C'était
en février dernier, j’avais découvert
l’autoportrait sculpté de Georges Guye alors en cours de réalisation,
une maquette au un quart et, ce qui deviendrait son autoportrait grandeur
nature, mais qui, ce jour-là, m’était
apparu comme un « gisant » sur une table d’opération ...
Je viens
de retourner dans l’atelier proche de la Vieille Charité à Marseille, la
sculpture est sur pieds, pratiquement terminée.
(if you want to read an english translation of this article : http://imagesentete.blogspot.fr/2016/11/self-portrait-by-georges-guye-06222016.html)
Cette
sculpture de Georges Guye le représente debout, le corps dénudé, toutefois le maillot de bain qu’il
porte le distingue volontairement du modèle
vivant posant nu pour l’artiste. Sculpter son autoportrait c’est se
prendre comme modèle sans être un modèle, c’est se mettre à nu sans abolir
radicalement toute distance, toute limite par rapport à soi, voilà ce qui me
vient à l’esprit dans un premier temps. Plutôt que de livrer une nudité intégrale, Georges
Guye a joué avec ce minimum que la norme sociale exige de l’honnête homme, par respect des convenances. On reste dans la
retenue d’une posture qui ne manifeste ni volonté de défiance, ni intention de supériorité,
le spectateur étant sur le même plan que l’œuvre à l’échelle 1, fixée sur un
socle de faible hauteur à même le sol.
Ainsi c’est sur un pied d’égalité avec le spectateur que le sujet se
donne à voir.
C’est
peut-être la manière dont Georges Guye veut se placer en tant qu’artiste par
rapport à son spectateur, l’inviter à considérer l’art comme partie intégrante
de la vie, aussi indispensable que les
nourritures terrestres ?
Figurer de cette manière le sculpteur, dans un rapport d’intimité,
doublé de proximité, me semble inattendu et original, assez proche dans la
démarche, de ce que le grand humaniste Michel de Montaigne pouvait avoir comme
projet en écrivant les Essais ( 1592).
Dans les Essais,
Montaigne écrit « On me dira que ce dessein de se servir de soi pour
sujet à écrire serait excusable à des hommes rares et fameux qui, par leur
réputation, auraient donné quelque désir de leur connaissance. Cela est
certain ; je l’avoue, et sais bien que pour voir un homme commun, à peine
un artisan lève les yeux de sa besogne [...] Je ne dresse pas ici une statue à
planter au carrefour d’une ville [...] Les autres ont pris cœur de parler d’eux
pour y avoir trouvé le sujet digne et riche ; moi, au rebours, pour
l’avoir trouvé si stérile qu’il ne peut m’échoir soupçon d’ostentation ». (Essais
II, 18- 1580 – 1592) Ici, la
normalité de l’apparence tend à déplacer le regard du spectateur de la
curiosité vers une attention plus soutenue, plus délicate. On est déjà dans le « je veux montrer à mes
semblables un homme dans toute la vérité de la nature » proclamé par
Rousseau au début des Confessions, (Livre premier, 1712 - 1728). A défaut de connaître des tentatives
d’autoportraits sculptés grandeur nature semblables à celle de Georges Guye, je
m’appuie sur le pacte autobiographique
défini par Philippe Lejeune, comme l’engagement que prend l’auteur à faire un
récit rétrospectif de sa vie, avec sincérité, malgré les difficultés qu’il peut
y avoir à se mettre à nu, à dévoiler ses failles, à s’exposer au jugement (bienveillant)
du lecteur (ici, du spectateur).
Le caleçon de
bain qui pare la sculpture et l’appui au sol évoquent l’environnement d’une
plage de sable où les pieds déchaussés s’enfoncent légèrement, une vaguelette
venant lécher le bout des orteils. L'homme est immobile, les deux pieds posés à
plat, légèrement écartés dans la position de repos que l'on adopte au naturel
comme état d'équilibre stable. Les bras sont croisés sur la poitrine et
le bout des doigts est à peine glissé sous les aisselles à la recherche d'une
improbable source de chaleur. L'homme, face à la mer, semble la contempler,
on devine l’envie teintée d’appréhension. C’est encore un peut-être, un temps suspendu où l’on se retire en soi anticipant le froid qui nous saisira en plongeant dans l’eau. Les yeux
fixent un horizon lointain et ne rencontrent pas tout à fait ceux du
spectateur. Ce lointain, cette ouverture envisagés par le sculpteur ouvrent la
porte sur des spéculations de tous ordres, poétiques, psychologiques,
philosophiques ... Je me garde pour cette raison d’imaginer un discours qui
refermerait cette parenthèse voulue
par le sculpteur.
Sur le
bandeau de plâtre blanc qui figure un slip de bain sont accrochés des éléments
en relief et colorés que l'on identifie très vite. Des bonbons Haribo ! Clin
d'œil à l'enfance, à la gourmandise et
aux anniversaires ... et par association d’idée au temps qui passe ?
C’est aussi l’esprit malicieux de Georges Guye qui fait surface, si l’on peut dire, littéralement, se jouant de
l’objet surréaliste façon Meret Oppenheim ( je pense à la tasse, soucoupe et cuillère recouvertes de fourrure, 1936) et du ready-made façon Marcel Duchamp,
pour, dans le cas présent, devenir du
home-made car les reliefs
ont été créés un à un, en résine, à partir de moulages des bonbons. Il
faut dès lors les considérer comme
une autoréférence à toute l’œuvre
sculptée en résine de Georges Guye, entre autres
Le Haricot Géant si audacieux
qui rappelle le quartier de bœuf de Rembrandt ou de Chaïm Soutine, ou des
luminaires translucides aux formes insolites, choux, feuilles de blettes, betteraves,
branchages ... et tout récemment les tabourets chamallows ( voir les photos en fin d’article).
Cet
autoportrait sculpté en pied et grandeur nature est selon Georges
Guye, un projet à peu près unique dans l'histoire de la sculpture. Si Gilles Barbier, autre artiste marseillais,
utilise aussi son propre corps dans ses sculptures, la manière en est bien
différente, il crée de multiples représentations de lui-même (des clones),
procédant par moulage de son propre corps (ce qui n’est pas le cas pour Georges
Guye). Les transformations et des déformations qu’il pratique, notamment en
modifiant sa taille, évoquent les
personnages d’une parade de freaks comme on a pu le voir dans les situations burlesques qu’il avait mis
en scène dans l’expo « Echo système », à la Friche de la Belle de Mai
en 2015.
La sculpture de Georges Guye est narrative, elle raconte de
manière anecdotique comment Georges Guye
se met à l’eau, elle est aussi une mise en scène de la sculpture par le
sculpteur lui-même. Est-ce une profession de foi ? Un testament
artistique ? Du point de vue technique, Georges Guye a réalisé une
silhouette en grillage recouverte de bandes plâtrées. L’autoportrait est laissé
dans la blancheur de la matière première, blancheur de marbre, mais texture
tendre et moins précieuse qui conserve quelque chose de l’objet éphémère et de fragile,
comme la vie, évoquant le « memento mori ». L'homme debout que l'on a devant soi n'est pas
un "Homme qui marche", il semble bien éloigné d'une référence à la
sculpture de Giacometti et ne s'y réfère que par antithèse. L'homme de Georges
Guye, son lui-même, n'est pas représenté en marche vers l'avenir, il ne
s'arrache pas à la glaise, il n'exprime aucun antagonisme immédiatement
perceptible... Giacometti ne montre pas
l’homme, mais une dimension tragique de l'Homme. La sculpture de Georges Guye le donne à voir avec une modestie et une
dérision toutes voltairiennes, on perçoit davantage l'atome que la
transcendance humaine sans que la réflexion sur la condition humaine ne soit
pour autant écartée. La silhouette témoigne les années vécues dans la
maturité du corps alors que le plâtre blanc offre à l’œil la douceur de sa
texture et une qualité de lumières et d’ombres délicatement sensuelles. Sculpter son propre corps, c’est
se créer soi-même en se soumettant toutefois à la contrainte du modèle, s’enfanter et s’épouser tout à la fois, exprimer la délicate
cohabitation ou le détachement que l’on entretient avec son corps, surtout
au fil des années qui passent. Il faut
une grande abnégation pour entreprendre de se sculpter car il faut littéralement se
regarder sous toutes les coutures, s’extraire de soi. Notre perception intérieure (la plus
familière) nous apparaît souvent comme très subjective quand nous la
confrontons à l’épreuve du miroir. « J'ai horreur de me voir
à l'improviste dans une glace car, faute de m'y être préparé,
je me trouve à chaque fois d'une laideur humiliante », écrit Michel Leiris
dans les premières pages de L’âge d’Homme
(1939). Je suis bien certaine que
Georges Guye n’échappe pas à cette difficulté de changer de point de vue pour
adopter celui de l’autre, de devenir en quelque sorte plus étranger à lui-même
par la volonté de se représenter.
Aix, le 22 juin 2016
Florence Laude
Pour ceux
qui auraient déjà eu l'occasion de lire mon blog, ils savent que
j'apprécie les sculptures de Georges et que j'ai écrit quelquefois à leur
sujet.
Georges Guye vit et travaille à Marseille. Son atelier se situe dans le quartier du Panier, non loin de la Vieille Charité.
Pour référence, un lien vers un ouvrage écrit par Alain Paire à son sujet:
Je
complète cet article sur son autoportrait par quelques photos d’autres
sculptures évoquées ici :
Photo prise au SM'Art ( Aix) - du 3 au 6 juin 2011- sur le stand de la Galerie Alain Paire
Le haricot géant
les luminaires
Fauteuil feuilles de figuier
Suspension luminaire - branchages |
Chamallows |
On peut
lire d’autres articles en cliquant sur les liens ci-dessous :
7 mai 2011, visite d'atelier:
et les photos:
à Propos du SM'Art, 3-6 juin 2011:
Vip art Galerie ( Marseille) 2012:
Visite d'atelier, octobre 2014:
Le suaire de Sainte-Victoire:
et aussi :
http://imagesentete.blogspot.fr/2014/09/la-sainte-victoire-selon-georges-guye.html 19 ans d'exposition dans la Galerie Alain Paire :
http://imagesentete.blogspot.fr/2013/11/vernissage-de-lexposition-19-ans-de.html
Galerie Patrick Bartoli Marseille:
http://imagesentete.blogspot.fr/2013/05/cetait-ce-soir-le-13-mai-vernissage-la.html
2 commentaires:
MAGNIFIQUE article, Florence, sincèrement bravo, j'admire ce détour du côté de Montaigne et Rousseau, je comprends mieux pourquoi j'aime tant ces sculptures !
Je ne peux que surenchérir sur le commentaire d'Alain P.
Je pense aussi que le regard que tu portes, Florence, sur son œuvre depuis un bout de temps avec une acuité critique sans égale, mais aussi que le regard que porte Georges sur lui même et à mes yeux sur son travail (du moins je l'interprête ainsi)dans cet autoportrait, dont tu soulignes à juste titre la singularité, devraient donner lieu à une belle exposition (rétrospective)dans un CAC digne de ce nom (pourquoi pas Briançon)dont vous seriez l'un est l'autre les artistes Georges celui de la matière et des formes, toi Florence, celle des mots et des idées. Bravo à tous deux!
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