux. La nature dans sa forte présence évacue l’homme ramenant à la contemplation de la terre, de l’eau, de l’animal, de l’air . Rien pour s’en distraire, tout s’y rapporte. L’absence d’Heribert Maria Staub, hospitalisé, accroît la concentration des impressions, il n’est pas là pour témoigner, ce sont ses œuvres, le lieu élu pour vivre et créer, qui concentrent les impressions. Le silence relatif durant la visite me trouble, la présence du lieu est d’autant plus parlante que l’hôte est absent.Ajouter une imageUne amie du sculpteur, Doris Salomon nous accompagne, ouvre les portes , éclaire les questions. Dans la voiture, au moment où le rétroviseur nous laissait entrevoir le nuage de poussières que nous soulevions comme un voile vaporeux, elle m’a confié que Staub signifie poussière. Le sourire me vient en découvrant dans l’atelier les têtes , les corps et le bestiaire sculptés et je suppute une volonté malicieuse du sculpteur de contrarier cette métaphore de l’existence humaine - tu es poussière et tu redeviendras poussière (Moïse). La sculpture témoignera de l’être qui a été, bloc de terre façonné puis coulé en plâtre dans l’attente du bronze. Mais bientôt une autre perception du visible s’impose dans la grande remise bâtie en galets posés en épis attenante à la maison, l’atelier. Aucune fenêtre, mais la béance des deux vantaux de bois et quelques tuiles de verre. Le long des murs des étagères courent sur trois niveaux. Là, une incroyable quantité de têtes sculptées, quelques bustes et devant chacun une étiquette portant l’identité , en lettres majuscules : Kafka, James Joyce, Louis-Ferdinand Céline, Samuel Beckett , Kundera, Rainer Maria Rilke, Virginia Wolf Brecht, Flaubert, Einstein, Lénine, Vincent Van Gogh, Beethoven, Stravinski, Bach, Malher, Gottlieb Benn, Grock, philosophes (plusieurs sculptures y sont consacrées) ,Bruckner, Norbert Wiener, Jean-Paul II, Nietzsche, Antonin Artaud, Jean Dubuffet, Léonard de Vinci, Mozart, Chopin, Francis Bacon, Victor Hugo , Dionysos, Freud, etc … Une bibliothèque de portraits qui nous regardent et nous sidèrent. Ce qu’on appelle les « grands hommes », références culturelles de l’artiste qui pour autant ne gratifie ni ne flatte ses modèles. On retrouve le questionnement sur le sens de la vie, questionnement éternel partagé avec le peintre Gérard Eppelé : d’où vient l’homme, qui est-il, à quoi est-il destiné ? Je suis frappée par la rondeur des têtes qui pourraient rouler comme des boules, sans buste, le plus souvent sans cou, ce sont des crânes. Un instant la vision de têtes décapitées s’impose. On est bien dans un tête à tête avec des hommes et des femmes aux destins exceptionnels, pourtant simples mortels et tous ces crânes semblent tout à coup figurer autant de Vanités, dans toute la complexité symbolique de ces œuvres. Comment rendre compte du sentiment de désordre organisé, d’unité éclatée, d’hommages à ces figures tutélaires réduites à l’essentiel , « un bloc de pensée », comme l’écrit Helena Staub dans le livre tête à tête publié en 2005 aux éditions Actes Sud, qui parle admirablement du travail de l’artiste, si ce n’est dans la proximité de l’esprit baroque .

Dans la partie gauche de la remise, une voiture de sport décapotable de couleur sombre recouverte d’une bâche grise. Des réalités paradoxales se côtoient, solitude, poussière, modestie, luxe d’une voiture faite pour être vue, pratiquement inutile et inutilisable par les chemins qui traversent la plaine camarguaise où il habite.

Dans la partie droite de l’atelier, le mur du fond est occupé par un établi. Nombreux objets et outils nécessaires, utiles , fonctionnels. On est dans l’espace du travail, de l’accomplissement. Dans l’espace au centre, sur des stèles, des sculptures de plus grand format sont exposées, comme mises en scène, pourtant certaines sont encore emmaillotées dans le carton et la cellophane à bulles servant à les protéger lors du transport de la dernière exposition, Triptyque, à Angers en octobre 2009 pour la galerie praguoise Millennium. Ces sculptures ont pour titres, oiseau, taureau, coq , Pégase, greek amazone, chute et encore chute amazone, etc... Dans ce bestiaire de taureaux, de chevaux et d’oiseaux , le terroir, le visible et sensible pour ne pas dire le réel, la Camargue, la terre, l’eau, le ciel et l’animal.


On est dans le plein, le solide, ce qui tient du corps à corps - à voir la taille des sculptures, dans l’ouverture de deux bras faits pour contenir - enlacer la terre à façonner. Parfois des masses plus que des formes, la densité du volume. On ne sait dire si elles contiennent ou libèrent une force intérieure qui semble sourdre des accidents de la surface où le galbe lissé se rompt, blessure d’un coup de glaive porté, d’une estocade laissant échapper la force avec la vie. De quels combats témoignent-elles ? Le corps amputé d’un taureau, d’un cheval, d’une amazone, ces corps comme des troncs vivants ébranchés tordus par la force tragique d’une destinée volontaire à s’extraire elle-même du bloc, à le tordre, à le briser. Comme s’il craquait sous l’effet de quelque pression intérieure, force brute ou sauvage, transcendance de toute l’âme contenue.

Ce sont pour la plupart des figures mythologiques. Et, le cheval blanc est un Pégase, et le taureau noir un minotaure ou un taureau ailé, et la femme une amazone. Une large place est donnée aux sculptures représentant des oiseaux. Heribert Maria Staub a-t-il regardé les goélands, les mouettes, les sternes, pluviers, hérons, aigrettes et autres busards des roseaux qui ne manquent pas de traverser le ciel camarguais ? Toutefois la sculpture ne représente pas simplement le réel, elle est d’ailleurs exempte de tout réalisme. L’oiseau est-il alors aussi réminiscence mythologique, aurai-t-il à témoigner d’Icare ? De la présomption humaine ? Un coq fait exception dans ce bestiaire. Plus réaliste dans son traitement plastique, fièrement campé sur ses pattes. Est-il le coq gaulois, le symbole solaire de cette terre d’adoption ?





Dans l’indicible tumulte émanant de ces œuvres, on s’est exclamé, on a perçu la ruse et l’intelligence de ce coq cambré régnant sur le troupeau, ni tout à fait animal de terre, ni tout à fait oiseau, l’unique en son genre.



Interroge-t-il l’identité baroque du sculpteur, homme exilé en Camargue, pour extraire, depuis une terre de solitude, une œuvre profondément tourmentée par la question de l’Être avec lequel il semble entretenir un tête à tête silencieux bruissant de multiples formes convulsives qu’ il tient devant nous et devant lui comme un miroir.





texte de Florence Laude , août 2011.





· Exposition tête à tête* à la chapelle du Méjan, ville d’Arles - inaugurée le 27 novembre 2005.






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Les trois articles mis en ligne ici, à propos des artistes Gabriel Delprat, Gérard Eppelé, Heribert-Maria Staub sont publiés dans le catalogue de l'exposition :



Suite Arlésienne



qui se tiendra au



musée d'Art Contemporain ARTEUM



Château-Neuf-le-Rouge



du 12 octobre au 26 novembre 2011.






Cette exposition convie également l'artiste Michel Houssin à propos duquel Alain Paire a écrit un article qui figura également dans le catalogue et que l'on peut dès à présent lire sur le site de sa galerie. (cliquez ici pour y accéder).






Ces quatre artistes seront également présentés par :



Michel Houssin



Galerie Alain Paire



30, rue du Puits Neuf, à Aix-en-Provence



du jeudi 13 octobre au 26 novembre 2011






Gérard Eppelé, Heribert-Maria Staub



Galerie du Lézard



Corinne Théret



1523, chemin de la Pierre de feu à Aix-en-Provence



du 11 octobre au 29 octobre.






Je tiens à remercier Pierre Vallauri, Président du Musée d'Art Contemporain ARTEUM de m'avoir proposé d'écrire sur ces artistes, je suis touchée de la confiance qu'il m'a témoignée. Je remercie également Gabriel Delprat et Gérard Eppelé de m'avoir ouvert leur atelier et d'avoir pris le temps de s'entretenir avec moi. Ce partage et cette expérience m'ont beaucoup apporté. Je remercie également l'artiste Doris Salomon, amie d'Heribert-Maria Staub avec laquelle j'ai aimé converser sur le chemin qui nous menait vers l'atelier gardé par les chevaux et les taureaux . Une pensée très chaleureuse à tous et particulièrement à l'artiste Heribert-Maria Staub, que j'accompagne de voeux de rétablissement.






Liens vers le musée et les galeries:



musée d'art contemporain ARTEUM



http://mac-arteum.net/



galerie du Lézard - corinne Théret




http://galeriedulezard.blogspot.com/

galerie Alain Paire

http://www.galerie-alain-paire.com/



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