lundi 24 juin 2024

Faire le mur, Valérie GENDRE

 Valérie Gendre se dit opportuniste. Elle se saisit des contraintes et les impératifs deviennent des résistances auxquelles s’adosser pour construire une œuvre. L’attitude même d’une rebelle qui, si elle est prise au dépourvu, se débrouillera de l’ennui pour le sublimer. Elle n’est pas le genre d’artiste à passer par la porte, elle a souvent fait le mur.


Valérie Gendre pratique le collage depuis plus de quinze ans en l’intégrant à son travail pictural. Pratique originale s’il en est, de mêler l’autre et le soi, de prendre motif dans le papier imprimé pour l’intégrer par collage à la toile, puis à la peinture et au geste du peintre. Mixité de techniques et pluralité des sources de matières à l’origine de la création. Valérie Gendre est une artiste complexe dans sa manière de fusionner les techniques et de fragmenter l’espace en une infinité d’éclats de couleurs et de formes, larges aplats et brisures infimes, déchirures intimes.

Avec la série Faire le mur, présentée cet été 2024, Valérie Gendre radicalise sa pratique du collage. Les grands formats (environ 85 x 122 cm) et les plus petits (30x40 cm) sont de purs collages. L’artiste se fait glaneuse, elle collecte les affiches échouées sur les trottoirs, arrachées aux parois urbaines, couvertes, recouvertes, lavées, délavées, lacérées. La peau des murs de nos cités, les fresques urbaines de notre société consumériste.  Elle a l’œil pour dénicher dans ces images imprimées sur toutes sortes de supports papier, mais de préférence les grandes affiches 4x3 à dos bleu, couleurs et textes posés par impression numérique, sérigraphique ou offset, la pertinence d’un lambeau à greffer sur le tableau en cours.

En réalisant ses collages, Valérie Gendre détourne les messages performatifs des slogans publicitaires ou politiques.  Par un effet boomerang, la surface du tableau devient miroir déformant, passant du collectif à l’intime, de l’atelier à la cimaise. Le tableau comme un espace de lutte dans lequel s’effectue en même temps le rejet d’un monde normé, celui de la marchandise calibrée et monétisée et la proposition d’une œuvre d’art poétique réalisée avec une économie de moyens, mais faite pour exprimer la sensibilité de l’artiste et toucher celle du spectateur. Après avoir collecté les affiches qui s’empilent dans son atelier, Valérie Gendre se met au travail, regarde ce qui est à sa disposition et s’engage dans la construction d’une  architecture en clair-obscur, architexturée (aussi) puisque le lettrage s’invite dans les images, messages en filigrane palpitants encore d’une vie usée, plus proche du cri ou du chuchotement que du langage articulé. Invariablement, c’est au centre du tableau que se noue l’intrigue complexe de la composition.  La tension dramatique révélée par une structure en forme de croix converge au centre, qui est à la fois le point de jonction et celui des ouvertures tous azimuts des lignes de force. C’est au cœur du tableau que le coup est porté, explosant la matière qui se fragmente, se déchire et s’organise à nouveau suivant une expression spontanée où l’œil guide la main pour exprimer l’émotion avec une beauté plastique.

Comment ne pas rapprocher la pratique de Valérie Gendre, ici, de celle des artistes français Jacques Villeglé et Raymond Hains qui ont œuvré, après la seconde guerre mondiale et jusqu’au début des années deux mille, en créant à partir d’affiches lacérées, récoltées dans les quartiers parisiens. Ils ont pensé le concept de la non-action painting en ne faisant pas le geste de peindre, mais en utilisant des supports déjà colorés, sortes de ready-made de matière première disponible dans les rebus de la société de production et de consommation. Ils ont puisé dans le débordement d’affiches qui dégoulinaient des murs, dans la surabondance des images pour ne pas ajouter d’images à l’image, mais pour la révéler en la détournant. Jacques Villeglé parlera même de « tenir le journal de la rue », explicitant la bi-dimension sociale et esthétique de son travail artistique.  De la même manière, Valérie Gendre, révèle la noblesse de la couleur et de la forme dans ces affiches jetées au sol, vouées à la destruction. Elle interrompt l’implacable destin que la société de consommation a prévu pour l’affiche, l’obsolescence, le remplacement, la destruction. Toutefois, si elle pratique un art pauvre par les moyens, il devient précieux et unique par l’affleurement de sa sensibilité complexe, toute en pudeur et en retenue et pourtant intensément émotionnelle.

 

Florence Laude, juin 2024

 

Valérie Gendre est née dans les années soixante sur la planèze de Saint-Flour.  Titulaire d’un DEUG d’arts plastiques, elle a étudié la fresque à l’ancienne à l’école Boulle, à Paris.  Pendant plusieurs années elle a travaillé avec le peintre sur porcelaine, Joseph Duchamp, au Lioran. Et, c’est à Maurs, dans le sud du Cantal, qu’elle a installé son atelier, participant activement à la vie artistique de la commune en étant bénévole dans l’association Tousarzitmut, investie dans la diffusion de l’art en milieu rural par l’organisation d’expositions d’art contemporain, dans la galerie l’Epicerie.

Elle expose régulièrement à Aurillac, Boisset, Cahors, Figeac, Grauhlet, Lacapelle Marival, Latronquière, Marcolès, Maurs, etc.

On peut retrouver Valérie Gendre à l’Atelier 147, sur rendez-vous, au 06 72 72 92 67 et avoir la curiosité de regarder son site : https://atelier147.jimdofree.com/

 Actualité de Valérie Gendre durant l’été 2024, trois dates principales :

ü  18- 30 juin 2024 : galerie Cimaise, salle Balène à Figeac

ü  Septembre 2024 :  FLAC (Forum lotois d’art contemporain), chapelle Lamouroux à Cahors

ü  3 octobre - 4 novembre 2024 : Musée Gabriel art contemporain à Latronquière

 



Valérie Gendre 85 x 122  collage


Valérie Gendre 90 x 122  collage

jeudi 21 juillet 2022

René APALLEC , "chirurgien-plasticien sur le papier", 1898 - 1968


l'article qui suit a été écrit à l'occasion de l'exposition DéVISAGER, qui se tenait dans la galerie L'Epicerie à Maurs (15600) du 7 au 24 juillet 2022, organisée par l'association TousArtzimut.

René Apallec artiste-chirurgien-plasticien dévisage

Les collages de René Apallec montrent des gueules cassées éprouvantes à regarder.  Déformations, mutilations, sutures sont bien visibles. Dévisagées, ces faces ressemblent à des masques horribles jusqu’au grotesque.  Plusieurs visiteurs s’émeuvent de ces pauvres hommes qui ont tant donné pour leur pays, d’autres admirent la précision de la chirurgie pour reconstituer le puzzle d’un simulacre de visage dont l’œil qui accroche notre regard ne semble plus vouloir nous lâcher.  Malgré l’invraisemblable difformité des portraits quelques visiteurs commentent ces tentatives de chirurgie reconstructive. Comme ils ont dû souffrir avant de passer entre les mains de ce chirurgien-plasticien !  Quelle boucherie, la guerre ! Mais, on ne détourne pas le regard, bien au contraire, on empoigne la loupe pour scruter l’effroyable de plus près, spectateurs d’un peep-show, fascinés par une monstruosité qui répugne et subjugue tout à la fois !  Au fond, nous adorons qu’on nous raconte des histoires, même insoutenables, l’illusion fait merveille et nous adhérons à la fable !





Chaque collage est unique, l’un offre un regard de cyclope, l’autre présente une tête réduite, comme si elle était passée entre les mains des indiens Jivaros, celui-là parade la face perforée d’un trou sanglant long comme un tunnel débouchant sur un azur aussi vide que ses pensées, cet autre amputé du menton semble produire un cri de guerre perpétuel, il y a des haines que rien ne peut guérir. Se battre pour la paix n’est-il pas, de toute manière, mettre le ver dans le fruit ? René Apallec aurait créé plus de trois-cents collages-triturages déconstruisant au scalpel des reproductions (autochromes) récupérées dans les numéros de l’hebdomadaire L’Illustration pendant la guerre de quatorze, toujours des portraits de maréchaux, de généraux, de hauts-gradés bardés de broderies, de croix, de galons sur des uniformes neufs, fi des simples soldats qui sur le front et dans les tranchées ont payé un lourd tribut à la guerre, et se sont fait, pour de vrai, casser la gueule !   Alors quoi !   Quelques coups de scalpel et le visage d’un général décoré se disloque devenant méconnaissable voire ridiculisé, peut-on lire dans la biographie de René Apallec. Vengeance du soldat Apallec ?   Dadaïste par instinct plus que par culture, il exprime par de minutieuses convulsions brutalisant les images, une pulsion revancharde, il réalise des visions angoissantes et cauchemardesques, déformant la réalité pour atteindre une plus forte intensité expressive et inspirer au spectateur une frayeur horrifique, peut-être cathartique, de la guerre, encore  que l’horreur puisse aussi exciter notre curiosité morbide .    




Le goût acide de ces portraits fait penser à une nouvelle d’Alphonse Daudet, La partie de Billard[1], publiée dans Les Contes du lundi, sur la guerre de 1870. Dans La partie de Billard, le Maréchal, tout à sa partie, refuse d’être dérangé, ignorant l’aide de camp couvert de boue qui tente de l’avertir du danger imminent, les soldats harcelés par l’ennemi, attendent en vain l’ordre pour riposter et se défendre, mais le gradé ne daigne même pas tourner la tête. Sur la ligne de front les bataillons de soldats se font massacrer pour une partie de billard qu’il ne faut interrompre sous aucun prétexte ! Tout est dans l’ironie pour dire l’invraisemblable folie des chefs de guerre, leur aveuglement tragique. Dans Voyage au bout de la nuit[2], Céline, 1932, écrit : Le colonel ne bronchait toujours pas, je le regardais recevoir, sur le talus, des petites lettres du général qu’il déchirait ensuite menu, les ayant lues sans hâte, entre les balles. Dans aucune d’elles, il n’y avait donc l’ordre d’arrêter net cette abomination ? On ne lui disait donc pas d’en haut qu’il y avait méprise ? Abominable erreur ? Maldonne ? Qu’on s’était trompé ? Que c’était des manœuvres pour rire qu’on avait voulu faire, et pas des assassinats ! Mais non ! « Continuez colonel, vous êtes dans la bonne voie ! » Voilà sans doute ce que lui écrivait le général des Entrayes, de la division, notre chef à tous .  Le style expressionniste de Céline en écriture, comme celui d’Apallec dans ses collages dadaïstes, exprime la même mystification collective qui fait que l’on appelle héros les assassins adaptés à la guerre qui  s’accommodent de l’apocalypse… et avec lui on s’interroge, Serai-je donc le seul lâche sur la terre ? […] Perdu parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu’aux cheveux ?



La chirurgie-plastique d’Apallec est réparatrice au second degré, elle révèle l’Hubris tapi dans le portrait de papier glacé et pourfendant l’image d’un coup de scalpel vengeur, elle est Némésis, telle un oracle, elle révèle la vérité du portrait, elle lève le voile (pensez au Portrait de Dorian Gray[3] d’Oscar Wilde). L’artiste détruisant l’image idéalisée trouve la part monstrueuse, l’Hubris. A l’instar du Vicomte Pourfendu[4], d’Italo Calvino, la moitié d’homme, la part mutilée, la part monstrueuse qui revient du combat dit la vérité sur le comte, l’image ne ment pas, la perception que l’on en a est exacte … l’horrible moitié qui a été capable de survivre à la guerre,  est sa part mauvaise. Sa moitié monstrueuse est cette plaie béante offerte à la vue de tous, elle inspire dégoût et compassion, elle se répand en actions mauvaises. Somme toute, la défiguration est morale. Les collages d’Apallec montrent l’inhumain de l’humain. C’est pourquoi tant de portraits sont saisissants par le travail accompli au niveau du regard de ces masques, des bigleux, des cyclopes, des Œdipe[5], des mal voyants de la réalité, auteurs aveugles de mensonges criminels.  N’est pire sourd que celui qui ne veut entendre, n’est pire aveugle que celui qui ne veut voir. Le scalpel vide l’abcès boursoufflé des mensonges, la vérité répand sa pestilence.

Toutefois, le sens de cette œuvre dépend-il de l’identité fictive ou réelle de son créateur ? Qui est René Apallec, présenté dans sa biographie comme artiste chirurgien-plasticien sur papier, né en 1898, mort en 1968 ? Témoin et acteur de premier plan de la guerre de 14, il aurait créé une œuvre plastique comme un exorcisme, comme une urgence, comme un cri de sentinelle pour avertir, comme un cri de souffrance pour se guérir, comme un cri d’horreur pour témoigner. Pourtant René Apallec est un personnage imaginaire, un coup de bluff génial et réussi ! L’existence de l’œuvre plastique se confond avec l’existence fictionnelle de son créateur et fonctionne comme preuve de l’existence de l’artiste ! Œuvre trouble d’un artiste trouble avec biographie, carte de visite, site internet, adresse mail comme certificats de l’existence de René Apallec et comme signes de la disparition, de l’effacement du créateur de la créature, Hervé Laplace, absorbé par son œuvre, floutant la limite entre fiction et réalité.  Des exemples de canulars semblables abondent en littérature, Boris Vian imaginant Vernon Sullivan[6], Borges inventant Pierre Ménard, auteur du « Quichotte »[7], William Boyd écrivant la monographie du peintre Nat Tate[8], et ici Hervé Laplace imaginant René Apallec. Vertige de la perception ! Un personnage fictionnel peut-il être considéré comme créateur d’une œuvre ?  Quel sens donner à l’œuvre ?  Dépend-il de l’existence fictive du créateur ? Quel est le sens des portraits selon qu’ils sont perçus comme création de René Apallec ou d’Hervé Laplace appartenant à des réalités, des temporalités et des expériences différentes ? Vertige de la création et de la créature, René celui qui est né à nouveau, patronyme Apallec anagramme de Laplace, porosité des frontières, mirage d’un artiste illusionniste de talent[9].

 

Juillet 2022, Florence Laude



[1] Alphonse Daudet, « La Partie de Billard », Les Contes du lundi, 1880

[2] Louis Ferdinand Céline, Voyage au bout de la Nuit, 1932

[3] Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, 1890

[4] Italo Calvino, Le Vicomte pourfendu, 1952

[5] Œdipe Roi, Sophocle, 425av. JC

[6] Vernon Sullivan (Boris Vian), J’irai cracher sur vos tombes, 1946

[7] Jorge Luis Borges, Pierre Ménard, auteur du « Quichotte », Fictions, 1956

[8] William Boyd, Nat Tate : un artiste américain, 2002

[9] Libre adaptation d’une citation de Maupassant dans La Préface de Pierre et Jean, 1887 : « Faire vrai consiste donc à donner l’illusion complète du vrai […] J’en conclus que les Réalistes de talent devraient plutôt s’appeler des Illusionnistes. »

Lien vers le site de René Apallec:

https://www.reneapallec.com/

Lien vers le site de la galerie TousArtzimut :

https://www.tousartzimut-maurs.org/





 

dimanche 2 janvier 2022

samedi 20 février 2021

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samedi 23 janvier 2021