Pour M., alias Pretty dark curls, qui pense que l'on fait forcément du vélo cheveux au vent (et pour ne pas la détromper) ce joli extrait du film Butch Cassidy and the sundance kid, western de George Roy Hill ( 1969).
Mais, pour rétablir la vérité sur ma façon de faire du vélo et entretenir la légende (sachons être modeste), un texte :
"Le chevalier errant"
Gros vent en bourrasques et de face. Pour les jambes, ça semble aller,
c’est plutôt un état général de fatigue et un rhume persistant qui laissent
penser que la sortie ne sera pas qu’une partie de plaisir. Il fait doux, les reliefs de Sainte Victoire
sont impressionnants, les arêtes de
calcaire très proches quand on attaque
le col de Saint Antonin et plus encore quand on sort des lacets, la barre des
falaises se dresse sur la gauche, riches nuances de gris, le soleil n’éclaire
pas la roche.
Ce matin, je peine bien plus
qu’un autre jour.
Le vent du sud charge le ciel et
coiffe de nuages éméchés le dos étiré de la montagne vers son extrémité est,
au-delà de Pourrières. Un cycliste du
club de Septèmes, échappé d’un groupe que j’avais dépassé peu avant, me rejoint et me dit de prendre sa roue ce que je fais avec beaucoup d’application, à
la fois contente qu’il me donne le rythme et consciente qu’il m’oblige à puiser
des forces là où ça fait mal, surtout aujourd’hui.
A l’arrivée au col de Saint Antonin, il me distance des quelques mètres
que je n’ai pas eu le courage de disputer jusqu’au bout. Je le laisse attendre
ses compagnons de route et file, à nouveau solitaire, vers Pourrières.
La route trace parmi les vignes rouges, je pense aux Récits
de la demi-brigade de Giono quand
j’aperçois le panneau bleu qui pointe
sur la droite, « Saint-Pons », écrit en lettres blanches. « Saint-Pons »,
c’est, dans le recueil de nouvelles, le lieu de la Capitainerie du gendarme Martial
Langlois. Des nouvelles dont je m’étais délectée il y a
quelques années et qui, immanquablement me reviennent en mémoire à cet endroit
précis. Souvent, quand, arrivée à
Pourrières, au lieu de bifurquer vers
Trets, je prends à gauche vers le col de Rians, je sais que Giono a mis ses pas
sur ces terres et s’en est imprégné pour évoquer les longues courses à cheval
de Langlois, de nuit ou de jour. Je reconnais,
dans le passage étroit pris entre les roches abruptes, les coins qui favorisent
les embuscades et, montée sur mon vélo, j’accompagne en pensées Langlois dans
une course nocturne hasardeuse pour rejoindre une ferme solitaire où il espère
obtenir quelque information.
A Trets, j’amorce le retour, vent de dos, sur la piste cyclable, c’est
royal, facile. Je profite à plein de l’impression d’être plus en forme qu’au
début de la sortie, j’appuie sur les pédales pour rouler le plus vite
possible. Un cycliste me rejoint, je
l’avais aperçu sur le côté de la piste, en train de se restaurer. Je prends sa roue, je me rends vite à l’évidence
qu’il a dû se fatiguer pour me rattraper et qu’il ne parvient pas à garder le
rythme dans le faux-plat montant qui rejoint Châteauneuf-le-Rouge, je le dépasse à mon
tour. Il rentre par la nationale, je coupe en face par le chemin dit « ancien
chemin de Beaurecueil à Saint Savournin ». Au loin, une forme. Je
l’observe, s’éloigne-t-elle ou vient-elle à ma rencontre ? Il s’agit probablement d’un jogger et non d’un
cycliste: le point qui vient à ma rencontre
tressaute légèrement, au rythme des foulées, c’est une femme qui me
croise et me salue sportivement. Une
centaine de mètres plus loin, après la bascule du petit col, une autre forme se
dessine au loin, je m’amuse de la répétition. J’observe à nouveau, ce qui me
distrait de mon propre effort. Cette fois, il me semble que
la forme est bien plus allongée, elle ne se déplace pas en sautillant :
il s’agit d’une cavalière, seule sur la route. Elle a dû, comme moi, s’interroger
un instant sur la difficulté potentielle que je représentais pour elle et son
cheval. C’est-elle sentie en danger ?
Elle est pour moi l’aventure d’un
instant et je suis pour elle, également, une poignée de secondes, son aventure de chevalier errant partie seule, sans compagnon,
pour l’inconnu. Le vent m'aère la tête d'une oreille à l'autre déposant au passage cette idée qui fait sourire. Ne suis-je pas aussi, sur ma bête cadre-aluminium-fourche-carbone,
ma selle italienne, coiffée de mon casque
profilé, une espèce de chevalier en quête de ce qu’il ne peut trouver, ma quête a duré longtemps, elle est restée
vaine, mais je vais … cherchant l’illusoire
aventure, mettre à l’épreuve ma
vaillance et mon audace*, dérisoires. Toute sortie à vélo est une potentielle aventure, au point qu'il m'arrive d'avoir du mal à trouver le sommeil avant une "grosse sortie". La fatigue qui me raccompagne me fait du
bien.
f.l.
* Chrétien de Troyes, Yvain ou le Chevalier au Lion.
* Chrétien de Troyes, Yvain ou le Chevalier au Lion.
2 commentaires:
A te lire , me revient en mémoire le délicieux ouvrage de J-M Pontier Lui comme toi donnaient envie de faire du vélo.
Évasion , rencontres "roue dans la roue",relais, vision chevaleresque, saine fatigue (loin de l'ordinateur, beauté du paysage "vécue de l'intérieur". Pourquoi paraphraser, je vais te relire.
Et puis l'apothéose "Chrétien de Troyes".
Chouette récit, on s'y croirait!
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