jeudi 1 novembre 2012

hommages de Blaise Cendrars à Guillaume Apollinaire


Apollinaire voit le jour à Rome le 26 août 1880, il est  déclaré Guillaume, Albert, Vladimir, Apollinaire de Kostrowitzky le 2 novembre.  Il apprend à parler en italien et c’est dans cette langue qu’il trace ses premiers mots.  Max Jacob prétendait qu’on appellerait son époque le « siècle Apollinaire ».  De fait, de 1900 à 1918,  Apollinaire est très présent sur la scène artistique parisienne, il fréquente les poètes, les écrivains, les hommes de théâtre, les artistes cubistes et surréalistes.  En mars 1917, quand Pierre Reverdy fonde  Nord-Sud, il met la revue sous le patronage de Guillaume Apollinaire,  liant la révolution esthétique  en cours à son nom. Il est un guide et un inspirateur.  Le 18 mai, il crée un néologisme pour qualifier le ballet de Massine sur un argument de Cocteau, et parle à ce sujet « d’une sorte de sur-réalisme ». Il reprend le mot « surréalisme » quelques semaines plus tard pour qualifier cette fois-ci sa pièce Les Mamelles de Tirésias, présentées au théâtre Renée-Maubel à Montmartre, sur l’initiative de Pierre Albert-Birot. A la fin de l’année 1915, il a rencontré un jeune étudiant en médecine, André Breton. Jusqu’à la mort d’Apollinaire, il restera en relation avec celui qui le considère comme le chef de file de la poésie nouvelle.
Au début de l’année 1905, il entre en relation avec Max Jacob, la relation amicale sera souvent orageuse, mais avec Picasso qui lui est sympathique et dont les recherches en peinture, font écho à ses propres recherches, la relation amicale sera plus fluide.Le trio Apollinaire, Max Jacob et Pablo Picasso fréquente la butte Montmartre et le Lapin Agile.
La rencontre avec le poète Blaise Cendras se fera à la fin de l’année 1912, au moment où celui-ci publie Les Pâques.  Je propose ici deux poèmes, hommages de Cendras à Apollinaire.  Le premier, « Hamac », daté de décembre 1913, appartient à l’ensemble Dix-neuf poèmes élastiques. Le second, « Hommage à Guillaume Apollinaire », est daté de novembre 1918, Apollinaire est mort le 9 de ce même mois, atteint par la grippe espagnole.

Apollinaire fait la connaissance d'Henri Rousseau en 1908.  Le peintre lui inspire une curiosité mêlée de défiance et il n'aura jamais pour son oeuvre une admiration sans retenue, mais on dit que le peintre, en tant que personne,  le séduit et l'amuse.  Le tableau le représentant avec Marie Laurencin figurera aux Indépendants  de 1909 avec le titre La Muse inspirant le poète.

           Hamac

Onoto-visage
Cadran compliqué de la Gare Saint-Lazare
Apollinaire
Avance, retarde, s'arrête parfois.
Européen
Voyageur occidental
Pourquoi ne m'accompagnes-tu pas en Amérique?
J'ai pleuré au débarcadère
New-York

Les vaisseaux secouent la vaisselle
Rome Prague Londres Nice Paris
Oxo-Liebig fait frise dans ta chambre
Les livres en estacade

Les tromblons tirent à noix de coco
« Julie ou j'ai perdu ma rose »

Futuriste

Tu as longtemps écrit à l'ombre d'un tableau
A l'Arabesque tu songeais
O toi le plus heureux de nous tous
Car Rousseau a fait ton portrait
Aux étoiles
Les oeillets du poète Sweet Williams

Apollinaire
1900-1911
Durant 12 ans seul poète de France

                          Décembre 1913

Blaise Cendrars


                       Hommage à Guillaume Apollinaire

Le pain lève
La France
Paris
Toute une génération
Je m'adresse aux poètes qui étaient présents
Amis
Apollinaire n'est pas mort
Vous avez suivi un corbillard vide
Apollinaire est un mage
C'est lui qui souriait dans la soie des drapeaux aux fenêtres
Il s'amusait à vous jeter des fleurs et des couronnes
Tandis que vous passiez derrière son corbillard
Puis il a acheté une petite cocarde tricolore
Je l'ai vu le soir même manifester sur les boulevards
Il était à cheval sur le moteur d'un camion américain et
brandissait un énorme drapeau international déployé
comme un avion
VIVE LA FRANCE !


Les temps passent
Les années s'écoulent comme des nuages
Les soldats sont rentrés chez eux
A la maison
Dans leur pays
Et voilà que se lève une nouvelle génération
Le rêve des MAMELLES se réalise !
Des petits Français, moitié anglais, moitié nègre, moitié
russe, un peu belge, italien, annamite, tchèque
L'un à l'accent canadien, l'autre les yeux hindous
Dents face os jointures galbe démarche sourire
Ils ont tous quelque chose d'étranger et sont pourtant bien
de chez nous
Au milieu d'eux, Apollinaire, comme cette statue du Nil,
le père des eaux, étendu avec des gosses qui lui coulent de
partout
Entre les pieds, sous les aisselles, dans la barbe
Ils ressemblent à leur père et se départent de lui
Et ils parlent tous la langue d'Apollinaire


                                Paris, novembre 1918

Blaise Cendrars 




Dans ces deux poèmes, Cendrars fait allusion  au patriotisme d'Apollinaire qui s'engagea volontairement le 5 décembre 1914; il veut partager le sort de ceux qu'il considère comme ses compatriotes, demandant également sa naturalisation. Il est fier de son état de soldat et a le goût de l'uniforme que certains lui reprocheront.  Cendras fait aussi  allusion au recueil Le poète assassiné publié en décembre1916, dans lequel on retrouve les paysages fondamentaux de la vie du poète: la Côte d'Azur, les Ardennes belges, Bonn, Munich, Prague...
Les "MAMELLES", est une allusion aux Mamelles de Tirésias, pièce de Guillaume Apollinaire.  
Quant à Cendrars, il est le poète arpenteur du monde.  Et, comme le dit Paul Morand dans le préface Du monde entier au coeur du monde, publié en Poésie/Gallimard "c'était ce mélange d'âme et de photographie, ces extérieurs  avec de l'intérieur, tout ce qui donnait du sens et de la profondeur à cet inventaire cumulatif du globe (...) Ces poèmes qui ballaient la planète de leur projecteur sont des microcosmes; cette mystique de la souffrance et de la bonté donne l'unité aux tribulations les plus vertigineuses de Cendras."


                                        ECRIRE

Ma machine bat en cadence
Elle sonne au bout de chaque ligne
Les engrenages grasseyent
De temps en temps je me renverse dans mon fauteuil de jonc et je lâche une grosse bouffée de fumée
Ma cigarette est toujours allumée
J’entends alors le bruit des vagues
Les gargouillements de l’eau étranglée dans la tuyauterie du lavabo
Je me lève et trempe ma main dans l’eau froide
Ou je me parfume
J’ai voilé le miroir de l’armoire à glace pour ne pas me voir écrire
Le hublot est une rondelle de soleil
Quand je pense
Il résonne comme la peau d’un tambour et parle fort

                                      Feuilles de Route, III, "écrire"

3 commentaires:

pierre vallauri a dit…

Décidément ce blog qui va d'images en peintures, de textes en poésies, de paroles en musiques frisent à mon sens "le surréalisme" comparé au réel et au tas de fadaises dont on nous inonde par ailleurs jusqu'à l'étouffement.

Olivier. a dit…

Je suis d'accord, et je l'avais déjà souligné.

Pablo a dit…

Il avait vraiment une "gueule", Cendrars!!!