Vient de paraître ( mars 2013) aux éditions Le Bruit du Temps, un recueil, Taches de soleil, ou d'ombre - notes sauvegardées, 1952 - 2005, du poète Philippe Jaccottet.
Les deux cents pages qui composent ce recueil, sont triées d'une trentaine de cahiers rédigés par l'auteur dont il avait composé les volumes Semaisons (1996), Observations et autres notes anciennes (1998), parus aux éditions Gallimard.
Je me permets de recopier ici un extrait de l'année 1962:
Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d’ombre, « 1962 », p 44-45
Ce n’est pas vrai, pense-t-il, que la beauté du monde puisse un jour se
taire; quelque chose d’invisible, comme derrière le mur, ou quelqu’un ?
doit en nourrir le secret. Je ne sais qui passe derrière ce mur chargé de
lierre, si vraiment j’ai entendu ces pas ; je comprends du moins que ce
n’est pas de moi que peut provenir ce souffle de douceur, qui de nouveau semble
éparpiller la pensée de la mort comme fleurs quittant l’arbre où elles avaient
rassemblé leurs parfums. Non de moi,
mais de l’invisible rapport entre moi et cette ombre incertaine ; de
l’impalpable, et peut-être impossible lien avec l’impalpable et l’impossible.
Qui sait si je ne souffrais pas d’être libre de cette façon-là et si je ne suis
pas heureux aujourd’hui de sentir ce lien, la marque de cette laisse sur mon
cou? Je ne vais plus où je veux, car
aller où l’on veut, n’est-ce pas ne pas savoir où aller ? Je m’arrête dans l’herbe haute, étonné par
elle et par les fleurs qu’elle cache ; je souris d’avoir retrouvé dans le
monde une force qui triomphe aisément de la pensée, je voudrais remercier la
saison dont j’ai reconnu la loi de nouveau – après un temps de doute et
d’amertume. Est-ce que cette lumière
m’aveugle, est-ce qu’elle m’ouvre les yeux ? Je crois que je n’ai pas à me
le demander, et c’est bien pourquoi elle brille. Que de choses demain répondront à la pluie
qui tombe drue aujourd’hui ! La
terre sombre, la terre qui nous recevra, qui accueille la pourriture, comme
elle s’ouvre, comme elle s’étoile en ce moment ! Etrange et ténébreuse usine à quoi ressemble
notre esprit quand il tire du malheur un chant.
Le loriot s’éloigne à mesure que je m’avance sous les chênes – comme dans
les anciens contes ; un seul instant, je l’aperçois comme une plante qui
vole et chante. Les chemins sont suspendus entre les champs et la forêt comme
des galeries (et je repense à celles qui conduisent à des grottes sacrées, je
ne sais où en Chine).
D’un côté j’ai le ciel, à ma gauche le
ciel, la rue sur les lointains, l’ouvert ; à ma droite il y a la maison
d’arbres, la maison d’yeuses, avec ses fenêtres et ses habitants, les oiseaux
pareils à des lampes. On marche ainsi entre le secret et l’aveu, la retraite
d’ombre et le risque, et c’est cette double possession qui est belle.
(1er
juin)
Quelques liens ...
http://www.lebruitdutemps.fr/_livres/Taches%20de%20soleil/Tachesdesoleil.htm
http://poezibao.typepad.com/poezibao/2013/03/anthologie-permanente-philippe-jaccottet.html
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