Hommage à Guillaume Apollinaire
Le pain lève
La France
Paris
Toute une génération
Je m'adresse aux poètes qui étaient présents
Amis
Apollinaire n'est pas mort
Vous avez suivi un corbillard vide
Apollinaire est un mage
C'est lui qui souriait dans la soie des drapeaux aux fenêtres
Il s'amusait à vous jeter des fleurs et des couronnes
Tandis que vous passiez derrière son corbillard
Puis il a acheté une petite cocarde tricolore
Je l'ai vu le soir même manifester sur les boulevards
Il était à cheval sur le moteur d'un camion américain et
brandissait un énorme drapeau international déployé
comme un avion
VIVE LA FRANCE !
Les temps passent
Les années s'écoulent comme des nuages
Les soldats sont rentrés chez eux
A la maison
Dans leur pays
Et voilà que se lève une nouvelle génération
Le rêve des MAMELLES se réalise !
Des petits Français, moitié anglais, moitié nègre, moitié
russe, un peu belge, italien, annamite, tchèque
L'un à l'accent canadien, l'autre les yeux hindous
Dents face os jointures galbe démarche sourire
Ils ont tous quelque chose d'étranger et sont pourtant bien
de chez nous
Au milieu d'eux, Apollinaire, comme cette statue du Nil,
le père des eaux, étendu avec des gosses qui lui coulent de
partout
Entre les pieds, sous les aisselles, dans la barbe
Ils ressemblent à leur père et se départent de lui
Et ils parlent tous la langue d'Apollinaire
Paris, novembre 1918
Blaise Cendrars
Dans ces deux poèmes, Cendrars fait allusion au patriotisme d'Apollinaire qui s'engagea volontairement le 5 décembre 1914; il veut partager le sort de ceux qu'il considère comme ses compatriotes, demandant également sa naturalisation. Il est fier de son état de soldat et a le goût de l'uniforme que certains lui reprocheront. Cendras fait aussi allusion au recueil Le poète assassiné publié en décembre1916, dans lequel on retrouve les paysages fondamentaux de la vie du poète: la Côte d'Azur, les Ardennes belges, Bonn, Munich, Prague...
Les "MAMELLES", est une allusion aux Mamelles de Tirésias, pièce de Guillaume Apollinaire.
Quant à Cendrars, il est le poète arpenteur du monde. Et, comme le dit Paul Morand dans le préface Du monde entier au coeur du monde, publié en Poésie/Gallimard : "c'était ce mélange d'âme et de photographie, ces extérieurs avec de l'intérieur, tout ce qui donnait du sens et de la profondeur à cet inventaire cumulatif du globe (...) Ces poèmes qui ballaient la planète de leur projecteur sont des microcosmes; cette mystique de la souffrance et de la bonté donne l'unité aux tribulations les plus vertigineuses de Cendras."
ECRIRE
Ma machine bat en
cadence
Elle sonne au bout de chaque
ligne
Les engrenages
grasseyent
De temps en temps je me renverse dans
mon fauteuil de jonc et je lâche une grosse bouffée de
fumée
Ma cigarette est toujours
allumée
J’entends alors le bruit des
vagues
Les gargouillements de l’eau
étranglée dans la tuyauterie du lavabo
Je me lève et trempe ma main
dans l’eau froide
Ou je me
parfume
J’ai voilé le miroir de
l’armoire à glace pour ne pas me voir écrire
Le hublot est une rondelle de
soleil
Quand je
pense
Il résonne comme la peau d’un
tambour et parle fort
Feuilles de Route, III, "écrire"
3 commentaires:
Décidément ce blog qui va d'images en peintures, de textes en poésies, de paroles en musiques frisent à mon sens "le surréalisme" comparé au réel et au tas de fadaises dont on nous inonde par ailleurs jusqu'à l'étouffement.
Je suis d'accord, et je l'avais déjà souligné.
Il avait vraiment une "gueule", Cendrars!!!
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