Atelier : Denise Fernandez-Grundman, rue des Guerriers à Aix-en-Provence
http://denise.fernandez.free.fr/
D’abord peintre et premier prix des écoles de peinture de la ville de
Paris en 1962, Denise Fernandez-Grundman
choisit le dessin et la gravure vers la fin des années quatre-vingts. Elle
peint sa dernière toile en 1987 et se consacre alors au dessin et presque en même temps, cherche des
maîtres pour se former à la
gravure. C’est avec le taille-doucier Tienieck Kerevel, à Marseille, qu’elle explore « le
métier » qu’elle dit pratiquer de façon très traditionnelle quant à la technique, mais qu'elle a développé selon sa personnalité. On
perçoit dans cette façon de dire, le respect du maître, mais aussi le plaisir
et la fierté de faire partie des gens de cet art. Parmi toutes les techniques explorées, c’est
la technique de la gravure à la pointe sèche qui lui correspond.
L’outil choisi par Denise Fernandez-Grundman, pour
peindre, dessiner ou graver m’apparaitra
au fil de la conversation, comme un
« objet de sens ». Le couteau
pour peindre à l’huile, le burin et la pointe-sèche pour graver la plaque de
cuivre, les crayons utilisés du plus sec H, au plus gras, HB, B, 2B… tenus assez haut pour donner de
l’amplitude au geste, un enchevêtrement
tel un écheveau emmêlé, nerveux et broussailleux et pourtant, chaud comme un
nid. Peut-être y a-t-il eu chez elle la
nécessité, après avoir, pendant les
premières années ( vingt-cinq ans tout de même), façonné la matière en couvrant
la toile de peinture à l’huile au moyen d’un couteau, de l’inciser, de percer la
peau symbolique formée par la peinture,
pour en extraire une nouvelle forme,
un sens nouveau, en se consacrant presque uniquement au dessin de visages, qu’elle
trace aujourd’hui sur le papier ou taille dans le métal.
photo dans l'atelier de l'artiste: Benjamin Fernandez |
Mais revenons un instant à l’outil : couteau, burin, pointe-sèche, crayons. Son amie Françoise Lott, qui l’a convaincue d’accepter qu'elle rédige sa biographie (elle est en
cours), a recueilli de Denise Fernandez-Grundman des confidences, elle écrit à
propos de son œuvre peint que « l’emploi de couleurs posées en aplat, au
couteau, (serait) comme pour se construire un mur derrière lequel elle pourrait
s’abriter du monde ». Pendant des
années, la peinture est épaisse et lisse,
presque abstraite, point de vue
préférant des architectures bien structurées, maçonnées, le peintre
peint la vie à l’extérieur depuis l’intérieur, à partir de sa fenêtre ouvrant
sur le monde, mais depuis un espace protégé.
Puis la porte s’ouvre,
accueillant des figures, des scènes de rues, le marché, les petits commerces des rues
d’Aix, « Le soleil levant », « les pâtes fraîches » etc…, petits commerces bien connus des aixois et
toujours en activité. Peu à peu, la
peinture se fait moins lisse et les visages se précisent. Dans la dernière période, la matière est
striée de coups de couteau, annonçant le geste qui entaille la plaque de cuivre
avec le burin ou la pointe-sèche, dans la gravure. D’ailleurs, Denise Fernandez-Grundman
dit avoir arrêté la peinture quand l’envie d’un travail plus graphique s’est
imposée. A la question, pourquoi le dessin ? Elle répond, parce qu’elle aime le travail
graphique, le trait ; le graphisme qui est fait pour retrouver la trace de
ce qui a disparu.
Denise Fernandez-Grundman dessine et grave des visages, des
personnes réelles qu’elle ne connaît pas la plupart du temps, s’inspirant de photos, de l’actualité. Quand je l’interroge sur la question de
« l’intime », préparant l’exposition de dessins
« Traits…intimes », pour le
musée Arteum de Châteauneuf-le-Rouge, à la fin 2012, elle me répond que tous ces visages sont intimes,
qu’ils sortent tous d’elle, de ce qu’elle a vu, imaginé, et que leur
représentation passe à travers sa main, dans cette manière si particulière
qu’elle a de chercher le trait, de faire émerger le regard, l’expression d’une
infinité de coups de crayon, dans un
dessin qu’elle monte peu à peu, d’abord avec un crayon sec, qui laisse une trace plus claire, puis, en
choisissant des crayons de plus en plus gras et de plus en plus
« noirs », donnant de l’intensité à son dessin. Lorsqu’elle
a commencé à peindre, elle dessinait des personnages sans visage ; puis, quand elle a eu un peu moins peur des gens,
elle a commencé à peindre leurs traits de plus en plus précisément. Toujours
des visages qui viennent d’ailleurs… comme sa famille dont les origines
étrangères sont multiples. Des amis, des
admirateurs de son travail lui ont demandé de dessiner leur portrait, mais elle
s’y refuse, ayant trop peur, ce sont ses
propres mots, « de massacrer les personnes », mais il n’est pas rare qu’un dessin
d’imagination évoque, pour finir, quelqu’un de son entourage ou un autoportrait !
"Quand la nuit tombe", Denise Fernandez-Grundman |
Née à Paris d’un père juif ashkénaze polonais et d’une mère
juive sépharade d’Oran. La famille de sa mère, très pauvre, a émigré à Paris dans les
années vingt, sa grand-mère et ses enfants ont quitté Oran pour Paris, à la
mort de son grand-père, lors d’une épidémie de grippe espagnole. Son père, arrêté sous l’occupation est
mort à Auschwitz. Ses origines sont multiples et c’est cela
qu’elle représente dans ses visages, sans que l’on puisse déterminer de quel
pays, de quelle origine ils sont. Quand
Denise Fernandez-Grundman choisit de se consacrer exclusivement au dessin et à
la gravure en taille directe, elle délaisse les sujets urbains, architecturaux,
les espaces cloisonnés pour se consacrer aux visages : « Nino
reviens ! », « Sans abris », « Plein le
dos », « Leïla »,
« Atelier de lecture », « Esther »,
« Farida et Karine », « Dolores », «
Djoar », « Le sourire de
Luis », sont glanés parmi les
titres de ses dessins et gravures de
portraits. Des visages expressifs, entaillés de rides et de plis , noués par les
milliers de fils vibrants posés par la main,
cheveux crépus et vaporeux se prolongeant en peaux sombres et sculptées d’expressions d’une
intensité fortes comme des destins. Lors
de l’exposition rétrospective Histoire gravée à la Cité du Livre
d’Aix-en-Provence l’été 2007, Raymond Jean écrivait pour le catalogue de
l’exposition : « Denise F.G. dispose d’une étonnante aptitude à
ouvrir les yeux sur la réalité d’un univers humain (j’allais dire :
social, mais humain est d’une vérité plus simple) pluriel, où les âges, les
conditions, les attitudes, les expressions, les origines, les métissages se
croisent, selon une diversité que seules une justesse et une rapidité extrêmes
du trait peuvent saisir… La rapidité, Denise l’obtient aujourd’hui dans la suite de ses dessins à la mine de
plomb ou de ses gravures à la pointe sèche dont la vocation semble être de
saisir comme au vol d’autres figures, plus vibrantes, plus fugaces peut-être,
parfois plus violentes aussi et comme épineuses, broussailleuses, où le tracé
même du crayon sur le papier déploie des signes qui font trembler les
chevelures (…)».
Djoar, gravure, Denise Fernandez-Grundman, 2005 |
Ces visages qu’elle revendique représenter l’ailleurs, ont en commun un point de
fraternité, j’allais écrire de reconnaissance (s’y reconnaît-elle ?). Je me rappelle avoir vu il y a vraiment très
longtemps, un film de Fassbinder, réalisé en 1970, sur un émigré marocain dont le
titre : Tous les autres s’appellent
Ali semblait rassembler dans une même identité, tous les étrangers, (alors que le titre allemand, est Angst essen Seele auf , donc,
littéralement : Peur dévorer âme), gommant l’individualité, par l’usage d'un
prénom étiquette. Comme si tous les
étrangers avaient même prénom, même
histoire. C’est nier leur être. Voilà
qui est à reconquérir par l’image, par le dessin du visage, comme le fait Denise Fernandez-Grundman, ne dessinant pas seulement l’étranger, ni l’ailleurs
pour l’ailleurs, mais des personnes qui,
comme les siens, sont venus d’ailleurs, ont dû s’exiler un jour parce qu’ils en
avaient « Plein le dos » ( titre d’un dessin à la mine de plomb
réalisé en 1992). Ses œuvres ont souvent pour titre des prénoms, qui pour le coup lui sont intimes ;
ainsi, la gravure Djoar (2005), représentant le visage d’une très vieille femme porte le prénom
de sa grand-mère. Claudie Amado, amie de Denise
Fernandez-Grundman écrit, elle aussi pour le catalogue de l'exposition à la Méjanes
en 2007 : « Comment faire le deuil ? En peignant, en dessinant ,
puis en gravant des visages, des yeux.
Creuser, c’est tenter de tracer le portrait du père disparu. Graver,
retrouver la trace par le trait (plus que par la peinture), user du noir et du
blanc. Le graphisme est fait pour
retrouver la trace de l’absent. La
disparition peut laisser croire que cela n’existe pas, que cela n’aura pas
lieu. »
Voyage, Denise Fernandez-Grundman 2000 |
Répéter, que les visages de Denise Fernandez-Grundman,
qui ne sont pas des portraits, qu’elle dit peindre d’imagination, semblent
émerger du noir de l’encre, parmi les
entrelacs de fils dénoués qui l’aident à
trouver le chemin de son histoire intime, de son père disparu. Ce visage du père (mais aussi d'autres visages) qui semblait perdu dans un labyrinthe que la conscience ne peut aider à
trouver, mais que la mémoire du geste,
comme une caresse fugitive et nerveuse sur le papier espère capter; qu’un coup de burin, qu’ une entaille dans
la plaque de cuivre pourrait révéler au cours du processus lent et un peu
aléatoire de l’encrage et du tirage.
Quand on a perdu, pour retrouver, on se
prend toujours à espérer en un
heureux hasard, que l’on ne cesse de
provoquer.
Pour consulter la liste des expositions, se rendre sur le site de Denise Fernandez-Grundman, en cliquant ICI, puis sur "expositions".
2 commentaires:
pas trop le temps de lire en détail.
Mais l'enquête s'avére toujours aussi juste, me semble-t-il.
Je confirme après relecture la perception juste et précise (et précieuse) de cet "enchevêtrement" (c'était aussi le titre d'une belle exposition à ARTEUM musée d'art contemporain 2008)de traits, de lignes qui confine à la "manière noire" . Dessin "particulier" tout aussi intime quand bien même il nous parle constamment des autres.
Très heureux aussi que le champs plus strictement technique s'élargisse à la gravure puisque ce sera aussi le cas pour Fred Deux.
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