samedi 6 avril 2013

Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d'ombre



Vient de paraître ( mars 2013) aux éditions Le Bruit du Temps, un recueil, Taches de soleil, ou d'ombre  - notes sauvegardées, 1952 - 2005, du poète Philippe Jaccottet.

Les deux cents pages qui composent ce recueil, sont triées d'une trentaine de cahiers rédigés par l'auteur dont il avait composé les volumes Semaisons (1996), Observations et autres notes anciennes (1998), parus aux éditions Gallimard. 

Je me permets de recopier ici un extrait de l'année  1962:


Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d’ombre, « 1962 », p 44-45

     Ce n’est pas vrai, pense-t-il, que la beauté du monde puisse un jour se taire; quelque chose d’invisible, comme derrière le mur, ou quelqu’un ? doit en nourrir le secret. Je ne sais qui passe derrière ce mur chargé de lierre, si vraiment j’ai entendu ces pas ; je comprends du moins que ce n’est pas de moi que peut provenir ce souffle de douceur, qui de nouveau semble éparpiller la pensée de la mort comme fleurs quittant l’arbre où elles avaient rassemblé leurs parfums.  Non de moi, mais de l’invisible rapport entre moi et cette ombre incertaine ; de l’impalpable, et peut-être impossible lien avec l’impalpable et l’impossible. Qui sait si je ne souffrais pas d’être libre de cette façon-là et si je ne suis pas heureux aujourd’hui de sentir ce lien, la marque de cette laisse sur mon cou?  Je ne vais plus où je veux, car aller où l’on veut, n’est-ce pas ne pas savoir où aller ?  Je m’arrête dans l’herbe haute, étonné par elle et par les fleurs qu’elle cache ; je souris d’avoir retrouvé dans le monde une force qui triomphe aisément de la pensée, je voudrais remercier la saison dont j’ai reconnu la loi de nouveau – après un temps de doute et d’amertume.  Est-ce que cette lumière m’aveugle, est-ce qu’elle m’ouvre les yeux ? Je crois que je n’ai pas à me le demander, et c’est bien pourquoi elle brille.  Que de choses demain répondront à la pluie qui tombe drue aujourd’hui !  La terre sombre, la terre qui nous recevra, qui accueille la pourriture, comme elle s’ouvre, comme elle s’étoile en ce moment !  Etrange et ténébreuse usine à quoi ressemble notre esprit quand il tire du malheur un chant.  Le loriot s’éloigne à mesure que je m’avance sous les chênes – comme dans les anciens contes ; un seul instant, je l’aperçois comme une plante qui vole et chante. Les chemins sont suspendus entre les champs et la forêt comme des galeries (et je repense à celles qui conduisent à des grottes sacrées, je ne sais où en Chine).
      D’un côté j’ai le ciel, à ma gauche le ciel, la rue sur les lointains, l’ouvert ; à ma droite il y a la maison d’arbres, la maison d’yeuses, avec ses fenêtres et ses habitants, les oiseaux pareils à des lampes. On marche ainsi entre le secret et l’aveu, la retraite d’ombre et le risque, et c’est cette double possession qui est belle.
                                                                                         (1er juin)




Quelques liens ...
http://www.lebruitdutemps.fr/_livres/Taches%20de%20soleil/Tachesdesoleil.htm

http://poezibao.typepad.com/poezibao/2013/03/anthologie-permanente-philippe-jaccottet.html


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