Vient de paraître le
premier roman graphique de Jean Marc Pontier, Peste Blanche, publié aux éditions Les Enfants Rouges, que l’on
attendait.
L’auteur signe
scénario et dessins, après plusieurs albums de nouvelles
graphiques et de textes dans lesquels il a montré combien il est doué pour la forme brève. On
rappellera les deux albums de nouvelles
graphiques Pièces Obliques et NouvellesPenchées publiés aux Enfants Rouges
en 2009 et 2010, mais aussi des recueils de textes sous le titre Pédaler écrire, en plusieurs saisons, aux
éditions Contrepied.
Peste Blanche est
une écriture au long cours qui déploie une aventure policière où la mémoire, un
moment personnifiée en mouette (gabian en
marseillais), est contaminée par
une épidémie silencieuse et capricieuse, "la Peste Blanche", qui rend peu
à peu amnésique la population de Marseille. L’idée de faire de la mémoire le double objet d’un rejet et d’une quête est un des aspects très originaux
et intéressants de ce roman. Rejet de la
mémoire douloureuse d’une part et quête
de la mémoire, d’autre part, pour comprendre. Mémoire qui nous fait
nous sentir lourds d’un passé auquel
nous ne pouvons pourtant pas échapper
sans danger… Elle interpelle chacun des personnages, du principal aux plus secondaires… Elle devient question bien embarrassante, pour ne pas dire
cocasse, s’il faut résoudre une enquête policière. L’auteur travaille cette question dans tous les registres, du
grave au comique en passant par l’humoristique, sans oublier l’ironie (du sort ?). C’est un roman dense, qui nourrit son
lecteur et l’inciterait plutôt à
ralentir sa lecture pour apprécier les différentes interprétations que
proposent les superpositions d’époques, les citations littéraires renvoyant à d’autres
lectures, d’autres sens. Pourtant, le
roman se lit d’une traite, car le
suspense pousse à lire de l’avant.
Jean-Marc Pontier fait un parallèle entre l’épidémie et la peste
de 1720 qui ravagea la cité phocéenne et
une épidémie de perte de mémoire dont serait victime la Marseille contemporaine.
C’est une belle idée qui ouvre le récit à toutes sortes de parallèles possibles
entre les deux époques, notamment au
travers du masque et du théâtre, de la
maladie, de la dépendance, de la folie ou de la superstition qui sont transposés du
dix-huitième siècle à nos jours. Le masque et la folie sont propres à nous
plonger dans le théâtre d’Antonin Artaud. La superstition, qui n’est jamais
bien loin sous le vernis de la raison et de la culture, fait apparaître dans le roman, le personnage
d’un marabout à deux visages. Le thème du
double (et on peut même aller jusqu’à parler du « trouble »
sans que ce ne soit qu’un vain jeu d’homophonies) est exploité dans ce roman graphique, Le
théâtre et son double d’Antonin Artaud, cité en début d’aventure, annonçant la couleur !
La ligne narrative est ajustée à la thématique, jouant sur les flash-back
évoquant une relation
amoureuse interrompue par la mort de
l’amante , un corps disparu puis exhumé, une enquête enterrée et réactivée, un coupable qui ne nie pas tout mais qui ne
dit pas tout non plus… tout cela est très bon, tout cela donne du corps et de
l’originalité au scénario.
Le personnage principal, un professeur d’université qui
tombe amoureux d’une de ses étudiantes, annonce une intrigue plutôt « classique », heureusement
tourmentée par la personnalité atypique de Marie, l’étudiante qui emporte le
récit et le lecteur à travers les rues
de Marseille où elle s’aventure, inscrivant sur les murs des quartiers, des messages politico-poétiques. Une artiste de rue qui me fait penser à l’artiste parisienne Miss.tic .
La personnalité transgressive de
Marie, ses audaces, sa poésie, ses
misères aussi, font d’elle un personnage mystérieux, à la manière des poètes maudits du
dix-neuvième, trop vite emportés par leurs excès . Voilà donc un roman réussi, captivant,
plein de trouvailles. Il faut
évoquer ici le choix – d’ailleurs justifié par l’identité du personnage
principal, un professeur de littérature enseignant à l’université de Provence –
de citer largement des auteurs
comme Sophocle, Chrétien de Troyes,
Giono, Artaud…Apollinaire, pour asseoir ses propres réflexions sur les liens
entre l’art et la vie, voire même,
mettre la littérature à l’épreuve de la vie et vice-versa, d’où le choix de Marie, d’écrire ses pensées
sur les murs à la vue et à l’approbation de tous, mais de les consigner aussi
dans un journal intime … Un bémol qui
n’engage que moi, concernant l’écriture
de la fin du roman - que je me garderai bien de révéler ! - que j’aurais préférée ouverte, sans
explication et sans justification du personnage. Un roman qui offre beaucoup d’aphorismes à
méditer, certains lumineux, d’autres
plus surprenants : « Il faut
du courage pour accomplir certaines actions lâches ». On peut jouer sur les paradoxes, il n’en
demeure pas moins que ce n’est pas parce qu’une chose est écrite qu’elle en
devient cohérente, ou qu’elle rachète l’homme de ses actes. On préfèrera cette phrase mise en exergue : « Si
on me demandait de choisir mon ennemi je dirais le ridicule, parce que chacun
sait qu’il ne tue pas. On ne peut pas en
dire autant du quotidien ». Marie aurait-elle pu écrire : "libérez le quotidien"?
Peste Blanche est un beau livre, que l’on a plaisir à tenir en
mains, de bonne épaisseur et de format légèrement plus grand que ceux des deux
albums précédents qui met mieux en valeur les dessins. L’odeur d’encre fraîche et de papier neuf séduit le lecteur, sitôt qu’il saisit l’ouvrage
et le feuillette. La couverture d’un
bleu sombre fait ressortir le visage d’un homme et le profil d’une mouette au bec orange vif, on dirait que l'oiseau a posé ses deux pattes sur les épaules du monsieur et qu’il
lui donne l’accolade : double animalier du personnage, tel l’Albatros de Baudelaire ? Un plan de Marseille, dessiné comme un
tatouage sur le visage et le corps du personnage, annonce une aventure qui le marquera de façon indélébile. Ceux qui connaissent le graphisme de Jean-Marc Pontier retrouveront avec un
grand bonheur la ligne corpulente et arrondie de ses dessins
en noir, blanc et gris, ses jeux d’ombres et de lumières, son trait
qui « dit » l’essentiel, sait faire vibrer la sensualité des
corps, exprimer la violence ou le calme
d’une situation, adaptant le geste graphique tantôt retenu, tantôt
lâché, pour rendre son dessin nerveux ou
dépouillé. Un roman auquel on souhaite
un beau succès et qu’il ne faut pas
oublier d’acheter tantôt!
Toutes les informations et l'actualité de Jean-Marc Pontier sont à retrouver sur son blog ICIBonne lecture et n'hésitez pas à laisser vos commentaires après lecture pour partager nos impressions!
3 commentaires:
Ca a l'air pas mal.
Vous voulez rire ! il est vraiment très bien!
Vu l'expo Surian, ce soir au musée Arteum de Château-neuf-le-Rouge. Très belle, très riche d'oeuvres diverses dans un long développement chronologique.
Mais ce n'est pas seulement de Surian que je veux parler ici: Marseille, chez Surian, est aussi un personnage à part entière, amie complexe que l'artiste accompagne dans son évolution et dans ses déplacements, de quartier en quartier, de rue en rue, comme JBC cherche Marie dans Peste Blanche.
J'ai même cru voir apparaître Marie dans certains tableaux!
Il est peut-être osé de croiser les (belles) oeuvres, mais quand cela vient à l'esprit, pourquoi ne pas le dire?
fl
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